Images de page
PDF
ePub

diverses couleurs, mais si brillantes et si belles, que l'on ne pouvoit dire si c'étoient différens métaux allumés, ou des pierres de plusieurs couleurs qui fussent éclairées par un artifice inconnu. Les balustrades qui environnent le fossé du château étoient illuminées de la même sorte; et dans les endroits où, durant le jour, on avoit vu des vases remplis d'orangers et de fleurs, l'on y voyoit cent vases de diverses formes, allumés de différentes couleurs.

De si merveilleux objets arrêtoient la vue de tout le monde, lorsqu'un bruit, qui s'éleva vers la grande allée, fit qu'on se tourna de ce côté-là. Aussitôt on la vit éclairée, d'un bout à l'autre, de soixante-douze Termes, faits de la même manière que les figures qui étoient au château, et qui la bordoient des deux côtés. De ces Termes il partit, en un moment, un si grand nombre de fusées, que les unes, se croisant sur l'allée, faisoient une espèce de berceau, et les autres s'élevant tout droit, et laissant jusques en terre une grosse trace de lumière, formoient comme une haute palissade de feu. Dans le temps que ces fusées montoient jusques au ciel, et qu'elles remplissoient l'air de mille clartés plus brillantes que les étoiles, l'on voyoit, tout au bas de l'allée, le grand bassin d'eau, qui paroissoit une rer de flamme et de lumière, dans laquelle une infinité de feux plus rouges et plus vifs sembloient se jouer au milieu d'une clarté plus blanche et plus claire.

A de si beaux effets, se joignit le bruit de plus de cinq cents boîtes, qui, étant dans le grand parc, et fort éloignées, sembloient être l'écho de ces grands éclats dont les grosses fusées faisoient retentir l'air, lorsqu'elles étoient en haut.

Cette grande allée ne fut guère en cet état, que les trois bassins des fontaines qui sont dans le parterre de gazon, au bas du Fer-àCheval, parurent trois sources de lumières. Mille feux sortoient du milieu de l'eau, qui, comme furieux et s'échappant d'un lieu où ils auroient été retenus par force, se répandoient de tous côtés sur les bords du parterre. Une infinité d'autres feux sortant de la gueule des lézards, des crocodiles, des grenouilles, et des autres animaux de bronze qui sont sur les bords des fontaines, sembloient aller secourir les premiers, et, se jetant dans l'eau, sous la figure de plusieurs serpens, tantôt séparément, tantôt joints ensemble par gros pelotons, lui faisoient une rude guerre. Dans ces combats, accompagnés de bruits épouvantables, et d'un embrasement qu'on ne peut représenter, ces deux élémens étoient si étroitement mêlés ensemble, qu'il étoit impossible de les distinguer. Mille fusées, qui s'élevoient en l'air, paroissoient comme des jets d'eau enflammés; et l'eau, qui bouillonnoit de toutes parts, ressembloit des flots de feu, et à des flammes agitées.

Bien que tout le monde sût que l'on préparoit des feux d'artifice, néanmoins, en quelque lieu qu'on allat durant le jour, l'on n'v

voyoit nulle disposition; de sorte que, dans le temps que chacun étoit en peine du lieu où ils devoient paroftre, l'on s'en trouva tout à coup environné; car non-seulement ils partoient de ces bassins de fontaines, mais encore des grandes allées qui environnent le parterre; et, en voyant sortir de terre mille flammes qui s'élevoient de tous côtés, l'on ne savoit s'il y avoit des canaux qui fournissoient, cette nuit-là, autant de feux, comme, pendant le jour, on avoit vu des jets d'eau qui rafraichissoient ce beau parterre. Cette surprise causa un agréable désordre parmi tout le monde, qui, ne sachant où se retirer, se cachoit dans l'épaisseur des bocages, et se jetoit contre terre.

