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Guidés par la loi d'homologie dont il a été parlé, que M. Dumas a le premier signalée et mise à profit dans tous ses travaux et dans ses cours, qu'il n'a pas nommée, il est vrai, par le nom qu'elle a et que Gerhardt lui a donné, les deux chimistes français découvrent dans ce composé un nouvel alcool, que tout le monde aujourd'hui appelle alcool méthylique.

Que les chimistes répondent encore était-il possible de prévoir que l'alcool méthylique était si voisin de l'alcool ordinaire, en partant de la formule de M. Liebig?

Le travail sur l'alcool méthylique, calqué sur celui de l'alcool, a ouvert la porte à la découverte de toute la série des alcools. Est-ce que M. Liebig peut être considéré comme étant pour quelque chose dans ces magnifiques conquêtes?

Mais si les recherches de M. Liebig sur le chloroforme et le chloral ne pouvaient pas conduire à la découverte de la théorie des substitutions, aurait-on jamais songé à rattacher le chloroforme aux composés méthyliques par des liens d'une si grande et si élégante simplicité?

D'un autre côté, aurait-on tenté, comme l'a fait un chimiste allemand, M. Kolbe lui-même, je crois, de transformer par oxydation le chloral en acide trichloracétique par suite de son analogie de nature avec l'aldéhyde, aldéhyde dont M. Dumas avait indiqué la formule avant que M. Liebig l'analysât sur des produits fournis par le procédé de Dæbereiner?

On trouvera, dans la collection de ces Lettres, l'histoire détaillée de la fondation de la théorie des substitutions, et de la part qui revient à chacun dans la découverte des faits qui l'ont développée.

Mais de cette grande loi de la nature, quand M. Dumas

l'eût formulée et qu'elle eût été appuyée sur tant de preuves expérimentales, qui s'en moquait en 1840 et même plus tard, si ce n'est M. Liebig, M. Wöhler, d'autres encore de ce pays-là, et, hélas! Berzélius aussi?

Dira-t-on pourtant ici ce que MM. Volhard et Kolbe ont dit de Lavoisier: que le célèbre professeur de Giessen n'était pas un chimiste? Dieu nous en garde; et dans d'autres écrits l'auteur de cette Préface a su lui rendre justice, malgré sa conduite inconvenante à l'égard de Lavoisier. Les Français, qu'il a si maltraités dans deux de ses Lettres, ont reconnu ses mérites, puisque l'Académie des sciences lui a fait l'insigne honneur de l'admettre au nombre de ses associés étrangers.

Certainement on ne peut pas reprocher à M. Liebig de s'être trompé, et, pour un homme comme lui, grossièrement trompé; d'avoir, malgré ses ressources, commis des erreurs d'analyse. Non, car dans le cours ordinaire d'une vie laborieuse cela peut arriver, un peu plus, un peu moins, à tous les chimistes. On doit être indulgent, et on l'est pour ces sortes d'erreurs. Mais M. Liebig était un chimiste averti; on lui criait que Faraday avait vu le bi-iodure C'H'I' et le chlorure CCI, et pourtant il ne s'est pas corrigé. C'est que M. Liebig n'avait pas dans l'esprit le sens chimique de la simplicité et de l'harmonie des rapports. Cette hauteur de vue d'un homme de génie, qui fait qu'on ne se contente pas de chercher des choses nouvelles, de collectionner des composés nouveaux, mais qui veut découvrir les lois et qui, dans ce but, comme Lavoisier, se sert au besoin de faits anciens, de ceux qu'il découvre luimême ou que ceux-là lui ont fait découvrir, cette hauteur de vue a manqué au chimiste de Giessen.

Ainsi, vers le même temps, M. Liebig et M. Dumas s'oc

cupaient de l'étude des propriétés et de la composition de quatre corps qui ont joué un rôle considérable dans le développement de la science. M. Liebig avait minutieusement et qualitativement étudié ces corps et les avait analysés. A quoi lui avait servi d'être un chimiste comme Scheele et de n'être pas physicien ? M. Dumas aussi les étudiait qualitativement; seulement, ses moyens d'étude étaient inaccessibles à M. Liebig. Il faut, pour juger de la différence, mettre en tableau les résultats des deux savants.

