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conde de Corneille, le Saint-Genest de Rotrou, le Cyrano de Bergera de M. Rostand. Et c'est en même temps une pièce sur les comédiens, comme un certain nombre de cells que nous venons de citer, et comme l'opéra de Magnon tivé du Withelm Meister de Goethe, les Comédiens de Casimir Delavigne, le Père de 11 débutante de Bayard et Théaulon, les Saltimbanques de Dumersan et Varin, etc... Voulant, après avoir fustigé ses ennemis les auteurs dans la Critique, fustiger aussi ses ennemis les comédiens, n'ayant que huit jours pour composer et jouer sa pièce, Molière pensa à utiliser les imitations qu il lui était arrivé de faire des comédiens de l'Hotel de Bourgogne, et il sy prit très ingénieusement.

On le pousse à parler d'une comédie des comédiens à quelle il avait songé, et il en dit quelques mots :

J'avois songé une comédie où il y auroit en un poète, qu' J'aurois représenté moi-même, qui seroit venu pour offrir une pide à une troupe de comédiens nouvellement arrivés de la campagne. « Avez-vous, auroit-il dit, des acteurs et des actrices qui sorent capables de bien faire valoir un ouvrage ? Car ma pièce est une pièce... Eh! Monsieur, auroient répondu les comédiens, nous avons des hommes et des femmes qui ont élé trouvés raisonalles partout où nous avons passé. - Et qui fait les rois parmi vous? Voilà un acteur qui s'en démêle parfois. Qui ? ce jeune homme bien fait ? Vous moquez-vous ? Il faut un roi qui soit gros et gras comme quatre, un roi, morbieu ! qui soit entripaillé comme il faut, un roi d'une vaste circonférence, et qui puisse remplir un troue de la belle manière. La belle chose qu'un roi d'une taille galante! Voilà déjà un grand défaut ; mais que je entende un peu réciter une douzaine de vers. » Là-dessus le comédien auroit récité, par exemple (en contrefaisant Monthieury, comédien à l'Hôtel de Bourgogne), quelques vers du roi de Nicomède ...

Cette partie de la pièce, plus piquante alors qu'aujourd'hui, a fait dire à Montfleury le fils que l'Impromptu était, comme celui de Mascarille, un impromptu composé à

I. Scine 1.

loisir, « un impromptu de trois ans ». Mais ce n'est là qu'une petite portion de l'œuvre; et le reste, Molière l'a rempli avec ce qui était le plus capable de faire enrager ses rivaux : : avec l'ordre même que lui avait donné le roi de travailler contre eux, et avec la peinture de sa faveur à la cour. Pensionné par le roi comme auteur, fort apprécié de lui comme acteur, souvent appelé à la cour comme directeur de troupe, il allait se montrer dans ses trois fonctions, et il allait ouvrir au public ce que celui-ci est toujours friand de connaitre : les coulisses d'un théâtre. De là le sujet hardi et piquant de l'Impromptu. Molière est à Versailles, répétant avec ses comédiens, affolé par la rapidité avec laquelle il lui faut préparer la représentation que le Roi a commandée. D'abord il causera avec ses camarades, les encourageant, leur donnant des conseils; puis on répétera la pièce qu'il s'agit de jouer. Faudra-t-il placer là une pièce complète ? L'intérêt scrait trop divisé; un fragment de pièce seulement, contenant ce qu'il parait le plus utile à Molière de faire entendre à son public, avec d'amusantes et adroites digressions. -- Comment terminer P Les nécessaires, c'est-à-dire les gens qui prétendent se rendre utiles, sc succéderont en criant: «mais commencez done ! » Les acteurs, ne se sentant pas prêts, s'affoleront. Le Roi permettra à Molière de différer la représentation annoncée et de jouer pour le moment autre chose. Combinaison singulièrement avantageuse, car on pourra ainsi couper où l'on voudra la pièce que l'on répétait ; ---- car, en terminant, comme on avait commencé, par l'affolement des acteurs, on donnera de l'unité à l'œuvre ; car surtout on mettra à la meilleure place un témoignage de l'in- térêt que le Roi porte à Molière. Deux comédies de notre poète se terminent par une intervention du Roi, et pour toutes deux, en effet, Molière devait au Roi des actions de grâce : l'Impromptu de Versailles et Tartuffe.

Rien de plus ingénieux que ce plan. Dans un ensemble

dont Funité artistique est incontestable. Molière a pu jeter la plus grande variété, et en même temps il a pu dire tout ce qu'il avait sur le cœur sans faire une satire dramatique en regle, qui eût été difficilement agréable et se fùt difficilement tenue dans les bornes nécessaires. Tout est dit, en quelque sorte, par prététition. Molière se fàche contre Mile Béjart, qui lui conscillo de répondre aux comédiens et à Boursault, non certes, il ne répondra pas ! et la façon dont il le dit est déjà une mordante réponse. De même, il ne veut pas exécuter son projet de Comédie des comédiens, il ne l'exécutera pas! et pourtant la comédie des comédiens est faite, et l'on peut même dire qu'elle est double.

