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Instruisant la jeunesse aux sévères vertus,
Aurait pris pour exemple ou Caton ou Brutus!

Le grand est l'idéal auquel son ame aspire.
Dans ses actes toujours c'est le grand qui l'inspire.
Florence va périr: lui, son sublime enfant,
Guerrier improvisé, se lève et la défend!
Héroïque ouvrier, lui qui créera Saint-Pierre,
Il mêle de ses mains le limon et la pierre,
Et cache, sous un fort qu'on n'a jamais soumis,
Sa ville bien-aimée aux soldats ennemis.

Devant sa glorieuse voie

C'est l'infini qui se déploie;
Avec Dieu même il veut lutter,
Et dans des œuvres éternelles
Créer avec ses mains mortelles
Ce que Dieu seul peut enfanter.

Esprit rêveur, frère du Dante,
Ame avide, nature ardente,
Pour lui la gloire est sans douceur,
Car ses plus sublimes ouvrages
N'égalent jamais les images
Que poursuit son regard penseur.

Voilà pourquoi son front est sombre,
Il sent qu'il n'a rendu que l'ombre

De cet infini qu'il rêva;

Sa main puissante s'est lassée,
Mais au niveau de sa pensée
Jamais l'œuvre ne s'éleva!

Si son ame paraît jalouse,
C'est que l'art est sa seule épouse,
Et ses ouvrages ses enfans;
Il craint de perdre ce qu'il aime,

Et que, plus heureux que lui-même,
Ses rivaux ne soient triomphans.

Pourtant à sa force il dut croire,
Lorsque, ceint d'une triple gloire,

Il contempla dans leur splendeur
Trois monumens de son génie
Qui de sa nature infinie

Semblaient révéler la grandeur.

C'est Moïse, luttant encore
Sous le Verbe qui le dévore,
Et répétant dans Israël
L'écho de cette voix divine
Qui lui dictait sur la colline

Les lois écrites dans le ciel!

C'est cette heure en douleurs féconde

Où sur les ruines du monde

L'ange sonne le jugement,

Où les morts réduits en poussière
Trouvent en sortant de leur bière
Le pardon ou le châtiment!

Immense comme sa pensée,
C'est cette coupole élancée

Vers les cieux, et qui semble unir
Sur les ailes de la prière

L'homme prosterné dans Saint-Pierre
Au Dieu qui vient de le bénir.

Et quand il a fini ces œuvres immortelles,
Son génie agrandi déploie encor ses ailes;
A son propre foyer il semble s'embraser,
Il va toujours créant sans jamais s'épuiser;

Ce qu'il cherche dans l'art ce n'est que l'art lui-même,
Sans lui rien demander avec amour il l'aime,
Les louanges du monde expirent sur son seuil,
Il sent l'enthousiasme et dédaigne l'orgueil,

Il n'ouvre pas son ame à l'encens de la terre:
C'est plus haut qu'il s'abreuve et qu'il se désaltère.
Fuyant tout sentiment qui pourrait l'enivrer,
A d'énervans désirs il craint de se livrer;
Et quand il sent l'amour dans toute sa puissance,
C'est un amour divin d'une immortelle essence;

Car cette ame héroïque et pleine de grandeur,
Ne pouvait ressentir qu'une sublime ardeur!

Celle qui sut toucher cette nature austère
Pour le cloître avait fui les grandeurs de la terre.
Descendante des rois, fille des Colonna,

Le monde l'admirait, elle l'abandonna.

D'un époux qu'elle aimait quand la mort la fit veuve, Son ame alla vers Dieu dans cette grande épreuve. Elle voua ses jours au service divin;

Mais de l'ange exilé le monde se souvint,

Car elle avait laissé dans toute l'Italie

De ces grands souvenirs que jamais l'on n'oublie.

Jeune et belle, elle avait repoussé l'étranger
En armant ses vassaux à l'heure du danger;

Puis d'un double laurier ceignant son front pudique,
Muse, elle avait conquis la palme poétique;
Et lorsque le malheur tout à coup la frappa,
Et que son ame en deuil à la gloire échappa,
Dans ce cloître où l'entraîne une douleur profonde,
Vittoria toujours est l'idole du monde.

