MONSIEUR JOURDAIN, ôtant sa robe de chambre. - Tenez ma robe. (Au maître de musique et au maître à danser.) Me trouvez-vous bien comme cela? LE MAÎTRE A DANSER. Fort bien. On ne peut pas mieux. Voyons un peu votre affaire. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. vous faire entendre un air (montrant son élève) qu'il vient de composer pour la sérénade que vous m'avez demandée. C'est un de mes écoliers, qui a pour ces sortes de choses un talent admirable. MONSIEUR JOURDAIN. Oui, mais il ne falloit pas faire faire cela par un écolier; et vous n'étiez pas trop bon vous-même pour cette besogne-là. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. — Il ne faut pas, monsieur, que le nom d'écolier vous abuse. Ces sortes d'écoliers en savent autant que les plus grands maîtres; et l'air est aussi beau qu'il s'en puisse faire. Écoutez seulement. MONSIEUR JOURDAIN, à ses laquais. — Donnez-moi ma robe pour mieux entendre.... Attendez, je crois que je serai mieux sans robe. Non, redonnez-la-moi; cela ira mieux. LA MUSICIENNE. Je languis nuit et jour, et mon mal est extrême, MONSIEUR JOURDAIN. - Cette chanson me semble un peu lugubre; elle endort, et je voudrais que vous la pussiez un peu ragaillardir par-ci, par-là. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Il faut, monsieur, que l'air soit accommodé aux paroles. MONSIEUR JOURDAIN. - On m'en apprit un tout à fait joli, il y a quelque temps. Attendez.... là.... comment est-ce qu'il dit? MONSIEUR JOURDAIN. - Oui. Ah! (Il chante.) Je croyois Jeanneton Plus douce qu'un mouton. Elle est cent fois, mille fois plus cruelle monsieur, comme vous faites la danse. Ce sont deux arts qui ont une étroite liaison ensemble. LE MAÎTRE A DANSER. homme aux belles choses. Et qui ouvrent l'esprit d'un MONSIEUR JOURDAIN. Est-ce apprennent aussi la musique? LE MAÎTRE DE MUSIQUE. MONSIEUR JOURDAIN. que les gens de qualité Oui, monsieur. Je l'apprendrai donc. Mais je ne sais quel temps je pourrai prendre: car, outre le maître d'armes qui me montre, j'ai arrêté encore un maître de philosophie qui doit commencer ce matin. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. La philosophie est quelque chose; mais la musique, monsieur, la musique...... LE MAÎTRE A DANSER. La musique et la danse.... La musique et la danse, c'est là tout ce qu'il faut. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Il n'y a rien qui soit si utile dans un État que la musique. Il n'y a rien qui soit si néla danse. Sans la musique, un État Sans la danse, un homme LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Tous les désordres, toutes les guerres qu'on voit dans le monde, n'arrivent que pour n'apprendre pas la musique. LE MAÎTRE A DANSER. - Tous les malheurs des horumes, tous les revers funestes dont les histoires sont reinplies, les bévues des politiques et les manquemens des grands capitaines, tout cela n'est venu que faute de savoir danser. MONSIEUR JOURDAIN. Comment cela? LE MAÎTRE DE MUSIQUE. La guerre ne vient-elle pas d'un manque d'union entre les hommes? MONSIEUR JOURDAIN. Cela est vrai. LE MAÎTRE DE MUSIQUE.—Et si tous les hommes apprenoient la musique, ne seroit-ce pas le moyen de s'accorder ensemble, et de voir dans le monde la paix universelle? MONSIEUR JOURDAIN. Vous avez raison. LE MAÎTRE A DANSER. Lorsqu'un homme a commis un manquement dans sa conduite, soit aux affaires de sa famille, ou au gouvernement d'un État, ou au commandement d'une armée, ne dit-on pas toujours: Un tel a fait un mauvais pas dans une telle affaire. Oui, on dit cela. LE MAÎTRE A DANSER. Et faire un mauvais pas, peut-il procéder d'autre chose que de ne savoir pas danser? MONSIEUR JOURDAIN. Cela est vrai, et vous avez raison tous deux. LE MAÎTRE A DANSER. l'excellence et l'utilité de la danse et de la musique. un petit essai que j'ai fait autrefois des diverses passions que peut exprimer la musique. cez. (A M. Jourdain.) Il faut vous figurer qu'ils sont habillés en bergers. Pourquoi toujours des ber gers? On ne voit que cela partout. LE MAÎTRE A DANSER. Lorsqu'on a des personnes à faire parler en musique, il faut bien que, pour la vraisemblance, on donne dans la bergerie. Le chant a été de tout temps affecté aux bergers; et il n'est guère naturel, en dialogue, que des princes ou des bourgeois chantent leurs passions. Passe, passe. Voyons. DIALOGUE EN MUSIQUE. UNE MUSICIENNE ET DEUX MUSICIENS. LA MUSICIENNE. Un cœur, dans l'amoureux empire, PREMIER MUSICIEN. Il n'est rien de si doux que les tendres ardeurs Dans une même envie; On ne peut être heureux sans amoureux désirs. Vous en ôtez les plaisirs. SECOND MUSICIEN. Il seroit doux d'entrer sous l'amoureuse loi, On ne voit point de bergère fidèle Et ce sexe inconstant, trop indigne du jour, PREMIER MUSICIEN. Aimable ardeur ! LA MUSICIENNE. Franchise heureuse! SECOND MUSICIEN. Sexe trompeur! PREMIER MUSICIEN. Que tu m'es précieuse ! LA MUSICIENNE. Que tu plais à mon cœur! SECOND MUSICIEN. Que tu me fais d'horreur ! PREMIER MUSICIEN. Ah! quitte, pour aimer, cette haine mortelie. LA MUSICIENNE. On peut, on peut te montrer Une bergère fidèle. SECOND MUSICIEN. Hélas! où la rencontrer? LA MUSICIENNE. Pour défendre notre gloire, SECOND MUSICIEN. Mais, bergère, puis-je croire LA MUSICIENNE. Voyons, par expérience, SECOND MUSICIEN. Qui manquera de constance, TOUS TROIS ENSEMBLE. A des ardeurs si belles Laissons-nous enflammer: |