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REVUE DE PARIS.

211 Au même théâtre, Au bout du Monde ou le Première Poste est encore un petit chef-d'œuvre dont l'auteur, M. Théaulon, pourrait bien être M. Fauvel.

-M. Tarbé, avocat-général à la cour de cassation, mathématicien habile', vient de publier dans la collection dès Manuels Roret, un très utile et très complet traité des poids et mesures, des monnaies, du calcul décimal et de la vérification. Au moment où l'ordonnance du 16 juin 1839 va devenir exécutoire par tout le royaume, le livre excellent et peu dispendieux de M. Tarbé ne peut manquer de devenir populaire.

L'arrivée de la Recherche au Havre nous a apporté des nouvelles de l'expédition scientifique du Nord. Après avoir visité les îles Feroë, la commission de la Recherche s'est rendue au Spitzberg, et c'est de là que notre collaborateur, M. Marmier, nous adresse les vers suivans :

AU SPITZBERG.

Depuis que la nature et ses grandes images
Éveillèrent en moi les désirs de voyages;
Que, dédaignant la paix du nid de mon vallon,
J'ai comme un pauvre oiseau lassé de sa bruyère,
Erré de par le monde, en cherchant la lumière
D'un autre ciel moins pur et d'un autre horizon;

J'ai vu depuis ce temps d'étranges paysages,
Terre aride, rocs noirs, sombres et froids rivages;
J'ai vu les flots brumeux des grandes mers du Nord,

Les montagnes de Suède et celles de Norvége
Les forêts de sapins sous leur manteau de neige,
Les plaines sans verdure et les côtes sans port.

J'ai vu la Laponie et ses tentes nomades,
Les fleuves de Finlande où grondent les cascades,
L'Islande et ses volcans, sa lave, son Geyser;
Mais jamais sur ma route et jamais dans mes rêves,

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Rien ne m'est apparu d'aussi grand que tes grèves,
Et rien d'aussi terrible, ô terre du Spitzberg.

Salut à vous, salut! vastes plateaux de glace,
Obélisques de roc, entassés dans l'espace,
Sol inculte où tout porte une empreinte de deuil,
Rives où l'on ne voit que l'oiseau de l'orage,
Où le pauvre pêcheur n'a marqué son passage
Qu'en creusant une fosse, en clouant un cercueil.

Salut, ô profondeur de l'Océan polaire,

Abîme désolant aux heures de colère,

Miroir d'azur sans tache aux heures de repos!
Salut, écueils battus par les vagues d'écume,
Plaines, rochers, ravins enveloppés de brume,
Masse obscure et confuse, image du chaos!

Sur le pic de granit, au bruit de la raffale
Aux rayons incertains d'un soleil froid et pâle,
J'aime à m'en aller seul, j'aime à voir les glaciers
Avec leurs pics aigus, leurs voûtes solennelles,
Les tombes du vallon, les neiges éternelles,
Et les flots de la mer étendus à mes pieds.

L'œuvre humaine en ces lieux n'a point laissé de trace,
Dieu seul les a marqués d'un sceau que rien n'efface,

Du sceau de sa puissance et de sa majesté.

Au sein de ce désert, à l'aspect de cette onde,

L'ame, loin des vains bruits, des vains pensers du monde,
S'élance dans le temps et dans l'immensité.

X. MARMIER.

Magdalena Bay. -14 août 1839.

F. BONNAIRE.

L'ARCHIPRÊTRE

DES CEVENNES.

Au milieu des guerres civiles qui ébranlaient son trône, ayant à défendre sa couronne contre un parti formidable et menaçant, Charles IX, faible, superstitieux, cruel, a ordonné la Saint-Barthelemy.

La mémoire de Charles IX est vouée à l'exécration de tous les siècles.

Au sein d'une paix profonde, solidement assis sur son trône, et seulement pour calmer les lâches terreurs de sa conscience bourrelée, Louis XIV a offert à Dieu le sacrilége holocauste de tout un peuple soumis et inoffensif.

Le tocsin de la Saint-Barthelemy de Charles IX a sonné pendant sept journées de massacre.

Le tocsin de la Saint-Barthelémy de Louis-le-Grand a sonné dans les Cevennes pendant huit années de massacre. INTRODUCTION des Fanatiques des Cevennes (1).

I.

LA PETITE-CHANAAN.

Non loin du bourg de Saint-Andéol-de-Clerguemot, situé dans les Basses-Cevennes, sur les confins orientaux du diocèse de Mende (2)

(1) Cette introduction, que l'abondance des matières ne nous permet pas de publier, renferme beaucoup de documens curieux et inédits sur l'époque embrassée par ce roman historique. Un grand nombre de lettres, mémoires et pièces justificatives, donnent à ce récit la plus grave et la plus irrécusable autorité. (2) Aujourd'hui département de la Lozère.

TOME XI.

NOVEMBRE.

16

en Languedoc, s'étendait une plaine assez considérable, abritée des vents glacés du nord et des brises humides de l'ouest, par les croupes boisées de l'Aygoäl, une des plus hautes montagnes de la chaîne des Cevennes.

