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N° 40.

LXXV

Vienne, le 19 mars 1815.

SIRE,

Il ne nous est parvenu aucune nouvelle aujourd'hui. C'est à six heures du soir que j'ai l'honneur d'écrire à Votre Majesté.

Les affaires de Suisse ont été terminées ce matin. La députation qui était à Vienne doit porter la déclaration' convenue entre toutes les puissances et signée par elles. J'en adresse une copie à M. de Talleyrand. Les plénipotentiaires suisses croient qu'elle ne satisfera complétement aucun parti, mais qu'elle n'en mécontentera beaucoup aucun. Ainsi, les stipulations qu'elle contient seront, à ce que l'on croit généralement, adoptées.

Les premières nouvelles que nous recevrons ici décideront du départ de lord Wellington. Son courrier doit naturellement arriver dans la journée du 21; le 22, il prendra sa résolution.

1 Déclaration des puissances rassemblées au Congrès de Vienne au sujet de la Suisse.

Annexe no 11 de l'acte du Congrès de Vienne.

(Voir D'ANGEBERG, p. 934. THIERS, Hist. du Consulat et de l'Empire, t. XVIII, p. 604, Affaires suisses.)

L'esprit ici est excellent. C'est Buonaparte tout seul que l'on a en vue. Tous les actes seront dans ce sens-là1.

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J'ai l'honneur d'adresser à Votre Majesté une lettre que je reçois, dans le moment, du ministre de Russie. Elle me

1. Vous savez déjà sans doute que Buonaparte a nommé M. de Caulaincourt ministre des relations extérieures; il a aussi nommé Carnot ministre de l'intérieur. La nomination de M. de Caulaincourt va, ce me semble, nécessiter de votre part des mesures auxquelles sans doute vous aurez déjà pensé : pour moi, je ne suis plus bon à rien; ne me donnez pas de mission, je n'en veux pas. Ce que l'on va avoir à faire hors du Congrès, s'il subsiste, sera un peu d'intrigue, et nous prenons déjà une couleur d'émigration qui m'est odieuse. Vous avez auprès de vous des gens qui valent cent fois mieux que

moi.

Durand m'a fait des propositions si nobles, si franches, que je ne vous parlerais de personne que je me croirais obligé de vous parler de lui. Reinhart est à Bruxelles, il va se retirer dans sa maison de campagne, entre Bonn et Cologne ; il a, conformément à ce que je lui avais dit, emporté les sceaux du ministère, avec quelques papiers importants: il enverra cela par occasion sûre. Il m'écrit dans l'amertume de son cœur: «Ma famille est sau« vée, et je n'ai pas vu entrer B... dans Paris........... cela me suffit. »

. Dans son opinion, B... laissera l'intérieur aux gardes nationales, dussentelles se battre entre elles, et marchera avec ses soldats, qui sont réellement

semble ne rien laisser à désirer sur l'objet auquel elle se rapporte. Les sentiments qui y sont exprimés sont trèsbons et d'accord avec le langage que, dans cette circon

sa scule nation, sur les bords du Rhin, où, grâce aux lenteurs du Congrès, pourra trouver des partisans ainsi qu'en Belgique. Je pensais, moi, qu'il aimerait à être attaqué, pour s'allier tout par la commune haine pour les étrangers; mais peut-être est-il vrai que la réunion de la Belgique et la ligne du Rhin sont un autre intérêt presque aussi national; et puis un succès, si la rapidité de sa marche le lui fait obtenir, fera un effet prodigieux.

« Les précautions que l'on prend dans le pays indiquent déjà l'inquiétude : point de journaux, tous sont arrêtés; les passe-ports ne se donnent et ne se visent qu'avec des difficultés extrêmes. Le commerce se plaint. Ne croyezvous pas que M. de Zeppelin restera à Paris? J'ai écrit autant que je l'ai pu que l'on vous adressât toute la correspondance au moins en double. Il importe que vous sachiez ce que le corps diplomatique aura fait. Je leur ai donné à tous des passe-ports, mais j'ai quelque idée que M. de Zeppelin, M. de Walterstorff resteront; peut-être même M. de Fagel, celui-ci pour observer: le prétexte d'attendre des ordres serait déjà une concession. Enfin, vous aurez quelques moyens d'être informé. En ce moment, le choix de nos ambassadeurs dans le sens où il est fait deviendra beaucoup plus utile. Je pense que le prince de Laval, qui avait demandé ses passe-ports, sera resté ou même retourné. Il sera plus à portée de correspondre avec vous que beaucoup d'autres tant que l'Italie sera tranquille; ils auront sans doute l'esprit de penser à leurs cinq ou six mille bannis qu'il ne faut pas jeter dans les bras de B..., mais qui sont bien aigris!

