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XXVIII

No 11.

DU ROI AU PRINCE DE TALLEYRAND

10 décembre 1814.

Mon Cousin, j'ai reçu votre numéro 14. Vous avez fort bien interprété mon intention au sujet du canton d'Argovie; j'aimerais assurément beaucoup mieux que la Suisse redevint ce qu'elle fut jadis', mais je ne veux pas l'impossible, et pourvu que le canton de Berne soit satisfait, autant qu'il peut l'être vu les circonstances, je le serai aussi. Quant au prince-évêque de Bâle, je ne m'étais pas rappelé le dernier recès de l'Empire, mais je vois qu'il a tranché la question à son égard, et je n'ai plus d'objections contre les dispositions à faire du Porentruy.

J'ai lu avec intérêt, et je conserverai avec soin, les pièces que vous m'avez envoyées; lord Castlereagh parle trèsbien relativement à la Pologne; mais sa note du 11 octobre fait grand tort à son langage. Si cependant il réussissait à persuader l'Empereur de Russie, ce serait d'un grand avantage pour la Saxe; mais je n'y vois guère d'apparence, et il faut continuer à marcher dans notre ligne.

1 Avant 1789, la Suisse formait la république des treize cantons; elle compte aujourd'hui vingt-deux cantons.

Vous connaissez le prince Czartoryski; je le connais aussi; le choix que l'Empereur Alexandre a fait de lui pour intermédiaire me fait croire que Sa Majesté Impériale voudrait plutôt me rapprocher d'Elle que se rapprocher de moi. Continuez néanmoins ces conférences, en continuant également à suivre mes intentions; il n'en pourra résulter aucun mal, et peut-être feront-elles quelque bien.

J'aime à croire que c'est par frayeur que Murat fait le fanfaron' ne perdons cependant jamais de vue que s'il existe une ressource à Buonaparte, c'est en Italie, par le moyen de Murat, et qu'ainsi, delenda est Carthago. Sur quoi, etc.

No 16.

XXIX

Vienne, 15 décembre 1814.

SIRE,

La note par laquelle les Princes allemands du second et du troisième ordre devaient manifester leurs vœux pour

1 Murat avait fait offrir ses services à Louis XVIII par le marquis de Saint-Élie, qui disait à Jaucourt en novembre 1814: Je puis vous assurer encore une fois que le dévouement du Roi de Naples au Roi de France, dévouement qui est à la disposition du Roi, peut seul garantir l'exécution des vues du prince de Talleyrand.

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(Jaucourt à Talleyrand, 27 novembre 1814.)

la conservation de la Saxe était sur le point d'être signée; elle ne l'a point été et ne le sera pas '.

Le duc de Cobourg était à la tête de ces Princes. Sa conduite ne saurait être trop louée.

L'une de ses sœurs est mariée au grand-duc Constantin. Son frère puîné est aide de camp du grand-duc et généralmajor au service de Russie. Lui-même a porté dans la dernière campagne l'uniforme russe. Fort avant dans les bonnes grâces de l'Empereur Alexandre, il est lié intimement avec le Roi de Prusse. Leur ressentiment pouvait lui paraître à craindre, s'il contrariait leurs desseins; et d'un autre côté il avait toute raison d'espérer que si la Saxe venait à être sacrifiée, il pourrait en obtenir quelques lambeaux. Tous ces motifs n'ont pu faire taire en lui la voix de la reconnaissance et celle de la justice, ni lui faire

'e projet de réclamation en faveur du Roi de Saxe, signé par les mi1 es des maisons princières de l'Allemagne réunis à Vienne, était trèsfo. .ement motivé.

Une voix générale s'est élevée, non-seulement en Allemagne, mais dans toute l'Europe, en faveur du Roi de Saxe. Son rétablissement devait sans doute marcher de pair avec celui de la paix. On craindrait de blesser la délicatesse des Monarques, en doutant un instant de la part vive qu'ils prennent au sort de leur infortuné frère, et plus encore en croyant qu'on pût priver une famille entière des droits de succession les plus sacrés, et sanctionner dans l'histoire moderne de la patrie un acte de violence dont l'ancienne n'offre aucun exemple.

