Images de page
PDF
ePub

vent en opposition avec les opinions que la nouvelle école de chimie française' a essayé d'introduire dans la science». De l'avis de l'illustre chimiste, «la conduite de ce radical est dans une opposition complète avec les prémisses de la théorie des substitutions de Dumas, et est parfaitement semblable à celle d'un métal simple, qui, lorsqu'on l'expose à l'influence de l'oxygène, traverse tous les degrés intermédiaires de l'oxydation jusqu'à ce qu'il en ait atteint le plus haut..... >>

L'attaque était directe et prouve qu'en 1843 M. Bunsen lui-même n'avait pas encore adopté la féconde théorie et ne voulait pas comprendre que M. Dumas n'avait jamais dit que tous les phénomènes d'oxydation fussent nécessairement des phénomènes de substitution. Aussi M. Dumas répondit-il simplement qu'il ne voyait pas comment il en résulterait que les opinions auxquelles M. Bunsen faisait allusion «<en seraient ébranlées, car ces opinions n'ont jamais fait difficulté d'admettre que le cyanogène et l'ammonium jouent un rôle parfaitement identique avec celui que M. Bunsen fait jouer au cacodyle. L'existence de l'acide cacodylique ne prouve donc rien de plus ni rien de moins que celle de l'acide cyanique. En un mot, M. Bunsen n'a fait éprouver au cacodyle aucune de ces altérations qui se passent dans l'intérieur même de la molécule, et qui constituent les véritables substitutions; il l'a seulement combiné avec des corps divers, ce qui n'apprend certainement rien à ce sujet ».

Mais dans la réponse de M. Dumas à M. Bunsen, se trouvent des observations d'une bien autre portée qu'il avait éga

1 Remarquez que M. Bunsen parle comme parlait Cuvier, tant la force de la vérité a d'empire!

[blocks in formation]

lement faites à propos d'une réclamation de Laurent. Pour l'histoire de la science, ces observations sont d'une importance de premier ordre. Elles découlent d'anciennes remarques déjà faites dans le Mémoire sur la constitution de l'urée. Dans ce dernier travail, M. Dumas avait fait observer que l'amidogène, dont il admettait l'existence dans l'oxamide et l'urée, présente la même composition que l'hydrogène perphosphoré, c'est-à-dire que M. Dumas considérait dèslors (en 1830 déjà) comme exactement correspondants les composés

NH2 et PH2.

Or, dans la réponse à Laurent, comme à M. Bunsen, il fait la déclaration suivante :

« J'ai fait, il y a plusieurs années, des expériences tendant à former les corps C*H*, NH2 et C*H*, PH2, équivalents à la liqueur de Cadet, où j'avais trouvé C'H'As, que je représentais déjà par CH4,AsH2. Les belles recherches de M. Bunsen sont venues me confirmer dans cette opinion, et me donner l'occasion naturelle de les publier. »

Quelques années après la découverte du cacodyle, M. Paul Thenard reprenait l'étude des phosphures d'hydrogène et isolait le très-remarquable perphosphure liquide d'hydrogène PH2. Et, comme M. Dumas, il ne manqua pas de faire remarquer, dans une note de son Mémoire, que cette formule était précisément celle de l'amidogène, l'amidogène du phosphore. Il ne négligea pas non plus de rapprocher ce composé du cacodyle

C'H AS C*H*, AsH*.
C'H1‚AsH3.

A peine M. Paul Thenard eut-il achevé son beau travail sur les phosphures d'hydrogène, qu'il songea à produire les combinaisons hydrophosphorées dans lesquelles l'hydrogène serait remplacé par du méthyle, espérant pro

duire le cacodyle du phosphore. Ce mémorable travail, il l'accomplit de 1845 à 1847. Il obtint en effet les deux composés méthylés correspondants aux deux phosphures d'hydrogène, qui correspondent eux-mêmes à l'amidogène et à l'ammoniaque, savoir:

P(CH3)2 et P(C3H3)3.

Il résulta de là que le cacodyle de M. Bunsen était bien, comme l'avait prévu M. Dumas, un composé amidé.où l'arsenic fonctionnait comme azote ou phosphore; seulement, là où il mettait du méthylène il y a probablement du méthyle, c'est-à-dire

As (C2H3) au lieu de AsH2(C2H3)2.

M. Thenard faisait prévoir les composés éthylés correspondants de ces combinaisons méthylées.

Or, en 1855, MM. Cahours ét Hoffmann, par une autre voie que M. Thenard, ont réalisé ses prévisions et en même temps les conséquences qui découlaient des études sur les bases amidalcooliques ou amines.

