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je t'appelle? sais-tu que toi seul, tu peux me sauver ; que je n'invoque plus Dieu, que je n'invoque plus la Vierge, que je n'invoque que toi? Si je m'enfuyais avec mon enfant? Mon Dieu, avant qu'ils n'arrivassent, pourquoi ne me suis-je pas enfuie?

C'est que je t'attendais.

XXX.

Stephana a voulu descendre, un domestique a levé son voile pour s'assurer que ce n'était pas moi.

Tout le village sait que c'est aujourd'hui mon dernier jour; tout le monde prie. La cloche qui retentissait tout à l'heure, et dont je ne comprenais pas la voix, appelait les ames pieuses à l'église, elle leur disait de prier pour celle qui va mourir.

Et celle qui va mourir, c'est moi, entends-tu, c'est moi, mon bien aimé.... c'est ta Fatinitza.... c'est la mère de ton enfant.... Oh! ma pauvre tête!

Je ne sentirai pas le coup, je serai folle.

XXXI.

Rien sur la mer... aussi loin que le regard peut s'étendre; déserte! déserte!

J'ai été écouter à la porte : il y a de l'autre côté de ma porte deux valets qui prient.

Tout le monde prie : il n'y a que moi qui ne puis pas prier.
Mon Dieu! mon Dieu! comme le soleil marche vite!

XXXII.

Stephana est étendue sur mon lit; elle s'arrache les cheveux. Moi, je tiens mon pauvre enfant dans mes bras; je tourne autour de ma chambre comme une insensée; puis de temps en temps je m'assieds pour t'écrire une ligne.

Pauvre innocent, pourvu qu'ils l'épargnent!

Oh! ne pleure pas ainsi, ma bonne Stephana; tu me brises le cœur! Tu ne m'oublieras jamais, n'est-ce pas, mon bien-aimé ? Mon Dieu! sauras-tu ce que j'ai souffert! Ou tu es bien malheureux, ou tu es bien coupable!

Le soleil ne descend pas, il se précipite; le voilà qui touche aux

vivre en commerce avec les muses. Il nommait le lieu du fief paternel Boussères-Sainte-Radegonde en Agenois, près de Port-Sainte-Marie, où s'élevait << un petit château, joignant le pied d'un grand coteau >> qui produisait un vin délicieux. Plus tard les mauvaises langues firent du château un cabaret où le prétendu avocat versait à boire. Il paraît cependant que le nouveau venu fut reconnu de bonne maison par un autre gascon d'esprit, Jean Louis Guez de Balzac, car ce gentilhomme, qui ne se commettait pas volontiers, l'accepta pour compagnon de son voyage en Hollande (1612). Là ils furent si intimement liés, si fort confidens l'un de l'autre, qu'il leur en demeura de quoi se haïr mortellement. Treize ans plus tard Théophile écrivait, du fond de son cachot, que « l'aventure la plus ignominieuse de sa vie avait été la fréquentation de Balzac. » Il se vantait d'avoir autrefois << pris l'épée pour le venger du bâton. » Il lui reprochait enfin d'avoir choisi un singulier moyen pour se préserver « du danger que l'on court à suivre les graces. » Voilà comment les deux amis, gens de lettres, réglaient le compte de leur association.

De retour à Paris, Théophile se mêla dans la société des auteurs qui fournissaient des vers aux recueils du temps et aux divertissemens de la cour, tous gens de gaillarde humeur et de bon appétit, faisant grande chère au cabaret de « la Pomme-de-Pin, » lorsqu'ils avaient trouvé quelque généreux patron. Car telle était en ce temps la condition des écrivains; il n'y avait pas pour eux de communication ouverte avec le public, pas d'accueil chez les libraires, pas d'entrée aux assemblées, s'ils ne portaient la livrée d'un grand seigneur, s'ils ne s'étaient fait inscrire parmi les commensaux d'un noble hôtel. Aucun nom, de quelque gloire qu'il ait brillé par la suite, n'a pu échapper à cette nécessité, et personne ne songeait à s'en plaindre. Là était l'honneur, de là venait le profit. Cette espèce de domesticité, comme nous l'appellerions aujourd'hui dédaigneusement et comme on la nommait alors pour s'en vanter, on la partageait avec une foule d'excellens gentilshommes, de braves capitaines, d'austères magistrats aussi, qui se glorifiaient tous d'appartenir à quelque illustre maison. On n'était de la cour, c'est-à-dire du monde, qu'à ce prix. Tout l'emploi consistait à divertir le personnage auquel on s'était donné, à grossir sa suite dans les occasions d'éclat, à lui dédier parfois une ode ou un sonnet, à lui préparer les stances qu'il réciterait dans le prochain ballet de la cour, où il devait faire le personnage de Persée, du prince de Chypre, de l'un des quatre Vents. Le loyer se payait en abbayes, en bénéfices, en pensions. Les grands

seigneurs mettant leur honneur à se montrer prodigues et les beaux esprits à se déclarer besoigneux, on s'arrangeait facilement ; et telle a toujours été en France la multitude des talens que, lorsque les hôtels en étaient meublés, il s'en trouvait encore pour amuser les clercs et les laquais.