Cette vallée, baignée à l'est par le Gardon d'Anduze, et exposée à la vivifiante chaleur du midi, était d'une telle fertilité qu'on l'appelait, dans le patois du pays, l'Hort-Diou (le Jardin de Dieu). Les protestans, qui formaient la grande majorité des habitans de ce diocèse, avaient depuis long-temps donné à l'Hort-Diou le surnom biblique de la Petite-Chanaan.

Les eaux du Gardon d'Anduze, vives, limpides, mais peu larges et peu profondes, après avoir, dans leurs nombreux circuits, arrosé cette plaine enchanteresse, disparaissaient sous les voûtes ombreuses d'un bois séculaire.

Minés par la rapidité du courant, inclinés sous le poids de leurs cimes, quelques chênes énormes, abattus à moitié, n'avaient été retenus dans leur chute que par les arbres plantés sur le bord opposé; aussi, quelques-uns de ces chênes, toujours feuillus et vivaces, quoique à moitié déracinés, semblaient autant de ponts de verdure jetés d'une rive à l'autre.

Des saules poussaient en tous sens des jets si vigoureux que leurs verts rameaux s'enlaçaient quelquefois au milieu de la rivière, dont les eaux entravées formaient alors une sorte de cascade en surmontant ces digues de feuillage.

Çà et là un épais tapis de mousse cachait le tronc vermoulu des arbres, et descendait mêler ses nuances veloutées aux cailloux de toutes couleurs sur lesquels le Gardon roulait ses flots d'azur ; des milliers d'oiseaux faisaient retentir cette solitude de leurs gazouillemens; on n'entendait au loin, dans la plaine de l'Hort-Diou, que le tintement mélancolique des clochettes que les béliers, conducteurs des troupeaux, portaient fièrement à leur cou.

Par une belle soirée du mois de juin 1702, deux enfans de treize ou quatorze ans étaient assis au bord de la rivière, sous une petite grotte de verdure, formée par des branches de saules entremêlées de lierre et d'aubépine en fleurs.

Une large éclaircie pratiquée sur la lisière du bois permettait de voir au loin une partie de la Petite-Chanaan.

Épars dans la vallée, un grand nombre de moutons paissaient une herbe verte et touffue.

Ces prairies s'élevaient en pente douce jusqu'au sommet d'une col

line formée par une des dernières ondulations du mont Aygoäl. Une. sombre forêt terminait l'horizon; de son sein s'élevait, triste et solitaire, la haute tour du château du Mas-Arribas.

Gabriel Cavalier, le plus âgé des deux enfans dont on a parlé, était un petit pâtre d'environ quatorze ans; une ceinture de cuir serrait, à sa taille, sa casaque de toile blanche, vêtement ordinaire des Cevenols. Près de lui on voyait son bissac, son large chapeau de paille, sa houlette ferrée, quelques lignes, des hameçons, et un panier contenant plusieurs belles truites pêchées dans le Gardon.

Ses traits, d'une beauté rare, avaient une expression douce et rêveuse, ses longs cheveux étaient blonds et bouclés, ses yeux bleus, sa peau brune et hâlée par l'air des montagnes.

Une petite fille de douze ou treize ans, habillée d'une longue robe. de toile blanche, était assise à côté de Gabriel. Elle avait un de ses bras passé autour du cou du petit pâtre. Elle lui ressemblait tellement, quoiqu'elle eût des traits plus fins, une peau plus délicate, des cheveux plus soyeux, qu'on la reconnaissait facilement pour sa sœur.

Céleste et Gabriel avaient, en se jouant, couronné leurs têtes blondes de violettes et de narcisses sauvages. Ils baignaient leurs beaux pieds nus dans le courant limpide et frais de la rivière; ses eaux transparentes s'arrondissaient en plis argentés autour de leurs jambes, d'une forme et d'une pureté antiques.

Non loin de ce groupe charmant, une colombe privée, blanche comme la neige, lustrait, du bout de son bec rose, son plumage encore humide.

Les deux enfans avaient l'air pensifs et mélancoliques; ils ne se parlaient pas : ils semblaient absorbés dans la contemplation naïve et profonde du délicieux paysage qui se déroulait à leur vue.

- A quoi songes-tu, ma sœur? dit enfin Gabriel en regardant Céleste avec tendresse.

- Je songe à la rencontre que le jeune Tobie fit de l'ange Raphaël; quand done rencontrerons-nous aussi un ange qui nous donnera le secret de guérir la mère de notre mère? ajouta Céleste en soupirant.

-Et moi, ma sœur, dit Gabriel, je pensais à la joie de Joseph lorsqu'il retrouve son frère Benjamin, qu'il aimait tant, et qu'il croyait perdu.

Par ces paroles, on peut juger de l'esprit et de l'éducation de ces deux petits Cevenols..

Ils entendaient chaque soir lire la Bible en famille, selon la coutume protestante. Ils passaient de longues heures dans cette solitude, vé

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