La Marine de France en donne des exemples (*) remarquables, où la seule habileté des Chefs a conservé les vaisseaux du Roi, & rempli leur mission malgré des obstacles multipliés. Ainsi la véritable force ou la supériorité consiste moins par mer dans le nombre des Vaisseaux & dans la vivacité de l'action, que dans le bon ordre, la science de la manœuvre, le sang froid & la bonne conduite des Capitaines. Car si l'audace & la fermeté des troupes réparent quelquefois par terre les fautes d'un Général; par mer, la mème audace peut souvent être inutile au succès général & à l'objet particulier d'une campagne, parce qu'à la mer il n'y a point de champ de bataille à gagner, ni de places à prendre. II est donc important de savoir à fond les évolutions navales; un Général consommé dans cette Tactique, & secondé par la tranquille bravoure de ses Capitaines, formés eux-mêmes aux évolutions & à la manœuvre par une longue expérience, remportera toujours de très-grands avantages sur l'ennemi; je veux dire, rendra toujours à l'Etat les plus grands services que l'on puisse attendre des armées de mer; & le Général fera toujours en même temps respecter le pavillon, soit qu'il batte & qu'il dissipe l'ennemi, soit qu'il trompe sa vigilance, soit enfin qu'il l'amuse, en évitant un combat défavantageux. Non-seulement la régularité des évolutions dépend de la connoissance parfaite de la manœuvre, & d'une attention foutenue à bien régler la marche du Vaisseau; mais elle dépend encore particulièrement de l'observation exacte des fignaux, qui, comme les mots dont une langue est composée, font des expressions arbitraires qui ne cessent d'être indifférentes que par les idées qu'on y attache à chaque campagne. Le signal doit être simple & distinct. Il est simple quand on emploie, autant qu'il se peut, une chose différente pour l'expreffion de chaque ordre, afin qu'il ne puisse point y avoir de méprise dans le double usage d'un signal. On le rend distinct en faisant le signal fans précipitation, en donnant le temps de l'observer, en le plaçant dans un lieu où il peut être facilement apperçu On On n'oubliera jamais dans la Marine, la campagne dite du Large, qui. fit tant d'honneur au Maréchal de. Tourville. s'il en est susceptible, & généralement en le prononçant bien. Les signaux que l'on peut faire se réduisent à quatre especes (*) principales. 1o, Les fignaux où l'on se sert de la voix, comme l'ordre ou le mot, le cri de ralliement ou de reconnoissance, le commandement que l'on fait verbalement. 2°, Les signaux que l'on fait par le son de quelques instruments, comme de la trompette, du cor & du fifre, auxquels on peut joindre le son de la cloche & les différentes batteries de la caiffe. 3o, Les signaux qui se font par les flammes, les enseignes & les pavillons de différentes couleurs, ce qui comprend auffi le mouvement des voiles dans les fignaux de reconnoiffance & dans quelques faluts. 4°, Enfin les signaux qui s'exécutent par les fusées volantes de différentes garnitures, par les coups de canons, de pierriers ou de fufils, par les amorces que l'on brûle & par les fanaux. Les signaux de la troisieme espece servent pendant le jour. En temps de brume on fait usage des signaux de la premiere & de la seconde, & pendant la nuit on emploie les différents feux. Les coups de canon servent également de jour, de brume ou de nuit, à faire des signaux, ou à les confirmer, & à y faire porter attention; mais on observe à leur égard de ne les point trop multiplier, tant à cause de leur confufion, que parce que le bruit du canon peut faire découvrir la marche de l'armée: l'élévation & l'éclat des fusées ont le même inconvénient pour la marche lorsque l'on est à peu de distance de l'ennemi. C'est par la combinaison de ces signaux que le Général fait connoître ses ordres à l'armée; on en verra l'application dans toute la seconde Partie de la Tactique, où, pour rendre en même temps l'intelligence des signaux plus facile, & en favorifer l'exécution, on a fuivi un projet un peu différent de ce qui a été en usage jusqu'à - présent. Ainsi pour les signaux de manœuvres, on a, en général, destiné un mât particulier à chaque corps (*) Végece compte trois fortes de signaux, les Vocaux, les demi-Vocaux & les Muets. Si nous voulions, comme lui, diftinguer les fignaux par des noms différents, en recevant les deux premiers, nous y joindrions les Vexillaires & les Ignés. différent de l'armée, & la vergue d'artimon à l'armée entiere. De forte que dans la disposition des fignaux que nous avons formée, le Général, dans les cas essentiels, fera toujours connoître sans confusion ni crainte de méprise, que le signal s'adresse à toute l'armée, ou à une partie; il pourra même faire exécuter à toutes les Escadres en même temps un mouvement différent, sans qu'aucune puifse fe tromper à son propre signal. On ne doit point craindre que l'ennemi profite de la connoissance de cette disposition, parce que le mouvement devant s'exécuter aufli-tôt après le signal, l'ennemi voit encore mieux par le mouvement des Vaisseaux que par la position des pavillons, dont il ne connoît pas l'expression, ce que le Général de l'armée en présence. veut faire exécuter; puisque d'ailleurs le Général peut changer l'usage des mats, & que dans une armée disciplinée on pourroit également, & à tel mât que ce fût, faire, avec huit ou dix pavillons. seulement, les signaux de tous les mouvements possibles. C'est. pour