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taême pas 78807 z clairvoyant : le Don Juan du dernier ecto n'était-il pas annoncé par le Don Juan du premier? Le sedacteur de Done Elvire avait invoqué le Ciel pour justifer sa trahison: « Il m'est venu des scrupules disait-il.

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E, sans doute, l'ironie perce dans ce passage, et elle éclate dans les lignes qui suivent. Mais que Don Juan garde pour lui cette ironie, ou plutôt qu'il ne l'exprime qu'a bon escient, et il pourra, au cinquième acte, faire une niche suprême à Dieu, si par hasard il existe, ou du moins à ceux qui le prient. Don Juan n'est pas hypocrite comme ce pied plat de Tartuffe ; il se battra avec Don Carlos, en usant d'un expédient de casuistique qu'il affiche insolemment et après avoir parlé du Ciel avec une insistance irritante. Il ne consentira à être hypocrite aux yeux de tous qu'après avoir étalé ses intentions criminelles aux yeux de quelques-uns, et surtout de Sganarelle.

Mais ce Sganarelle, à qui il révèle ses plus secrètes pensées, sa présence même n'est-elle pas une invraisemblance, ainsi que nous l'avons dit? Oui, mais singulièrement heurense. Le contraste avec Sganarelle fait ressortir le caractère de Don Juan. A l'humilité de l'un s'oppose l'orgueil de l'autre, à la poltronnerie le courage, à l'honnêteté foncière la perversité, à la crédulité l'athéisme, à la gaucherie l'esprit et la raillerie : que de dialogues caractéristiques on pourrait citer! Par exemple, à l'acte I, Sganarelle essaie, de reprocher à son maître ses mariages multipliés; mais la peur le fait vite changer de ton:

SGANARLI LE.

sacré, et...

DON JUAN.

Mais, Monsieur, se jouer ainsi d'un mystère

Va, va, c'est une affaire entre le Ciel et moi, et nous la démêlerons bien ensemble, sans que tu t'en mettes en peine.

SGANARFLLE. Ma foi! Monsieur, j'ai toujours ouï dire que c'est une méchante raillerie que de se railler du Ciel, et que les libertins ne font jamais une bonne fin.

DON JUAN. Hola! maître sot, vous savez que je vous ai dit que je n'aime pas les faiseurs de remontrances.

SGANARFLLE. Je ne parle pas aussi de vous, Dieu men garde. Vous savez ce que vous faites, yous; et si vous ne croyez rien, vous avez vos raisons; mais il y a de certains petits impertinents dans le monde, qui sont libertins sans savoir pourquoi1...

A l'acte III, Sganarelle essaie de discuter contre son maitre, mais il se heurte à la froide raillerie du libertin:

SGANARFLLE. Je veux savoir un peu vos pensées à fond. Est-il possible que vous ne croyiez point du tout au Ciel ?

DON JUAN.
SGANARELLE.
DON JUAN.
SGANARCLIE.
DON JUAN.
SGANARELLF.

DON JUAN.
SGANARELI E.

Laissons cela.

C'est-à-dire que non. Et à l'Enfer ?

Eh!

Tout de même. Et au diable, s'il vous plait ? Oui, oui.

Aussi

рец. Ne croyez-vous point l'autre vie?

Ah ah ah !

Voilà un homme que j'aurai bien de la peine

à convertir. Et dites-moi un peu (encore faut-il croire quelque chose): qu'est-ce que vous croyez ?

DON JUAN. Ce que je crois ?

SGANARELLE.

Oui.

DON JUAN. Je crois que deux et deux sont quatre, Spanarelle, et que quatre et quatre sont huit 2.

Du merveilleux Molière, livré à lui-même, se serait passé bien volontiers; mais il en a tiré un excellent parti pour la peinture de Don Juan. Esprit fort déterminé, Don Juan cherche toujours au merveilleux une explication ra– tionnelle. S'il a cru voir remuer la tête de la statue, ce doit être par l'effet de quelque vapeur qui lui a troublé la vue ; si un spectre lui apparait sous la forme d'une femme voilée, il croit aussitôt à une supercherie et remarque que la voix du spectre lui est connue. Le surnaturel devient-il indiscutable, Don Juan se raidit : « Montrons que rien ne me saurait ébranler. » Jusqu'au dernier moment, l'orgueil l'empêche de faiblir : « Non, non, il ne sera pas dit, quoi

1. Acte I, scène II. 2. Acte III, sc. 1.

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pas

moins

cul arrive, que je sois capable de me repentir. » Ainsi use en lui le libertin ; et le débauché n'est mis en relief par ce merveilleux, en soi si invraisemblabie, Qa Elvire venne le trouver, conduite par le ciel, on annonce à Don Juan une femme voilée, et aussitôt, les nes frémissantes dans l'orgueil de quelque conquête ouvelle, il s'écrie: « Qui pourrait-ce être?» -- Quand Elvire a supplié, pleuré, montré sa profonde résolution de se donner tout à Dien, le blasé est émoustillé : « Madame, il est lard, denemez ici; on vous y logera le mieux qu'on POLI13. Elle l'a compris sans doute ; & Non, Don Ju›u, ne me etenez pas davantage. » Alors, il espère que l'ancier ne passion d'Elvine se ranimera à l'aspect de son séductur: « Madanie, vous me ferez plaisir de demeurer, je vous assure ». Peine perdue! elle s'en va, et Don Juan ne rous laisse aucun doute sur ses sentiments :

DON JUAN. - Sais-tu bien que j'ai encore senti quelque pou C'émotion pour elle, que j'ai trouve de l'agrément dans celle nouveauté bizarre, et que Son habit néghgé, son air languissant et gos larmes ont réveille en moi quelques petits restes d'un ten 'Lit?