« On s'attend à l'arrivée de lord Wellington. Il ne faudra pas moins que sa présence pour rassurer les Anglais, qui fuient tous.

« Le grand Bl... a sorti ses fourgons; cela ne fait pas merveille, cela fait une grande fortune bourgeoise. Louis a laissé les siens, au nombre de trente-cinq millions: c'est désolant, car voilà de quoi aller sur le Rhiu : le bonhomme a déjà taxé les cotons et resserré les mesures de douanes; on baisera la griffe, on payera.

« Adieu. Je ne me suis pas trop pressé d'être triste quand je vous ai mandé mes tristes conjectures; eh bien, je ne suis pas plus gai. La philosophie du Roi va droit à Hartwell, et l'activité des Princes juste à écouter sans choix et à suivre aveuglément leurs penchants. Vous ferez peut-être l'épitaphe de cet enragé; ce sera beaucoup, mais alors la France sera perdue.

« D'André est à Bruxelles, d'où il tâte le Fouché pour son petit compte particulier.

Je vous embrasse, et je vous souhaite la conservation d'assez de choses

stance, tient l'Empereur. Tout ce qui tient à lui est dans le meilleur esprit.

On se propose d'avoir trois armées actives et deux de réserve 1.

L'une, opérant depuis la mer jusqu'au Mein, serait composée d'Anglais, de Hollandais, de Hanovriens, de contingents du Nord et de Prussiens. Elle serait sous les ordres du duc de Wellington.

La seconde aurait sa ligne d'opération du Mein à la Méditerranée. et serait commandée par le prince de Schwarzenberg. Cette armée serait formée d'Autrichiens, de Piémontais, de Suisses, et des contingents de l'Allemagne méridionale.

L'armée d'Italie n'a point encore de chef désigné.

Des deux armées de réserve, l'une serait appelée armée de réserve du Nord, et commandée par le maréchal Blücher. Le général Barclay de Tolly commanderait l'autre, qui serait l'armée de réserve du Midi.

Tout cela n'est encore que proposé, mais paraît convenir à l'Autriche et à l'Angleterre. Incessamment, nous sau

pour n'être que pauvre : c'est là où il y a de l'honneur; mais je n'aime pas la misère. Bresson a pensé à ce qui n'était pas du budget et attendra sans doute vos ordres; cette somme est réduite à quatre-vingt mille francs. Je ne doute pas qu'il n'en conserve la disposition. Pour moi, mon cher, j'ai cinquante mille francs et pas une obole, si, comme on le dit, le héros de l'île d'Elbe prend les biens du Gouvernement provisoire et en bannit les membres. (Jaucourt à Talleyrand, d'Ostende, 27 mars 1815.)

1 Une correspondance de Vienne, insérée au Moniteur universel du 21 avril 1815, disait :

Lord Wellington agira du côté des Pays-Bas, le feld-maréchal Blücher entre le Rhin et la Moselle, le feld-maréchal Schwarzenberg sur les frontières de la Suisse..

rons quelque chose sur la force que chacune de ces armées doit avoir.

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L'Empereur François vient d'ordonner à madame de Montesquiou de lui remettre l'enfant dont elle était chargée. Son langage dans la circonstance actuelle a été si opposé aux résolutions prises par l'Autriche et par les autres puissances, que l'Empereur n'a pas voulu permettre qu'elle restàt plus longtemps auprès de son petit-fils. Demain, elle doit recevoir l'ordre de retourner en France. L'enfant va être établi à Vienne, au palais. Ainsi, il ne pourra pas être enlevé, comme plusieurs circonstances pouvaient le faire présumer'.

Je suis, etc.

Vienne, le 20 mars 1815.

1 Le jour où Talleyrand écrivait cette lettre de Vienne, concernant le Roi

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