parvenir à cette variété & à cette simplicité que l'on a établi des signaux numéraires, dont l'usage s'étend à tout ce qui peut être exprimé par les nombres.. La beauté & l'exactitude des manœuvres dépendant du moment précis de leur exécution & de l'harmonie des mouvements, on en a toujours fait précéder les fignaux de jour par un pavillon d'avertissement, qui n'a point d'autre objet que de prévenir l'armée ou une escadre, qu'elle doit faire un mouvement qu'elle. commencera à l'instant que le signal suivant paroîtra ; & c'est en quoi ce nouveau projet differe encore des précédents. Ainfi. l'armée aura le temps de se préparer à l'exécution. On a eu la même attention pour les fignaux de nuit & de brume, dont l'observation est toujours beaucoup plus difficile. Et c'est en cette derniere considération que ces fignaux d'avertissement font toujours composés de deux parties, l'une qui reste la même, & l'autre où l'on emploie le canon qui varie dans le nombre des coups ou dans la maniere de les tirer; mais l'on répete ce même signal de canon avec le signal de manœuvre; ainsi par le signal d'avertissement de nuit ou de brume, l'armée connoît déja la manœuvre qu'elle doit faire & qu'elle doit commencer au moment du se L cond signal qui doit l'indiquer; & ce second signal ayant une partie commune au premier, l'un & l'autre signal se confirment de la forte, & obvient, autant qu'il est possible, à la méprise. Comme il y a des circonstances où il convient de ne point tirer de canon, les fignaux de nuit & de brume sont encore faits de maniere à pouvoir s'en passer absolument. Et parce que l'on peut employer des fanaux ou jetter des fusées pour les signaux de nuit, on a combiné ceux-ci dans un ordre tellement relatif, que l'on peut toujours substituer les uns aux autres; pour cela on s'est servi de trois fortes de fusées, dont chaque espece répond en nombre. égal aux fanaux d'un mât. Ainfi, par exemple, trois fanaux aux haubans du grand hunier, ou l'envoi de trois fusées en étoiles, font le même signal. On pourra ainfi, dans les grands mouve ments, faire le signal des deux manieres, parce que l'un étant paf sager & éclatant, & l'autre permanent, mais plus difficile à appercevoir, ils se confirmeront réciproquement, & fans crainte de se tromper dans les cas où l'erreur seroit de conféquence.. A l'égard de la maniere dont j'ai écrit les instructions sur les signaux; de même que je me suis écarté de celle du P. Hoste dans les évolutions, j'ai cru devoir aussi m'écarter de celle qui a toujours été d'usage dans nos Livres d'ordre. Il m'a paru plus fimple de ne point faire entrer dans l'explication d'une évolution l'espece de signal qui l'indique, parce que les fignaux devant être différents toutes les campagnes, & pouvant même changer dans le cours d'une campagne, de la maniere dont je les ai exprimés, leur motif subsistant, il ne faut que déranger l'ordre des chiffres dont ils font numérotés dans la table des fignaux de nuit ou de brume, ou remplir de couleurs différentes les pavillons de la table qui représente les fignaux de jour, pour qu'ils foient tous changés, ce qui n'est d'aucune difficulté. Au surplus, l'explieation du signal & de sa position mise dans le corps de l'inftruction qui en fait le sujet, coupe trop le discours; & cette matiere déja très-seche par elle-même, a besoin qu'on en éloigne tout ce qui peut en rendre la lecture plus pénible. J'ai aussi expliqué dans le Livre des fignaux, les évolutions pour lesquelles ils sont faits, quoique les mouvements particuliers de chacune foient détaillés dans le premier livre ; c'est une forte de répétition à laquelle j'ai été engagé pour éviter les renvois, & parce qu'une double explication donne de la netteté à celle qui pourroit en manquer. Cette explication rend en même temps le Traité des ordres & fignaux tout-à-fait indépendant de celui qui le précede, & qui lui-même peut être entièrement détaché de celui qui le suit. Je ne dois point finir cette Introduction, sans prévenir qu'indépendamment des évolutions, j'ai rassemblé, autant que j'ai pu, dans le Livre des signaux, tout ce qui en a fait jusqu'ici l'objet dans les signaux de nos Généraux, enforte que la destination des Escadres qu'ils commandoient n'ayant pas toujours exigé les mêmes ordres & les mêmes instructions, comme il a été dit précédemment, ils ont tous été réunis ici pour former un corps entier de fignaux: & dans la combinaison de ceux dont on s'est servi, il en reste encore un affez grand nombre qui n'ont point été employés, pour répondre aux nouveaux ordres que l'on voudroit exprimer. C'est au Corps de la Marine, à juger si j'ai rempli l'objet que je me suis proposé dans ce Traité. Je me rendrai du moins le témoignage, qu'après avoir cherché à m'instruire de la Tactique Navale, & en avoir écrit quelque chose pour mon propre usage, j'ai cédé malgré moi, & comme par une espece de devoir à la demande que plusieurs Officiers distingués m'ont faite, d'étendre davantage les idées que j'avois sur les évolutions & les fignaux, & de les rendre publiques. Mais parce que je sens en même temps que je ne donne presque rien au Corps de la Marine que je ne lui doive, il est juste que je lui rende ici avec reconnoifssance ce que j'en ai emprunté; ne me réservant que la peine d'avoir mis quelque ordre & quelque netteté dans l'explication des évolutions & dans les fignaux par lesquels on peut en commander l'exécution. |