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No 36.

LXIX

Vienne, 15 mars 1815.

SIRE,

Le numéro 35 de mes lettres ne parviendra à Votre Majesté qu'après celle que j'ai l'honneur de lui écrire, parce que le courrier qui en est porteur passe par Zurich.

Quoique Buonaparte n'ait avec lui qu'une poignée d'hommes, j'ai pensé qu'il pouvait être bon de lui enlever surtout ceux qui, n'étant pas Français et se trouvant loin de leur pays, pourraient par cette double raison lui être plus dévoués. J'ai en conséquence demandé que les Polonais qui l'avaient suivi fussent rappelés par leur Gouvernement'. Ma proposition a été accueillie avec empressement. L'ordre du retour a été minuté de concert avec moi et dressé sur-le-champ. Le courrier que j'expédie en est porteur, et j'ai l'honneur d'en joindre ici une copie. Je supplie Votre Majesté de vouloir bien donner les ordres nécessaires pour qu'il soit fourni à ces troupes les feuilles de route dont elles auront besoin. L'Empereur de Russie et

1 Dans le récit officiel du voyage de Napoléon, inséré au Moniteur universel le 25 mars 1815, il est dit que l'Empereur est parti de l'île d'Elbe avec cent chevau-légers polonais, etc.

le prince Czartoryski ont mis beaucoup de bonne gràce dans cette petite affaire'.

Un courrier prussien qui a précédé de douze heures celui qui m'a été expédié le 8, avait apporté les nouvelles dont j'ai trouvé la confirmation dans tout ce qui m'a été écrit de Paris. Ces nouvelles, qui n'ont point tardé à se répandre, ont excité une joie générale. Tout le monde applaudit à la sagesse des mesures prises par Votre Majesté; tout le monde est persuadé que Buonaparte ne peut échapper au châtiment et s'en réjouit.

M. de Jaucourt me parle du bon effet que produirait une déclaration du Congrès. Il m'en parle même de la part

1 J'ai reçu vos dépêches du 14 au matin. Continuez à nous informer par toutes les occasions. Nous ne doutons pas des efforts de la nation pour le Roi ni de sa fidélité. Tranquillisez Laffitte. Le retard qu'a éprouvé son remboursement, il n'a tenu qu'à celui du général Pozzo. Je suis sûr qu'il vous fournira les fonds nécessaires, s'il fallait quitter Paris, sur le crédit établi chez lui.

« Ici on ne discontinue pas à prendre les plus fortes mesures; si la France ne vient pas à bout de Buonaparte, l'Europe en fera justice. Jamais elle n'a été plus d'accord, et toutes les puissances du Congrès rivalisent de zèle et d'empressement. Je vous invite à vous renfermer au parti que prendra le corps diplomatique et à suivre le Roi tant que ce sera possible.

Adieu, je vous souhaite courage et résignation.

D

(Nesselrode à M. de Butiakin, Vienne, le 22 mars 1815.)

2 Voici ce qu'écrivait M. de Jaucourt à M. de Talleyrand le 14 mars: Notre position est toujours plus critique. Monsieur repart aujourd'hui, après être arrivé de Lyon, où Macdonald s'est conduit avec une noble fidélité et un très-mauvais succès; il a harangué trois mille hommes qu'il y avait à Lyon; il a réuni les officiers. Les officiers, au lieu de se rendre aux sentiments de leur devoir, ont déclaré qu'ils ne se croyaient aucun crédit sur leurs troupes; ils ont récriminé sur les fautes commises envers l'armée: les injustices, l'humiliation, etc.; ils ont parlé du choix des hommes qui entouraient les Princes, etc. Macdonald, cependant, les a mis en bataille derrière le pont de la Guillotière; à la vue des premiers hussards de Buonaparte, ils

de Votre Majesté. Votre Majesté sait déjà que ses vœux à cet égard ont été prévenus. J'ai envoyé par le courrier d'hier des déclarations imprimées pour les répandre sur les frontières de la Suisse; j'ai l'honneur d'en adresser aujourd'hui quelques exemplaires à Votre Majesté. La date de Vienne et les caractères de l'imprimerie de la Chancelleric autrichienne me paraissent lui faire assez bien.

Les principes de légitimité qu'il a fallu retirer de dessous les ruines sous lesquelles le renversement de tant de dynasties anciennes et l'élévation de tant de dynasties nouvelles les avaient comme ensevelis, qui ont été accueillis avec tant de froideur par les uns, et repoussés par les autres quand nous les avons produits, ont fini par être mieux

ont culbuté le maréchal, joint les hussards, et fraternisé, comme ils disent. Le maréchal s'est enfui, a été suivi six lieues, en a fait onze en trois heures et a rejoint Monsieur à Moulins. Monsieur doit repartir pour Châlons avec lui; Dupont marche, mais arrivera après, sur les derrières. Les garnisons du Nord vont bien. Il y aura peut-être quelque fermeté dans les troupes aux ordres du maréchal Ney; celles du duc de Trévise se sont bien conduites à la Fère. Nous vivons trop longtemps sur ce petit succès. Je ne crois ni à la fermeté de la garde, ni à la volonté de la garde nationale. Je ne crois qu'à la constance du Roi. Les buonapartistes font ce qu'ils peuvent pour le faire partir. C'est prendre un parti qui supposerait des vues, des calculs, des projets au moins; Dieu n'a pas permis que ce miracle sortît de nos conseils royaux, ni ministériels.

