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sieurs se sont bien gardés d'en emprunter l'esprit, la grace, et ce charme de désinvolture qui distingue toutes les compositions de l'heureux auteur de Lauzun.

-L'Ambigu-Comique a donné, pour les débuts de M. Bocage, Christophe le Suédois, drame en cinq actes de M. Bouchardy. Ce drame a commencé à sept heures du soir et a fini à deux heures du matin. Durant cette longue représentation, M. Bocage s'est continuellement montré l'acteur énergique et puissant que nous avons si long-temps applaudi sur des scènes et dans des ouvrages plus dignes de son talent.

Les dernières livraisons du grand ouvrage à gravures, les Anciennes tapisseries historiées, publié par MM. Jubinal et de Sansonetti, viennent de paraître; elles se composent des tapisseries de la cathédrale de Beauvais, de l'église Saint-Remi de Reims et de la collégiale de Berne. Rien n'est plus bizarre et plus curieux que toutes ces histoires des xv et xvIe siècles, qui se déroulent sur la laine et la soie, accompagnées de légendes bizarres. La pose et la physionomie des personnages sont pleines de naturel et de dignité; leurs costumes sont très exacts et très riches. Des tapisseries sont d'importans modèles pour nos artistes auxquels nous recommandons de les consulter; ils y trouveront une foule de renseignemens utiles sur les armes, les meubles, l'architecture. Il n'est aucune des cent vingt-trois planches de ce livre qui ne puisse leur fournir des documens curieux.

Une nouvelle édition des Poésies d'André Chénier vient d'être mise en vente par l'éditeur Charpentier. Elle est beaucoup plus complète que toutes les précédentes, et contient les poésies récemment retrouvées par M. SainteBeuve. Ce qui ajoute d'ailleurs un grand prix à cette édition, c'est le portrait d'André Chénier qui l'accompagne, et qui est publié pour la première fois. La physionomie d'André Chénier, telle que nous l'offre ce portrait, rappelle heureusement le chantre de la Jeune Captive et la Jeune Malade; et si on y remarque une expression de tristesse amère et d'indignation contenue, c'est que l'original fut peint à Saint-Lazare, au plus fort de la terreur, alors qu'une noble colère inspirait au poète ses derniers accens. Les traditions de la famille d'André nous apprennent qu'il résista long-temps à ce que Surée, détenu comme lui, fit son portrait, et qu'il fallut les plus vives sollicitations de sa mère et de ses amis pour vaincre la résistance du poète.

F. BONNAIRE.

LE

GENTILHOMME CAMPAGNARD.

Ceux qui sont amoureux d'anecdotes héraldiques, se transmettent le récit d'une petite aventure qui fit quelque bruit à Versailles, un peu avant le mariage de Louis XVI.

Il s'agissait, chose grave dans la cour la plus cérémonieuse de l'Europe, après la cour de Madrid, de régler le nombre et le rang des personnes qui monteraient dans les carrosses du roi. Après des conférences aussi longues et aussi orageuses que celles qui avaient eu lieu, un peu moins d'un siècle auparavant, entre le duc de Medina Sidonia et le comte de Marchin, pour savoir si le repas de noces du roi d'Espagne, Philippe V, et de Marie de Savoie, serait fait par des cuisiniers espagnols ou par des cuisiniers français, on s'arrêta lâchement à un moyen dilatoire, qui écartait la difficulté des désignations personnelles, et l'on rédigea un projet d'ordonnance portant qu'on ne serait admis dans les carrosses du roi, que sur l'exhibition de titres établissant clairement trois cents ans de noblesse.

Les gentilshommes de la cour furent fort satisfaits d'un projet de décision qui les mettait, dans leur idée, en possession incontestée d'un privilége fort beau un jour de noces royales; et l'avis de l'ordonnance future circula, par l'intermédiaire des gouverneurs de provinces, du château de Versailles à la dernière bicoque du royaume

TOME XI. NOVEMBRE.

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sieurs se sont bien gardés d'en emprunter l'esprit, la grace, et ce charme de désinvolture qui distingue toutes les compositions de l'heureux auteur de Lauzun.

-L'Ambigu-Comique a donné, pour les débuts de M. Bocage, Christophe le Suédois, drame en cinq actes de M. Bouchardy. Ce drame a commencé à sept heures du soir et a fini à deux heures du matin. Durant cette longue représentation, M. Bocage s'est continuellement montré l'acteur énergique et puissant que nous avons si long-temps applaudi sur des scènes et dans des ouvrages plus dignes de son talent.

Les dernières livraisons du grand ouvrage à gravures, les Anciennes tapisseries historiées, publié par MM. Jubinal et de Sansonetti, viennent de paraître; elles se composent des tapisseries de la cathédrale de Beauvais, de l'église Saint-Remi de Reims et de la collégiale de Berne. Rien n'est plus bizarre et plus curieux que toutes ces histoires des xve et xvIe siècles, qui se déroulent sur la laine et la soie, accompagnées de légendes bizarres. La pose et la physionomie des personnages sont pleines de naturel et de dignité; leurs costumes sont très exacts et très riches. Des tapisseries sont d'importans modèles pour nos artistes auxquels nous recommandons de les consulter; ils y trouveront une foule de renseignemens utiles sur les armes, les meubles, l'architecture. Il n'est aucune des cent vingt-trois planches de ce livre qui ne puisse leur fournir des documens curieux.

