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LII

No 22.

LE ROI AU PRINCE DE TALLEYRAND

11 février 1815.

Mon Cousin, j'ai reçu votre numéro 25. L'éloge que lord Castlereagh a fait de l'Empereur d'Autriche serait flatteur pour un particulier; mais, donné à un Souverain qui vient de montrer une grande faiblesse, il ressemble à l'ironie. Quant à moi, je dois sûrement être satisfait, vu l'état où étaient les choses il y a quatre mois, du sort du Roi de Saxe; mais j'avais espéré mieux de l'Empereur François, et je serai inquiet jusqu'à ce que je voie du moins son dernier plan définitivement adopté.

La pièce jointe à votre dépêche n'est rien moins que rassurante pour le Roi de Naples, auquel je prends un bien autre intérêt qu'à celui de Saxe; mais quoiqu'elle dévoile les secrets de la politique la plus dégoûtante dont jamais on ait ouï parler, elle ne me décourage point, et je reste persuadé qu'avec l'inébranlable ténacité dont je ne me

1 Le traité du 11 janvier 1814, du Roi de Naples avec l'Autriche, par lequel l'Autriche garantissait au Roi Joachim la souveraineté de son Royaume et lui promettait la même garantie de la part des autres coalisés, comme aussi la renonciation de Ferdinand IV à ses droits sur Naples.

départirai jamais, nous finirons par détruire le scandale et le danger de Murat.

Je suis étonné que le duc de Wellington ne fût pas encore arrivé à Vienne le 1er de ce mois; mais j'imagine qu'il n'aura pas tardé; ainsi, je suppose que lord Castlereagh sera ici vers la fin de la semaine prochaine. A dire le vrai, je ne suis pas très-édifié de sa conduite au Congrès; mais je suis avec trop de raison attaché à l'union que je viens de former, pour ne pas faire en sorte qu'il reparte content de moi. Sur quoi, ele.

No 27.

LIII

Vienne, 15 février 1815.

SIRE,

Lord Castlereagh se met en route aujourd'hui 15, et, quoique devant coucher toutes les nuits, il compte arriver à Paris le huitième jour de son voyage'. Il y passera la journée entière du lendemain, et repartira le jour suivant, pour être à Londres le 1" ou le 2 de mars.

Le sort du duché de Varsovie, celui de la Saxe, ce qu'on

1 On lit dans le Moniteur universel du 27 février 1815: Lord Castlereagh est arrivé hier soir à Paris. Son Excellence a cu aujourd'hui une audience particulière du Roi.

appelle ici la reconstruction de la Monarchie prussienne, les accroissements que devait recevoir le Hanovre, la circonscription des Provinces-Unies, qui prendront le nom de Royaume des Pays-Bas, sont des points maintenant entièrement réglés. C'étaient les plus difficiles et les seuls qui pussent amener la guerre. Lord Castlereagh porte donc en Angleterre l'assurance que la paix sera conservée.

La Saxe reste avec environ treize cent mille âmes'. Le Roi, auquel il a été expédié un courrier, sera, vers la fin de ce mois, non à Presbourg (j'ai représenté que le choix de ce séjour paraîtrait un exil), mais à Brünn, sur la route de Vienne, où rien ne l'empêchera d'arriver dès qu'il aura donné son consentement aux cessions convenues par les puissances.

Le duché de Luxembourg avec le pays de Limbourg et quelques territoires adjacents sont donnés au prince d'Orange comme indemnité de ses anciens pays héréditaires qu'il cède à la Prusse2, et celle-ci ne touche notre frontière sur aucun point3, ce qui semblait à Votre Majesté très-impor

1

La partie du Royaume de Saxe qui est conservée, jointe aux territoires des Maisons ducales, présente une masse de deux millions d'habitants qui sépare les Monarchies prussienne et autrichienne. ▾

(Talleyrand au Département, 8 février 1815.)

