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temps concentrée dans le Cabinet, ne pouvait manquer à la longue d'acquérir une malheureuse publicité. Joignez à cela le mécontentement de l'armée', dont les plaintes n'ont cessé de frapper les oreilles des Princes pendant toute la durée de leurs voyages dans les départements; le malaise qu'entretenaient toutes les réclamations contre l'insuffisance de la police; enfin les délations multipliées contre des hommes que leurs intentions et leurs discours signalent, peut-être sans fondement, mais non sans vraisemblance, comme les instigateurs des complots les plus dangereux; tout, jusqu'aux mesures de sûreté que le dévouement des commandants militaires a rendues trop ostensibles, a dù produire une impression dont les étrangers peuvent profiter sans y avoir

concouru.

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a une importance gênante et dont la surveillance vitrolique est fort désagréable.....

« Les acquéreurs de biens nationaux se coalisent, se préparent à travailler les élections et à se faire nommer. Leur fortune en dépend; on veut les dépouiller, si on ne peut de leurs biens, du moins de leur honneur.▾ Le 1er novembre 1814, d'Hauterive écrit :

« Une nouvelle querelle vient de s'élever entre l'abbé de Montesquiou et M. Beugnot. Le premier a autorisé les préfets à faire arrêter les agents que celui-ci a envoyés à l'insu du ministre dans les départements pour étudier ce qu'on appelle l'opinion publique, mais, comme l'écrivent les préfets, sous-préfets, maires, etc., etc., pour les espionner et dénaturer leur conduite par des rapports mensongers; il y a toujours une grande haine entre ces deux magistrats. L'abbé de Montesquiou s'en explique très-ouver

tement.

1. On rapporte comme certain, et cela vient des principaux personnages des bureaux de la guerre, qu'un régiment d'infanterie de la garde a brùlé ses aigles, recueilli leurs cendres, et que chaque soldat en a avalé une partie en vidant une large coupe de vin à la santé de Bonaparte. »

(D'Hauterive à Talleyrand, 14 novembre 1814.)

Cet état de choses vous expliquera, prince, les motifs impérieux auxquels le Roi a pensé devoir céder en faisant un changement partiel dans son ministère. C'est hier que Sa Majesté a fait connaître sa résolution sur cet objet. Tout en rendant justice au zèle et aux bonnes intentions de M. le comte Dupont, Elle a reconnu que l'armée, imputant peutêtre à ce ministre des torts que les embarras du moment rendaient inévitables, appelait de tous ses vœux un autre système, et le Roi a jeté les yeux sur M. le duc de Dalmatie, pour lui confier le portefeuille de la guerre. Ce choix, dans lequel Sa Majesté a été dirigée par le désir de rétablir dans ses troupes la soumission, la confiance et le zèle si nécessaires au maintien de la puissance nationale, vous paraîtra sans doute conforme aux principes qu'Elle a invariablement suivis.

Le ministère de la marine donné au comte Beugnot, et la direction générale de la police remise à M. d'André, sont les autres mutations dans lesquelles le Roi a voulu chercher les moyens de remplir l'attente publique.

Vous penserez sans doute, prince, que ce changement, peu considérable lorsqu'on l'envisage dans son rapport avec la composition du conseil, n'en doit pas moins amener des résultats importants. En effet, l'esprit de l'armée et la sécurité de la police sont devenus tellement les principes conservateurs de l'opinion, que, sous ce point de vue, la détermination du Roi acquiert le plus grand intérêt. C'est à vous que Sa Majesté s'en remet pour présenter à Vienne cet événement sous son véritable jour, et pour le faire considérer non comme une révolution minis

térielle, mais plutôt comme un accroissement de force et de lumière dans le Gouvernement. Le Roi regrette vivement qu'au lieu d'avoir à confier cette tâche à vos soins, il ne puisse vous voir près de lui, offrir une preuve de plus à l'appui de l'opinion favorable qu'il désire donner de son ministère'. Sa Majesté sent néanmoins toute la vérité des observations que vous lui faites sur l'effet avantageux qu'ont produit vos continuels efforts. Il serait au reste possible que les affaires, prenant une marche plus rapide, vous retinssent moins de temps que vous ne nous le faites craindre, et pour moi je désire fort que votre retour soit plus prochain que vous ne semblez l'espérer.