a

« J'ai eu les larmes aux yeux à celui d'hier, en voyant le Roi, son frère, son neveu, tous ses ministres, délibérer trois heures sur des arrestations. Il y aura bataille, c'est-à-dire réunion de troupes à je ne sais quelle distance de Paris. M. le duc de Berry s'y portera. Les concierges de Fontainebleau préparent le château pour Buonaparte. M. de Blacas m'a dit : « Cela fera, comme vous le croyez bien, des places à donner. Je lui ai dit : « Promettez-les à cent personnes, cela ne vous compromettra pas. Je pense encore que Buonaparte rusera M. le duc de Berry et viendra à Paris sans se battre. Il masquera sa marche et arrivera sur Paris, à moins que la per

appréciés. Votre constance à les défendre n'a point été perdue. L'honneur en est tout entier à Votre Majesté, et l'unanimité avec laquelle les puissances se sont prononcées contre le nouvel attentat de Buonaparte en est une conséquence.

J'ai souvent eu l'honneur de dire à Votre Majesté que, dans l'origine, les alliés s'étaient arrangés pour nous rendre simples spectateurs des opérations du Congrès; mais je pensais qu'il n'y avait entre eux sur ce point qu'un accord purement verbal, et je n'imaginais pas qu'ils en fussent convenus par écrit. Les deux protocoles' que j'ai l'hon

sonne du Roi ne le gène, ce que je crois assez. Il ne peut exercer de violence, il ne lui fera pas peur. Si le Roi se décide, au risque d'être peutêtre mené à Valençay, il est possible qu'il salisse beaucoup ce succès inouï. Je ne fermerai ma lettre qu'après avoir été chez M. de Blacas.

« Le courrier arrive de Lyon par la Bourgogne; à Mâcon, il a trouvé le peuple en fermentation, criant: Vive B..............! et il a dù enlever sa plaque pour passer. Il lui en a coûté quelques boutons à fleur de lys de son habit.

Quand je suis sorti, j'ai laissé par écrit ma voix pour M. Bourrienne, que l'on veut faire préfet de la police.

« J'ai proposé, d'accord avec l'abbé de Montesquiou, d'écrire à Oudinot : Si la vieille garde jure fidélité, de lui accorder : le rang d'officier à tous les grenadiers, la noblesse à tous les officiers, et d'arriver en poste. S'ils acceptent, ils tiendront; mais il faut leur laisser le choix, car il n'y a d'engagé que ce qui se donne. »

« Monsieur ne repart plus, mais attend merveille de la revue qu'il passera demain de la garde impériale. . . . . Il me semble que le Congrès se détermine à une déclaration; il faut que le Roi puisse dire ici que tant qu'il sera le maître, les étrangers n'entreront pas; mais que s'il était possible que B..... le fût, ce mal ne viendrait que de lui, que les suites en resteraient sur sa tête, etc.

« Cela donnerait au Roi, ce me semble, de la popularité et devrait animer contre B....

'Protocole séparé d'une conférence tenue, le 22 septembre 1814, par les plénipotentiaires de l'Autriche, de la Grande-Bretagne, de la France et de

neur d'envoyer à Votre Majesté prouvent le contraire; et ils font voir aussi combien notre situation actuelle ressemble peu à celle dans laquelle ils avaient l'intention de nous tenir. Ces deux protocoles sont copiés sur l'original que j'ai eu entre les mains. Certes, de ce qu'ils voulaient le 22 septembre, à la déclaration que toutes les puissances viennent de faire, la distance est immense.

J'aurai, par l'un des prochains courriers, l'honneur de répondre à Votre Majesté touchant les instructions qu'Elle a bien voulu me donner par rapport aux arrangements de l'Italie.

Je ne les ai reçues que ce soir.

Je suis, etc.

Vienne, 15 mars 1815.

LXIX bis.

JEZMA

COPIE DE L'ORDRE DONNÉ A M. LE COLONEL
NOWSKI, ET EN SON ABSENCE A L'OFFICIER QUI LE
REMPLACE.

En vertu des ordres de Son Altesse Impériale Mgr le grand-duc Constantin, commandant en chef des troupes

la Russie, sur la forme et l'ordre des discussions du Congrès] de Vienne. Il est ci-joint. (Voir D'ANGEBERG, p. 245.)

Le second protocole dont parle Talleyrand, et qu'il annexe à sa lettre, figure dans aucun des recueils des archives du Congrès de Vienne.

ne

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