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C'est par des déterminations d'une telle précision que M. Dumas fondait peu à peu la chimie organique sur des bases aussi solides que celles sur lesquelles la chimie minérale l'était déjà. Elles le conduisirent à entreprendre la vérification de l'équivalent de l'hydrogène et de celui du carbone. Avec des collaborateurs dévoués, il fixa définitivement les équivalents de ces deux corps. Les nouveaux équivalents ont permis de simplifier un grand nombre de formules et d'apercevoir par là des relations qui avaient échappé auparavant. M. Liebig se jeta encore à la traverse; avec quel succès? on va le voir.

L'équivalent du carbone, admis par Berzélius dans ses Tables des proportions chimiques, est 76,44. Ce nombre avait été déterminé par l'illustre suédois et Dulong, en 1819, dans le laboratoire de Berthollet à Arcueil. Or, en 1838, à propos du calcul de l'analyse de la naphtaline, M. Dumas commença à douter de l'exactitude de ce nombre et trouva

1 Édition française. 1835.

qu'il fallait l'abaisser au-dessous de 76. Le nombre actuellement admis par tout le monde est 75, d'après les déterminations de MM. Dumas et Stas. Mais laissons parler les auteurs et dire ce qui les a engagés dans ce travail.

« Comme l'Académie a été souvent entretenue des phénomènes de substitution, elle mettra quelque intérêt à apprendre que c'est l'étude attentive de ces phénomènes qui a conduit à découvrir et à constater l'erreur qui nous occupe. Les formules déduites pour certains corps de l'ancienne valeur attribuée au carbone par M. Berzélius ne s'accordent pas avec les lois de substitution. Il fallait que ces lois fussent fausses ou que la valeur adoptée par M. Berzélius fût elle-même inexacte. Une fois la question ainsi posée, c'était un devoir de conscience pour nous que de rechercher tous les moyens de la résoudre, et nous n'avons rien négligé pour en rendre la solution irréprochable. »

MM. Dumas et Stas, dans le but d'éviter le plus de corrections qu'il se pourrait, avaient réduit la détermination de la quantité d'acide carbonique fourni par un poids connu de carbone (graphite et diamant) à une combustion dans l'oxygène et à une pesée de l'acide carbonique. L'équivalent déduit d'un grand nombre de combustions se confondit avec la moyenne générale 75, qui est un multiple exact de celui de l'hydrogène.

M. Liebig et M. Redtenbacher s'associèrent pour tâcher d'arriver à un autre nombre que MM. Dumas et Stas. Ils ont préféré, à la voie simple qui leur avait été indiquée, l'analyse des sels d'argent de quelques acides organiques. Leur nombre se trouva être 75,854. Naturellement les deux auteurs ont cru que ce nombre était le vrai et que toute espèce de doute était désormais dissipée.

M. Liebig n'a pas voulu voir que MM. Dumas et Stas

avaient choisi la méthode la plus simple, et, malgré maints avertissements, il a passé outre. Les savants français avaient dit : « répudier la théorie des substitutions ou bien mettre en doute les principaux éléments de l'étude physique des gaz, ainsi que les bases sur lesquelles se fondent toutes nos tables atomiques, telle est l'alternative grave où nous étions placés. Elle expliquera pourquoi la méthode que nous avons préférée est telle qu'elle n'a besoin de s'appuyer sur aucune détermination numérique indépendante de l'expérience elle-même ».

C'est après, et malgré cet avertissement et bien d'autres, que M. Liebig a préféré la voie qu'il a suivie de conserve avec M. Redtenbacher, et qui était condamnée.

Il a fallu que M. Dumas dise des choses comme cellesci à M. Liebig: Mais « vous confondez la certitude que nous avons touchant la composition du chlorure d'argent avec la confiance que peut nous inspirer le poids atomique de l'argent. Or, le poids atomique de l'argent suppose celui du chlore exact; celui-ci est fondé à son tour sur celui du potassium. De telle sorte que pour savoir combien le carbone prend d'oxygène pour former l'acide carbonique, vous voulez qu'on cherche dans quels rapports s'unissent l'oxygène et le potassium, le potassium et le chlore, le chlore. et l'argent; quatre opérations qui nous paraissent moins simples et moins sûres qu'une pesée à la balance de Fortin. Nous demeurons parfaitement convaincus que le poids atomique du carbone est 75 ». Il y a encore d'autres remar ques sur les négligences de ces Messieurs dans un travail qui devait ruiner le véritable équivalent du carbone, et on leur prouve que leurs calculs sont inadmissibles.

Du reste, en Allemagne même, MM. Erdmann et Marchand arrivèrent en commun aux mêmes résultats que MM. Dumas et Stas.

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