Une nouvelle édition des Poésies d'André Chénier vient d'être mise en vente par l'éditeur Charpentier. Elle est beaucoup plus complète que toutes les précédentes, et contient les poésies récemment retrouvées par M. SainteBeuve. Ce qui ajoute d'ailleurs un grand prix à cette édition, c'est le portrait d'André Chénier qui l'accompagne, et qui est publié pour la première fois. La physionomie d'André Chénier, telle que nous l'offre ce portrait, rappelle heureusement le chantre de la Jeune Captive et la Jeune Malade; et si on y remarque une expression de tristesse amère et d'indignation contenue, c'est que l'original fut peint à Saint-Lazare, au plus fort de la terreur, alors qu'une noble colère inspirait au poète ses derniers accens. Les traditions de la famille d'André nous apprennent qu'il résista long-temps à ce que Surée, détenu comme lui, fit son portrait, et qu'il fallut les plus vives sollicitations de sa mère et de ses amis pour vaincre la résistance du poète.

F. BONNAIRE.

LE

GENTILHOMME CAMPAGNARD.

Ceux qui sont amoureux d'anecdotes héraldiques, se transmettent le récit d'une petite aventure qui fit quelque bruit à Versailles, un peu avant le mariage de Louis XVI.

Il s'agissait, chose grave dans la cour la plus cérémonieuse de l'Europe, après la cour de Madrid, de régler le nombre et le rang des personnes qui monteraient dans les carrosses du roi. Après des conférences aussi longues et aussi orageuses que celles qui avaient eu lieu, un peu moins d'un siècle auparavant, entre le duc de Medina Sidonia et le comte de Marchin, pour savoir si le repas de noces du roi d'Espagne, Philippe V, et de Marie de Savoie, serait fait par des cuisiniers espagnols ou par des cuisiniers français, on s'arrêta lâchement à un moyen dilatoire, qui écartait la difficulté des désignations personnelles, et l'on rédigea un projet d'ordonnance portant qu'on ne serait admis dans les carrosses du roi, que sur l'exhibition de titres établissant clairement trois cents ans de noblesse.

Les gentilshommes de la cour furent fort satisfaits d'un projet de décision qui les mettait, dans leur idée, en possession incontestée d'un privilége fort beau un jour de noces royales; et l'avis de l'ordonnance future circula, par l'intermédiaire des gouverneurs de provinces, du château de Versailles à la dernière bicoque du royaume

TOME XI. NOVEMBRE.

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en possession du droit de girouette et du droit de mare empoissonnée. Or, vingt-cinq ou trente jours après l'avis, juste le temps qu'il fallait, en ce temps-là, pour franchir les boues qui séparaient la ville de Paris des montagnes du Dauphiné ou des bruyères de la Bretagne, il arriva de tous les côtés, à Versailles, une nuée de gentilshommes campagnards, crottés et inconnus, vêtus la plupart à la vieille mode, et portant d'énormes havresacs remplis de parchemins enfumés, lesquels établissaient des généalogies claires et triomphantes de quatre, de cinq, de six siècles révolus; si bien que les carrosses du roi n'auraient même pas suffi à contenir cette noblesse sortie de terre, offrant deux ou trois siècles de luxe, par delà les quartiers exigés par le projet d'ordonnance.

Il n'y avait plus, dans le nouvel état de la question, dix gentilshommes de la cour qui pussent monter dans les carrosses. On renvoya les hôtes malencontreux qu'on s'était attirés de si loin, et l'on abandonna l'ordonnance.

Cette population étrange, évoquée ainsi tout à coup par un débat d'étiquette, et effrayant Versailles par une invasion de parchemins; ces mines sérieuses et raides, empanachées de vieux titres, comme un orme de lierres grimpans; ces hommes qui traînent après eux un long passé de gloire modeste, qui ont assisté, par quelqu'un de leurs ancêtres, à toutes les batailles de l'Occident, depuis Bouvines, se contentant d'honorer la France et de mourir inconnus, comme ces artistes sans nom qui ont ciselé les clochetons des cathédrales; cette race dont la raillerie moderne gourmande les fières allures, comme les mignons de Louis XIII faisaient du pourpoint de Sully, n'est pas encore disparue du sol que ses ancêtres ont conquis par la lance, gouverné par la seigneurie, civilisé par la loi. Elle affectionne toujours une demeure en pleine campagne, comme ces nobles de l'Attique que Thésée attira sur l'Acropolis; elle vit toujours isolée, à la manière des grandes espèces de la création, tour à tour aigle sur son rocher, lion dans ses bois.

Il faut même dire que ce qui a distingué extérieurement, en tout temps et en tout pays, le gentilhomme du bourgeois, c'est que le gentilhomme vit seul, et que le bourgeois vit par troupes. Cette différence radicale dans les mœurs s'est reproduite jusque dans les institutions et jusque dans les monumens. Au moyen-âge, la justice noble des villages était rendue par un seigneur; la justice bourgeoise des villes était rendue par un jury. A toute époque, les gentilshommes ont bâti des châteaux séparés, et les bourgeois des maisons réunies

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