VII

Il y a, en effet, dans l'Impromptu deux comédies des comédiens celle que Molière esquisse contre l'Hôtel de Bourgogne, et celle qu'il donne complètement en montrant sa propre troupe.

Dans la première, les parodies de Montfleury, de Beauchâteau et de sa femme, de d'Hauteroche, de de Villiers, n'intéressent plus que les érudits. Mais il en est autrement de la théorie sur la déclamation. La déclamation au XVIIe siècle était chantante, emphatique violente. L'acteur Mondory, en 1637, avait été tué par le rôle d'Hérode dans Mariane; Montfleury lui-même allait user ses poumons dans l'Andromaque de Racine. Molière ne veut pas que l'on <<< crève » ainsi les comédiens; il demande du naturel et de Ja simplicité, comme jadis Shakespeare (que Molière ne connaissait pas) en avait demandé par la bouche d'Hamlet. Mais il admettait sans doute aussi que, si la tragédie est une imitation de la nature, c'est une imitation idéalisée et qu'on ne la saurait dire du même ton qu'une comédie familière. Lui-même était accusé par ses rivaux d'être

emphatique dans la tragédie, et peut-être, comme acteur tragique, obéissait-il à une tradition que, comme théori cien, il répudiait.

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L'étude de la comédie des comédiens où figurent Molière et sa troupe nous entraînerait trop loin. Chacun des acteurs y est caractérisé d'un mot, dont nous n'avons pas toujours aujourd'hui les moyens d'apprécier la justesse. Du moins remarquons-nous aisément toutes sortes de détails piquants. Molière et Armande se chamaillent un peu, comme il convient à de bons époux; - Madeleine parle avec le ton d'autorité que lui permettent les services rendus à la troupe ; à La Grange Molière, en train de conseiller ses camarades, donne ce précieux éloge: « pour vous, je n'ai rien à vous dire ». - Il est remarquable surtout comment Molière dirige ses comédiens, leur indique l'attitude qu'ils doivent avoir, le ton qu'ils doivent prendre. Ses adversaires eux-mêmes sont d'accord avec l'Impromptu pour nous montrer en lui le metteur en scène idéal. De Visé, dans les Nouvelles nouvelles, dit de l'École des femmes : « Jamais comédie ne fut si bien représentée, ni avec tant d'art; chaque acteur sait combien il doit faire de pas, et toutes ses œillades sont comptées ». Quelle activité dans ce Molière ! Et avec quelle vérité il se peint luimême !

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MOLIÈRE. Vous voilà tous bien malades, d'avoir un méchant rôle à jouer, et que feriez-vous done si vous étiez en ma place?

MADEMOISELLE BÉJART. Qui, vous ? Vous n'êtes pas à plaindre; car, ayant fait la pièce, vous n'avez pas peur d'y man

quer.

le

MOLIÈRE. Et n'ai-je à craindre que manquement de mémoire? Ne comptez-vous pour rien l'inquiétude d'un succès qui ne regarde que moi seul? Et pensez-vous que ce soit une petite affaire que d'exposer quelque chose de comique devant une assemblée comme celle-ci, que d'entreprendre de faire rire des personnes qui nous inspirent le respect et ne rient que quand ils veulent ? Est-il anteur qui ne doive trembler lorsqu'il en vient à

cette éprouve ? Et n'est-c

pas à moi do Ere que je voudrois en

être quille pour toutes les choses du monde 42

Cest vie prise sur le fait.

VIII

Quant au fragment de pièce intercalé dans la comédie des comédiens, c'est une sorte de nouvelle Critique de l'Ecole des femmes, où Molière a repris certaines des figures de sa comédie précédente, en les précisant, en les nuançant,

et où il a lancé contre ses adversaites de nouvelles attaques.

La scène se passe à Versailles, dans l'antichambre du Roi, où le lever et le coucher amenaient quantité d'originaux. Nous voyons reparaître le Marquis, et Molière se justifie de toujours mettre ce type sur le théâtre. Il y a même deux marquis dans ce fragment; mais ils ne diffèrent guère, et Molière n'en a mis deux qu'afin de leur permettre de se disputer pour savoir qui a été visé dans la Critique et afin de se permettre à lui-même de dire comment il entend la peinture des caractères.

Climène

reparait aussi, nullement transformée; mais Molière, indiquant leurs rôles aux acteurs, dédouble ce caractère de la prude; il distingue la prude qui en effet se conduit bien de la prude qui n'est qu'une hypocrite.

Voici

Elise. Voici Lysidas, avec « cet air pédant qui se conserve parmi le comerce du beau monde, ce ton de voix sentencieux, et cette exactitude de prononciation qui appuie sur toutes les syllabes et ne laisse échapper aucune lettre de la plus sévère orthographe ». Il est disposé à applaudir le Portrait du peintre et à « payer de sa personne comme il faut; il répond d'une bravoure d'approbation qui mettra

1. Scone 1.

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