Ce spectacle ne dura qu'autant de temps qu' en faut pour imprimer dans l'esprit une belle image de ce que l'eau et le feu peuvent faire quand ils se rencontrent ensemble et qu'ils se font la guerre; et chacun, croyant que la fête se termineroit par un artifice si merveilleux, retournoit vers le château, quand, du côté du grand étang, l'on vit tout d'un coup le ciel rempli d'éclairs, et l'air d'un bruit qui sembloit faire trembler la terre. Chacun se rangea vers la Grotte pour voir cette nouveauté, et aussitôt il sortit de la tour de la pompe, qui élève toutes les eaux, une infinité de grosses fumées qui remplirent tous les environs de feux et de lumières. A quelque hauteur qu'elles montassent, elles laissoient attachée à la tour une grosse queue, qui pe s'en séparoit point que la fusée n'eût rempli l'air d'une infinité d'étoiles qu'elle y alloit répandre. Tout le haut de cette tour sembloit être embrasé, et, de moment en moment, elle vomissoit une infinité de feux, dont les uns s'élevoient jusques au ciel, et les autres, ne montant pas si haut, sembloient se jouer par mille mouvemens agréables qu'ils faisoient. Il y en avoit même qui, marquant les chiffres du roi par leurs tours et retours, traçoient dans l'air des doubles L, toutes brillantes d'une lumière très-vive et très-pure. Enfin, après que, de cette tour il fut sorti, à plusieurs fois, une si grande quantité de fusées, que jamais on n'a rien vu de semblable, toutes ces lumières s'éteignirent; et, comme si elles eussent obligé les étoiles à se retirer, l'on s'aperçut que, de ce côté-là, la plus grande partie ne se voyoit plus, mais que le jour, jaloux des avantages d'une si belle nuit, commençoit à paroître.

Leurs Majestés prirent aussitôt le chemin de Saint-Germain avec toute la cour, et il n'y eut que Mgr le Dauphin qui demeura dans le château.

Ainsi finit cette grande rete, de aquelle si l'on remarque bien toutes les circonstances, on verra qu'elle a surpassé, en quelque façon, ce qui a jamais été fait de plus mémorable. Car, soit que l'on regarde comme en si peu de temps l'on a dressé des lieux d'une grandeur extraordinaire pour la comédie, pour le souper et pour le bal, soit que l'on considère les divers ornemens dont on les a em

[ocr errors]

bellis, le nombre des lumières dont on les a éclairés, la quantité d'eau qu'il a fallu conduire, et la distribution qui en a été faite, la somptuosité des repas où l'on a vu une quantité de toutes sortes de viandes qui n'est pas concevable, et, enfin, toutes les choses nécessaires à la magnificence de ces spectacles, et à la conduite de tant de différens ouvriers, on avouera qu'il ne s'est jamais rien fait de plus surprenant, et qui ait causé plus d'admiration.

Mais, comme il n'y a que le roi qui puisse, en si peu de temps, mettre de grandes armées sur pied, et faire des conquêtes avec cette rapidité que l'on a vue, et dont toute la terre a été épouvantée, lorsque, dans le milieu de l'hiver, il triomphoit de ses ennemis et faisoit ouvrir les portes de toutes les villes par où il passoit aussi n'appartient-il qu'à ce grand prince de mettre ensemble, avec la même promptitude, autant de musiciens, de danseurs, et de joueurs d'instrumens, et tant de différentes beautés. Un capitaine romain disoit autrefois, qu'il n'étoit pas moins d'un grand homme de savoir bien disposer un festin agréable à ses amis, que de ranger une armée redoutable à ses ennemis ainsi l'on voit que Sa Majesté fait toutes ses actions avec une grandeur égale, et que, soit dans la paix, soit dans la guerre, elle est partout inimitable.

Quelque image que j'aie tâché de faire de cette belle fête, j'avoue qu'elle n'est que très-imparfaite, et l'on ne doit pas croire que l'idée qu'on s'en formera sur ce que j'en ai écrit, approche, en aucune façon, de la vérité. On peut voir ici les figures des principales décorations; mais ni les paroles, ni les figures ne sauroient bien représenter tout ce qui servit de divertissement dans ce grand jour de réjouissance.

FÉLIBIEN.

FIN DE LA RELATION DE LA FÊTE DE VERSAILLES,

[blocks in formation]

4. Monsieur de Pourceaugnac fut joué devant le roi à Chambord en septembre 1669, et sur le théâtre du Palais-Royal, le 15 novembre de la même année,

2. Ce rôle fut joué une seule fois, par Lulli, en présence du roi.

[blocks in formation]

SCENE I.

ÉRASTE, UNE MUSICIENNE, DEUX MUSICIENS CHANTANS, PLUSIEURS AUTRES JOUANT DES INSTRUMENS,

TROUPE DE DANSEURS.

-

ÉRASTE, aux musiciens et aux danseurs. Suivez les ordres que je vous ai donnés pour la sérénade. Pour moi, je me retire, et ne veux point paroître ici.

SCENE II. UNE MUSICIENNE, DEUX MUSICIENS CHANTANS, PLUSIEURS AUTRES JOUANT DES INSTRUMENS; TROUPE DE DANSEURS.

(Cette sérénade est composée de chant, d'instrumens et de danse. Les paroles qui s'y chantent, ont rapport à la situation où Éraste se

4. Les matassins étaient une danse espagnole du genre bouffe; ot on nemmait aussi matassins ceux qui exécutaient cette se.

« PrécédentContinuer »