No 15.

XXVII

Vienne, 7 décembre 1814.

SIRE,

Cette lettre que j'ai l'honneur d'écrire à Votre Majesté sera courte. Je ne sais que depuis un moment les faits

1 M. de Jaucourt écrit le 10 décembre : Nous ne nous affermissons pas dans les principes d'un gouvernement représentatif, de la solidarité des ministres et de l'espèce d'autorité et d'indépendance ministérielle sans laquelle la responsabilité n'est plus qu'une entrave et un obstacle à tout service public.

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dont je vais lui rendre compte : je les substitue à d'autres moins intéressants et plus vagues que j'avais recueillis.

On me dit, et j'ai toute raison de croire, qu'un courrier arrivé cette nuit a apporté à lord Castlereagh et à M. de Munster l'ordre de soutenir la Saxe (j'ignore encore jusqu'où et si c'est dans toute hypothèse, ou seulement dans une supposition donnée). On ajoute que dès ce matin lord Castlereagh a adressé à M. de Metternich une note qui le lui annonce, et que le comte de Munster, qui a toujours été, mais un peu timidement, de notre avis sur la Saxe, va se prononcer sur cette question avec beaucoup de force. Le prince de Wrède doit avoir lu la note de lord Castlereagh chez M. de Metternich.

Avant-hier matin, M. de Metternich eut avec l'Empereur Alexandre un entretien dans lequel on mit de part et d'autre

le plus que l'on put de subtilités et de ruses, et qui n'aboutit

à rien. Mais comme M. de Metternich avait déclaré que son Maitre ne consentirait jamais à abandonner la Saxe à la Prusse, l'Empereur Alexandre, voulant s'assurer s'il lui avait dit la vérité, aborda le soir, après le carrousel, l'Empereur François, et lui dit : « Dans le temps actuel, nous autres Souverains, nous sommes obligés de nous conformer au vœu des peuples et de le suivre. Le vœu du peuple saxon est de ne point être partagé. Il aime mieux appartenir tout entier à la Prusse que si la Saxe était divisée ou morcelée. » L'Empereur François lui répondit : « Je n'entends rien à cette doctrine; voici quelle est la mienne : Un prince peut, s'il le veut, céder une partie de son pays et tout son peuple; s'il abdique, son droit passe à ses héri

tiers légitimes. Il ne peut pas les en priver, et l'Europe entière n'en a pas le droit. Cela n'est pas conforme aux lumières du siècle, dit l'Empereur Alexandre. C'est mon opinion, répliqua l'Empereur d'Autriche; ce doit être celle de tous les Souverains et conséquemment la vôtre. Pour moi, je ne m'en départirai jamais. »

Cette conversation, qui m'a été rapportée de la même manière par deux personnes différentes, est un fait sûr. On avait donc eu raison de dire que l'Empereur d'Autriche avait sur l'affaire de la Saxe une opinion qui ne laissait plus à M. de Metternich le choix de la défendre ou de l'abandonner, et ce n'était pas sans fondement que le ministre saxon se flattait qu'elle ne serait point abandonnée.

On prétend que l'Empereur Alexandre a dit qu'une seule conversation avec l'Empereur François valait mieux que dix conversations avec M. de Metternich, parce que le premier s'exprimait nettement, et que l'on savait à quoi s'en tenir.

Les Princes d'Allemagne qui se sont réunis pour aviser au moyen de défendre leurs droits contre les projets qu'ils connaissent ou qu'ils supposent à la commission chargée des affaires allemandes, vont, je l'espère, émettre un vœu motivé pour la conservation de la Saxe. Le maréchal de Wrède, auquel la plupart se sont adressés, leur a dit qu'ils devaient se presser, que le moment était favorable. Il leur a promis que la Bavière y donnerait son adhésion : le Wurtemberg, au contraire, se range pour le moment du côté de la Prusse. C'est le Prince royal, amoureux de la grande-duchesse Catherine, qui a influé sur cette nouvelle

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