Instruisant la jeunesse aux sévères vertus, Le grand est l'idéal auquel son ame aspire. Devant sa glorieuse voie C'est l'infini qui se déploie; Esprit rêveur, frère du Dante, Voilà pourquoi son front est sombre, De cet infini qu'il rêva; Sa main puissante s'est lassée, Si son ame paraît jalouse, Et que, plus heureux que lui-même, Pourtant à sa force il dut croire, Il contempla dans leur splendeur Semblaient révéler la grandeur. C'est Moïse, luttant encore Les lois écrites dans le ciel! C'est cette heure en douleurs féconde Où sur les ruines du monde L'ange sonne le jugement, Où les morts réduits en poussière Immense comme sa pensée, Vers les cieux, et qui semble unir L'homme prosterné dans Saint-Pierre Et quand il a fini ces œuvres immortelles, Ce qu'il cherche dans l'art ce n'est que l'art lui-même, Il n'ouvre pas son ame à l'encens de la terre: Car cette ame héroïque et pleine de grandeur, Celle qui sut toucher cette nature austère Le monde l'admirait, elle l'abandonna. D'un époux qu'elle aimait quand la mort la fit veuve, Son ame alla vers Dieu dans cette grande épreuve. Elle voua ses jours au service divin; Mais de l'ange exilé le monde se souvint, Car elle avait laissé dans toute l'Italie De ces grands souvenirs que jamais l'on n'oublie. Jeune et belle, elle avait repoussé l'étranger Puis d'un double laurier ceignant son front pudique, Michel-Ange comprit dans leur sublimité Vouant son ame entière au culte qu'elle inspire, Sa tendresse devient l'ineffable mélange De respect et d'amour que l'on accorde à l'ange; Et quand sur lui parfois elle arrête ses yeux, Pour s'y rejoindre ensemble ils se montrent les cieux. La première appelée, elle l'y fut attendre: A celle qui l'entend dans un autre univers Il dit son chaste amour dans la langue des vers; Que lui fait cet éclat, quand ses pures amours, Ne trouve qu'en son cœur l'image de son ange. L'heure où prenant l'essor pour remonter vers Dieu, Sembla lui présager ces jours lents et funèbres Pour l'artiste mourant que l'art consume encore, Se déploie; et portant sur son front de vieillard Mme L. COLET. Critique Littéraire. Lettres d'Héloïse et d'Abailard, Le nom d'Abailard a le singulier privilége de rappeler à l'esprit deux personnalités fort diverses et qui se trouvent rarement unies, à savoir un profond dialecticien qui, en son siècle, passa pour un prodige de science et d'habileté, et une sorte de héros de roman, dont les temps modernes ont plus particulièrement gardé le souvenir. Ce qui ne paraît guère moins étrange, c'est que la renommée philosophique d'Abailard se rattache principalement à sa jeunesse, tandis que son âge mûr fut signalé par le malheur et les évènemens romanesques. A ne le prendre que dans le rôle actif de son intelligence, Abailard doit passer à coup sûr pour un des hommes les plus extraordinaires qui aient paru. Il s'offre à côté de saint Bernard, son heureux et redoutable adversaire, comme la plus grande figure du XIIe siècle, dans le domaine spéculatif. On ne peut oublier que le premier en France, Abailard a proclamé la liberté de la pensée, et jeté comme un éclair de raison lumineuse dans les mystérieuses profondeurs de la théologie. Fondateur de la scolastique, tout à la fois fils de Pélage et père de Descartes, c'est lui qui, par la nouveauté de ses systèmes et la hardiesse de ses méthodes, a posé les bases de cet esprit d'indépendance dont les siècles postérieurs ont tiré les plus belles conséquences et recueilli le fruit. En outre, Abailard, par son savoir, son esprit, son éloquence, répandit le goût des lettres dans une époque ignorante et barbare. Son enseignement suscita en foule des écoles qui, au XIIIe siècle, furent le berceau de l'université de Paris, ce vaste foyer d'instruction où toute l'Europe du moyen-âge vient s'éclairer. (1) Deux vol. in-8° illustrés, chez Houdaille, rue de Richelieu. |