SCANAREJ LE effet sur vous.

DON JUAN.

C'est-à-dire que ses paroles n'ont fait aucun

Vite a soaper.

Enfin il n'est pas jusqu'aux invraisemblances d'ordre scénique qui ne servent à projeter plus de lumière sur cette figure de Don Juan. Plus le séducteur entreprend d'actions condamnables dans un espace de temps si court et dans un rayon de pays si limité, plus nous sentons sa hardiesse et son caractère dangereux. Sa situation entre Charlotte et Mathurine est la plus frappante peinture (peinture symbolique, en quelque sorte, mais saisissante) des difficultés où le séducteur se jette et de l'habileté infernale avec laquelle il en sort :

1. Acte IV, scène vi.

DON JUAN. Que voulez-vous que je vous dise? Vous soutenez également toutes deux que je vous ai promis de vous prendre pour ferimes. Est-ce que chacune de vous ne sait pas ce qui en est, sans qu'il soit nécessaire que je m'explique davantage ? Pourquoi m'obliger là-dessus à des redites? Gelle à qui j'ai promis effectivement n'a-t-elle pas en elle-même de quoi moquer des discours de l'autre, et doit-elle se mettre en peine, pourva que j'accomplisse ma promesse ? Tous les discours n'avancent point les choses; il faut faire et non pas dire, et les effets décident mieux que les paroles. Aussi n'est-ce rien que par là que je veux vous mettre d'accord, et l'on verra, quand je me marierai, laquelle des deux a mon cœur. (Bas à Mathurine :) Laissez-lui croire ce qu'elle voudra. (Bas, à Charlotte :) Laissez-la se flatter dans son imagination. (Bas, à Mathurine:) Je vous adore (Bus, à Charlotte :) Je suis tout à vous. (Bas, à Mathurine :) Tous les visages sont laids auprès du vôtre. (Bas, à Charlotte :) On ne peut plus souffrir les autres quand on vous a vne. J'ai un petit ordre à donner; je viens vous retrouver dans un quart d'heure 1.

Enfin, quand Done Elvire vient trouver Don Juan dans le palais public du premier acte, cette invraisemblance amène une des paroles les plus caractéristiques de ce féroce égoïste. Ce n'est ni repentir, ni pitié, ni gêne même qui s'exprime par sa bouche, c'est une réprobation contre un manquement aux bienséances mondaines et à l'esthéti-que: «Est-elle folle, de n'avoir pas changé d'habit, et de venir en ce lieu-ci avec un équipage de campagne ? »

La même habileté à tirer parti pour la peinture morale des maladresses on des négligences de l'intrigue se remarque aisément quand on examine les autres personnages.

Sganarelle, si utile pour faire ressortir la physionomie. de Don Juan, est lui-même un personnage délicieux, d'une vérité profonde. On pourrait se demander pourquoi il ne quitte pas Don Juan, puisqu'il a horreur de ses vices. Mais il nous le dit lui-même : il a peur, et les lois du bon vieux temps n'étaient pas tellement bien faites, qu'elles protégeassent sérieusement un pauvre valet contre la colère d'un grand seigneur méchant. Obligé de rester, toute sa

1. Acte II, scène iv.

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quum inzet lemntable Antrisic entre 863 bouces intentions ef sa coraplic.té ho lense, endre ses Fitziges pour convertir son matte et la làche approkation quil acorde à tous ses artes. Au reste, son nonvetlé ron que de délicatesse, et, par intérêt pour le ↑ «Pvze qui ne veut pas jurer, et qui, s'il jurait, aurait un louis d'or, il est parfaitement capable de lui conseiller une La aise action eV, va, jure donc, il n'y a pas de m 1. » D ́s lors, voyez comme les invraisemblances signaKes pr ofitent à la peinture de son caractère : la scène où il cherche à détromper les paysannes tant que son maître le voit pas et où, Don Juan repara'ssant, il leu tait de son maitre; sa conduite vis-à-vis de Pierrot, à qui, par pitié, il cherche à éviter les coups de Don Juan, nis qu'il appelle bien vite un maroufle quand un de ces cc.ps est tombé sur lui; - la manière dont il repousse M. Dimanche, contr façon un peu grossière des procédés de son maitre ; sa crédulité et sa peur vis-à-vis de tous les prodices; et ses coq-à-l'àne même ou ses jeux de scène bouffons, qui tiennent plus qu'on ne le croirait d'abord à sa nature propre. Sganarelle, en effet, est du peuple, et il a du peuple le bon sens avisé, les réparties naives, les saillies piquantes; mais une démonstration, mais un discours lui sont impossibles, surtout devant la terrible ironie de Don Juan, qui pourrait démonter de plus o'ides que lui. Ses réflexious courtes ne manquent pas de finesse; mais que Don Juan le laisse parler sans l'interrompre, et, perdant la tête. il parlera de la plus incolérente et de la plus extravagante façon du monde. —- Quant à la scène du repas, toute destinée qu'elle est à faire rire avant tout, elle devient instructive, elle aussi, si l'on y regarde la fain du pauvre diable, les rudes épreuves que les fantaisies du maître font subir à l'estomac du valet, Es plaisanteries où le reste de la valetaille s'enhardit visà-vis de lui par imitation de la désinvolture du maître.

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