Michel-Ange comprit dans leur sublimité
Sa touchante vertu, sa sévère beauté;

Vouant son ame entière au culte qu'elle inspire,
A sa sainte amitié chastement il aspire;
Pour elle à tout désir terrestre il dit adieu;
Sentiment éthéré qui l'élève vers Dieu,

Sa tendresse devient l'ineffable mélange

De respect et d'amour que l'on accorde à l'ange;

Et quand sur lui parfois elle arrête ses yeux,

Pour s'y rejoindre ensemble ils se montrent les cieux.

La première appelée, elle l'y fut attendre:
Alors pour la pleurer sa voix devint plus tendre;
On eût dit qu'il avait, dans des adieux touchans,
Reçu d'elle sa lyre et l'esprit de ses chants;
Il sent, dans la douleur dont son ame est saisie,
A ses lèvres monter des flots de poésie;

A celle qui l'entend dans un autre univers

Il dit son chaste amour dans la langue des vers;
Et le monde, attentif aux accens qu'il répète,
Sur son front pose encor le laurier du poète.

Que lui fait cet éclat, quand ses pures amours,
Charme de sa vieillesse et de ses sombres jours,
Remontent vers le ciel, et que, seul sur la terre,
Il porte dans son deuil sa gloire solitaire?
Ici-bas, du regard il cherche tristement
Son étoile perdue au sein du firmament.
Parfois elle lui jette une lueur subite,
Comme pour lui montrer la sphère qu'elle habite;
Mais tandis qu'ébloui par ce rayon divin
Au lumineux sillon il se suspend en vain,
L'étoile disparaît, et l'œil de Michel-Ange

Ne trouve qu'en son cœur l'image de son ange.

L'heure où prenant l'essor pour remonter vers Dieu,
Lumière de sa vie, elle lui dit adieu,

Sembla lui présager ces jours lents et funèbres
Où son regard se perd à travers les ténèbres,
Et voit cet univers ainsi qu'un astre éteint
S'éclipser à jamais dans la nuit qui l'atteint.

Pour l'artiste mourant que l'art consume encore,
Quand tout s'évanouit, quand tout se décolore,
La mort est sans horreurs et sans obscurité;
C'est un vol vers le ciel d'où jaillit la clarté.
Le Christ, dont tant de fois il retraça l'image,
Vient adoucir pour lui ce douloureux passage;
Son ame radieuse à l'heure du départ

Se déploie; et portant sur son front de vieillard
Un siècle de grandeur, un siècle de souffrance,
Il accepte la mort comme une délivrance.

Mme L. COLET.

Critique Littéraire.

Lettres d'Héloïse et d'Abailard,
TRADUCTION DE M. ODDOUL (1).

Le nom d'Abailard a le singulier privilége de rappeler à l'esprit deux personnalités fort diverses et qui se trouvent rarement unies, à savoir un profond dialecticien qui, en son siècle, passa pour un prodige de science et d'habileté, et une sorte de héros de roman, dont les temps modernes ont plus particulièrement gardé le souvenir. Ce qui ne paraît guère moins étrange, c'est que la renommée philosophique d'Abailard se rattache principalement à sa jeunesse, tandis que son âge mûr fut signalé par le malheur et les évènemens romanesques. A ne le prendre que dans le rôle actif de son intelligence, Abailard doit passer à coup sûr pour un des hommes les plus extraordinaires qui aient paru. Il s'offre à côté de saint Bernard, son heureux et redoutable adversaire, comme la plus grande figure du XIIe siècle, dans le domaine spéculatif. On ne peut oublier que le premier en France, Abailard a proclamé la liberté de la pensée, et jeté comme un éclair de raison lumineuse dans les mystérieuses profondeurs de la théologie. Fondateur de la scolastique, tout à la fois fils de Pélage et père de Descartes, c'est lui qui, par la nouveauté de ses systèmes et la hardiesse de ses méthodes, a posé les bases de cet esprit d'indépendance dont les siècles postérieurs ont tiré les plus belles conséquences et recueilli le fruit. En outre, Abailard, par son savoir, son esprit, son éloquence, répandit le goût des lettres dans une époque ignorante et barbare. Son enseignement suscita en foule des écoles qui, au XIIIe siècle, furent le berceau de l'université de Paris, ce vaste foyer d'instruction où toute l'Europe du moyen-âge vient s'éclairer.

(1) Deux vol. in-8° illustrés, chez Houdaille, rue de Richelieu.

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