H

Certes, s'il est constant qu'aucun Prince de l'Empire ne pouvait être condamné que par un jugement de ses pairs; que l'on a sévèrement réclamé contre des entreprises contraires de la part des Souverains légitimes de l'Allemagne, on devrait bien moins encore craindre de nos jours pareille tentative de la part de ses co-États. Qu'on traite le grand-duché de Varsovie en pays conquis, et comme un sacrifice expiatoire d'un moment d'erreur ou de faiblesse; qu'on conteste même la légitimité de sa création, mais

oublier ce qu'il devait à sa maison et à son pays. Lorsqu'en 1807, après la mort du duc son père, ses possessions furent séquestrées parce qu'il était dans le camp des Russes, et que Buonaparte voulait le proscrire, il fut protégé par l'intercession du Roi de Saxe. Depuis, le Roi avait été le maitre d'étendre sa souveraineté sur tous les duchés de Saxe, et il l'avait refusé. A son tour, le duc s'est montré zélé défenseur de la cause du Roi. Il l'avait fait plaider à Londres par le duc Léopold, son frère, qui avait trouvé le Prince-Régent dans les dispositions les plus favorables. Il l'a plaidée ici auprès des Souverains et de leurs ministres. Il est allé jusqu'à remettre en son nom à lord Castlereagh

un pareil titre d'acquisition peut-il être jamais appliqué à une principauté de l'Allemagne? Et le premier article de chaque traité de paix, dans la pratique du droit des gens, n'est-il pas amnistie et restitution dans l'état avant la guerre? Quel est le Prince, auquel les titres les plus sacrés, les plus solennels, pourraient garantir l'héritage de ses aïeux, son berceau même, si la convenance seule pouvait le lui arracher ou même le forcer à quelque échange hautement réprouvé par ses sujets, qui réclamerait leur ancien Maître?

Lorsqu'au dernier siècle, les Princes d'Allemagne, alarmés par l'appréhension de l'échange de la Bavière, en vertu duquel une des antiques corporations germaniques devait, contre son vœu, être soumise à une dynastie étrangère, et qui pouvait déranger l'équilibre des Etats particuliers de l'Empire, sc rallièrent sous les drapeaux du grand Frédéric, dans une fédération plus étroite, à l'effet de protéger la propriété contre des systèmes d'arrondissement et les projets de convenances, on ne se crut pas autorisé à contester la légitimité de cette précaution, et la Bavière lui dut sa conservation.

« Si l'Allemagne est la clef de voûte de l'édifice politique de l'Europe, la Saxe est la pierre angulaire de la nouvelle fédération en cette partie. La lui enlever, serait ébranler le nouvel édifice dans ses fondements, et nous croyons exprimer le vœu unanime de toutes les parties intégrantes de la nation allemande, en disant hautement: Sans la Saxe libre et indépendante, point d'Allemagne fédérative solide.

un mémoire' où il combattait ses raisonnements, et qu'il avail concerté avec nous.

Informé par le duc de Weimar de la note qui se préparait, l'Empereur Alexandre a fait appeler le duc de Cobourg, et l'a accablé de reproches, tant pour le mémoire qu'il avait remis à lord Castlereagh que pour ses démarches récentes, l'accusant d'intrigue, lui citant la conduite du duc de Weimar comme un modèle qu'il aurait dû suivre, lui disant que s'il avait des représentations à faire, c'était au prince de Hardenberg qu'il aurait dù les adresser, et lui déclarant qu'il n'obtiendrait rien de ce qui lui avait été promis.

Le duc a été noble et ferme; il a parlé de ses droits comme prince de la Maison de Saxe et de ses devoirs comme prince allemand et comme homme d'honneur. Il ne se croyait pas libre de ne pas les remplir; si le duc de Weimar en jugeait autrement, il ne pouvait que le plaindre. Du reste, il avait, dit-il, compromis deux fois son existence par attachement pour Sa Majesté Impériale; s'il fallait aujourd'hui la sacrifier pour l'honneur, il était prêt.

D'un autre côté, les Prussiens, leurs émissaires, et particulièrement le prince royal de Wurtemberg, ont intimidé une partie des ministres allemands en déclarant qu'ils tiendraient pour ennemis tous ceux qui signeraient quelque chose en faveur de la Saxe.

Voilà pourquoi la note n'a point été signée; mais on sait

1 V. D'ANGEBERG, p. 376.

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