Théophile eut donc à se chercher un maître. Sa bonne fortune lui désigna le duc Henri de Montmorency, le frère de la belle princesse de Condé, ce brave et malheureux seigneur qui abandonna follement les douceurs d'une vie pleine de gloire, d'amour et de grandeur, pour livrer à Richelieu une illustre victime: malheureux! dis-je, parce qu'il mourut de la mort des rebelles sans en avoir la passion et la foi, sans aucune de ces illusions qui déguisent l'horreur de l'échafaud, sans même espérer de vengeurs. Le duc de Montmorency était alors seulement l'héritier d'un grand nom et d'une vaste fortune, un jeune homme puissant par ses charges et par ses biens, amiral, duc et pair de France, gouverneur du Languedoc, marié depuis peu à une parente de la reine-mère. Tout ce qu'il y avait à la cour de princes, de seigneurs, de gentilshommes, ayant atteint leur vingtième année, était naturellement attiré vers le fils du connétable par le goût commun du jeu, des fêtes et des plaisirs. Théophile, doué d'un esprit vif et d'un caractère enjoué, amusait la compagnie par ses bons mots et ses saillies piquantes. Il tenait bureau de railleries et prêtait des épigrammes aux courtisans. La réputation qu'il s'était faite en si bon lieu, rassembla autour de lui le troupeau des jeuues poètes, qui le reconnurent pour leur chef, qui l'enivrèrent de leurs louanges et excitèrent encore plus son audace. Dans la route de la moquerie on ne s'arrête pas aisément; comme il y a d'ailleurs toujours quelque risque à l'exercer sur les choses de la terre, on se croit mieux à l'aise avec les choses saintes qui sont plus haut, mais plus loin. Il se répandit bientôt que, dans la joie des banquets, une troupe de gais convives conspirait contre la religion, à l'aide de sonnets, d'élégies et de stances. La cour n'était pas alors très scrupuleuse sur la morale enseignée par l'Évangile; mais on s'y comportait honnêtement en tout ce qui concernait l'église; le comte de Bassompierre était exact à faire ses pâques. Comme les prêtres avaient beaucoup à pardonner dans la conduite des grands, ils se trouvaient obligés à plus de rigueur contre les débauches de l'esprit. Théophile leur fut signalé comme une espèce de Luther en goguette, qui prêchait dans ses vers le libertinage et l'athéisme. Notez bien qu'il n'avait jamais rien publié; car ce dont on se souciait le moins alors, quand on se

montagnes; dans un instant il sera caché derrière elles..... il me semble qu'il est couleur de sang.

J'ai soif.

Je ne compte plus par jour, je ne compte plus par heure, je compte par minute, je compte par seconde. Tout est fini: tu serais dans le port que tu n'aurais pas le loisir d'arriver jusqu'à terre; tu serais en bas qu'ils ne te laisseraient pas le temps de monter jusqu'ici.

Écoute, Stephana! j'entends du bruit; écoute si ce n'est pas eux! Mon Dieu! mon Dieu! on ne voit plus que la moitié du disque du soleil! Mon Dieu! je voudrais cependant bien penser à vous; mais pardonnez-moi, je ne pense qu'à lui.

Ce sont eux! ce sont eux!... ils ont tenu parole... le soleil est couché... il fait nuit...

Ils montent... ils s'arrêtent à la porte... ils l'ouvrent...

Je te pardonne... Adieu... Reçois mon ame!...

Ici finissait le manuscrit de Fatinitza. Je m'élançai dans la chambre de sa sœur.

Eh bien! m'écriai-je... eh bien! après?

- Après, me dit Stephana, mon père lui a laissé le temps de faire sa prière; puis, quand sa prière a été finie, il a tiré un pistolet de sa ceinture, et il l'a tuée comme il lui avait dit qu'il le ferait.

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Et mon enfant? m'écriai-je en me tordant les bras; mon enfant, mon pauvre enfant?

- Fortunato l'a pris par les pieds, et lui a brisé la tête contre la muraille.

Je jetai un cri terrible, et je tombai sans connaissance sur le pavé.

ALEX. DUMAS.

LE POÈTE THÉOPHILE.

Je vous disais l'autre jour, il y a de cela six ans, « qu'après le règne de Malherbe, qui s'associe très bien à celui de Henri IV, il y avait eu, en littérature aussi, une sorte d'anarchie, dans laquelle se perdit, au milieu du bruit et du scandale, le talent de Théophile (1). » C'est maintenant un souvenir bien confus que celui qui reste de ce jeune poète, malheureux, mais non de misère et de faim, martyr du gai propos et de la vie joyeuse. Le commun des gens qui lisent ne rattache guère à ce nom qu'un peu de curiosité honteuse pour les poésies obscènes qu'on lui attribua, un peu de compassion pour les persécutions qu'elles lui attirèrent; puis sa mémoire s'éteint sous une sentence cruelle de Boileau, et ce qui survit de ses ouvrages, ce sont deux mauvais vers que le même Despréaux a condamnés à l'immortalité par une de ses préfaces. Voilà donc, dans les exemples du passé, une destinée accomplie : vivre quelques années d'éclat et de désordre, recueillir beaucoup de haines, souffrir l'exil et la prison, mourir en sa fleur, avoir rêvé la gloire, et ne laisser de renom que par le ridicule. Cependant la prééminence du poète Théophile, durant le court espace de temps où il a occupé le monde, est un fait incontestable et lui assure nécessairement une place dans l'histoire de notre littérature, qui a ses interrègnes comme ses dynasties.

Ce fut l'année même de la mort de Henri IV (1610) qu'arriva obscurément dans Paris, avec le plus mince équipage, un jeune voyageur âgé de vingt ans, venu des rives du Lot ou de la Garonne, et qui se faisait appeler Théophile de Viau. Il racontait que son grand-père avait été secrétaire de la reine de Navarre, que son père, après avoir plaidé quelques causes à Bordeaux, s'était retiré dans un village pour

(1) Revue de Paris, vol. LII, p. 150, Notice sur Balzac.

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