2 M. Himly dit dans son Histoire de la formation des États de l'Europe centrale, t. II, p. 509 : « On voulait faire de Luxembourg l'équivalent des possessions patrimoniales allemandes abandonnées par la ligne de NassauOrange et en assurer la réversibilité à la ligne de Nassau-Nassau. Voilà pourquoi on ne le supposa adjoint au Royaume des Pays-Bas que par une union personnelle, tellement personnelle qu'on autorisa le Roi à le transmettre à l'un quelconque de ses fils. »

3 Les événements de 1815 semblent avoir décidé les puissances à établir le contact immédiat de la Prusse et de la France.

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tant. Le duché de Luxembourg reste d'ailleurs pays allemand, et la place de Luxembourg sera une place fédérale.

Des rétrocessions demandées par l'Autriche à la Bavière, et des équivalents à donner à celle-ci, sont la chose la plus importante et même la scule importante qui, en fait d'arrangements territoriaux, reste à régler en Allemagne '. Les deux Cours, chacune de son côté, réclament notre appui. L'une ne veut rien céder que contre un équivalent parfait, et ne veut point abandonner des choses que l'autre désire ardemment d'avoir. Nous avons, par des motifs différents, un intérêt presque égal à les ménager toutes deux, ce qui rend le rôle d'arbitre délicat. J'espère néanmoins que les difficultés qu'il peut offrir ne seront point au-dessus de nos efforts.

Quant aux arrangements territoriaux en Italie, la commission chargée d'en préparer le plan avait proposé de rendre à la Reine d'Étrurie Parme, Plaisance et Guastalla, les Légations au Saint-Siége, et de donner au grand-duc de Toscane, Lucques, l'État des Présides, la Souveraineté sur Piombino, et la réversion de l'ile d'Elbe. L'Archiduchesse Marie-Louise n'aurait eu qu'une pension payée par

La question de la rétrocession des quartiers de l'Inn et du Haussruck, du duché de Salzbourg et de Berchtolsgaden, avait été renvoyée au Congrès de Vienne, qui ne la trancha pas d'une manière définitive.

La Bavière, par le traité de Munich, le 14 avril 1816, accepta comme indemnité des territoires disponibles sur les deux rives du Rhin. Encore se refusa-t-elle à céder Berchtolsgaden, qu'elle possède encore. (Voir HIMLY, t. I, p. 461.)

Le principe de ces arrangements territoriaux de la Bavière avec l'Autriche avait été posé à Paris même.

la Toscane, et des fiefs relevant autrefois de l'Empire germanique, appartenant encore au grand-duc de Toscane, auquel le recès de l'Empire les avait donnés, comme complément d'indemnité. Ces fiefs, situés en Bohême, donnent un revenu de quatre cent mille florins. Ce plan avait été présenté sous notre influence; on y trouvait deux avantages, l'un de diminuer en Italie le nombre des petites Souverainetés, et l'autre, beaucoup plus essentiel, celui d'en éloigner le fils de l'Archiduchesse et de lui ôter toute expectative de souveraineté.'

L'Autriche a été plus d'un mois sans s'expliquer'. L'Empereur s'est enfin décidé à rendre les duchés à la Reine d'Étrurie, ne pouvant point, a-t-il dit, convenablement garder pour lui ou les siens un des États de la Maison de Bourbon, avec laquelle son intérêt et son désir étaient d'être bien. Mais sachant que sa fille tenait à avoir un établissement indépendant, il a désigné Lucques et a chargé son ministre de négocier cette affaire avec l'Archiduchesse, lui donnant à cet effet des instructions qui renfermaient les arguments qu'il devait employer. M. de Metternich a fait, d'après ces dispositions de l'Empereur, un contre-projet qu'il nous a remis, et qui, à peu de chose près, nous convient, puisque le fils de l'Archiduchesse n'y est pas nommé et que la réversibilité de Lucques serait à l'Autriche ou à la Toscane. Quoique nous ayons pourtant plusieurs objections à faire, j'ai cru apercevoir dans ma

1

"

Les affaires d'Italie n'ont point avancé; elles s'arrêtent toutes dans les bureaux de M. le prince de Metternich. •

(Lettre des plénipotentiaires français au Département, 24 janvier 1815.)

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