Il est nécessaire de dire aussi que MM. Cahours et Riche, ainsi que M. Frankland, ont également contribué à faire rentrer, comme M. Dumas et comme M. Thenard l'avaient fait, le cacodyle dans les dérivés des amides par substitution.

Enfin, grâce à un travail de MM. Loewig et Schweizer, l'antimoine est venu compléter cet ordre de combinaisons, et dans l'hydrogène antimonié ils ont remplacé l'hydrogène par l'éthyle.

Telle a été la fécondité de deux théories et d'une classification également et uniquement fondées sur l'expérience. Mais la théorie des substitutions a enfanté bien d'autres prodiges. Elle a fait concevoir la possibilité d'introduire

dans un composé, à la place d'un radical positif, simple ou composé, un radical négatif, ou, pour employer un langage qui est usité mais qui paraît incorrect, un radical de base à la place d'un radical d'acide, et réciproquement. Peu à peu on s'est habitué, malgré les protestations de Berzélius, de M. Liebig, de M. Wöhler, de M. Bunsen lui-même, à voir l'oxygène remplacé par l'hydrogène, celui-ci par le chlore, en un mot un métal par un métalloïde.

L'oxygène, le soufre, le sélénium, le tellure, que M. Dumas a placés dans le même groupe, se remplacent réciproquement dans leurs combinaisons et y prennent la même fonction. Mais M. Dumas a, conformément à la loi de continuité, fait en outre cette autre remarque, que les corps d'un même groupe tendent de plus en plus, à mesure que leur équivalent est plus élevé, à prendre la fonction métallique. Or, en 1840, M. Wöhler ayant préparé le tellurure d'éthyle, correspondant à l'oxyde et au sulfure, constata qu'il s'oxydait tout d'une pièce pour engendrer un oxyde, lequel est capable de faire fonction de base. Ce qui avait été ainsi vérifié pour le tellure l'a été ensuite, comme on l'a vu, pour le phosphore, pour l'arsenic et l'antimoine.

C'est certainement en vertu de semblables considérations avec lesquelles il s'était familiarisé, que M. Frankland a conçu le dessein de remplacer l'iode de l'iodure d'éthyle par le zinc. C'était en 1849, et il y est parvenu. Depuis, on a obtenu un certain nombre de ces combinaisons organicométalliques, et à leur aide un grand nombre de nouvelles combinaisons.

Assurément tous les savants qui ont réalisé ces importantes et considérables découvertes sont des chimistes d'un ordre très-supérieur. Tout cela exigeait une grande science et une très-grande habileté : c'est incontestable. Mais il n'y

a pas là de principes nouveaux ni de nouvelles méthodes. Qu'on le veuille ou non, tout cela a été réalisé comme des conséquences de méthodes, de découvertes et de théories expérimentales qu'on n'a pas imaginées. Tout cela ne procède pas moins de la théorie des amides, des substitutions, des radicaux, des éthers et de la belle classification dont il a été parlé. Et si l'on objecte que plusieurs ont concouru à amener la théorie chimique de Lavoisier, complétée par M. Dumas, au degré de perfection où nous la voyons aujourd'hui, on pourra répondre par ces paroles de Condorcet dans l'éloge de Linné: « Trouverait-on dans l'histoire des sciences une grande théorie dont les premières idées, les détails et les preuves appartiennent à un seul homme? » Non, certainement, car la vie de l'homme et ses forces sont bornées, même lorsque les méchants ne la tranchent pas, comme ils ont fait de celle de Lavoisier. Voilà précisément pourquoi il les faut honorer, ces grands hommes, et ne pas leur refuser leur plus beau titre de gloire : celui de fondateur de science, car ils ont forgé du travail à plusieurs générations pour confirmer leurs vues. Pourtant nous pouvons soutenir des grandes et fécondes théories qui datent d'avant 1830 et un peu plus tard, dont on vient de montrer les vérifications et les développements, que le même homme les a conçues et démontrées dans tous leurs points fondamentaux.

M. Liebig n'a été pour rien dans ces splendides créations, et cela pour une bonne raison: c'est que ses découvertes sont toutes dans le détail. Il n'y a pas un point fondamental de doctrine dont on puisse le glorifier, et on le prouve bien quand on le loue de l'idée des acides polybasiques, qui pourtant n'est pas de lui et qu'il faut faire remonter à Graham. Mais c'est là affaire de classification; il n'y a là rien

« PrécédentContinuer »