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Mais nous établissons une espèce d'amour
Qui doit être épuré comme l'astre du jour :
La substance qui pense y peut être reçue;
Mais nous en bannissons la substance étendue.

SCENE IV. ARISTE, CHRYSALE, PHILAMINTE, RÉLISE, HENRIETTE, ARMANDE, TRISSOTIN, UN NOTAIRE, CLITANDRE, MARTINE.

ARISTE.

J'ai regret de troubler un mystère joyeux,

Par le chagrin qu'il faut que j'apporte en ces lieux.
Ces deux lettres me font porteur de deux nouvelles
Dont j'ai senti pour vous les atteintes cruelles;
(A Philaminte.)

L'une, pour vous, me vient de votre procureur;
(A Chrysale.)

L'autre, pour vous, me vient de Lyon.

PHILAMINTE.

Quel malheur,

Digne de nous troubler, pourroit-on nous écrire?

ARISTE.

Cette lettre en contient un que vous pouvez lire.

PHILAMINTE.

« Madame, j'ai prié monsieur votre frère de vous rendre cette lettre, qui vous dira ce que je n'ai osé vous aller dire. La grande négligence que vous avez pour vos affaires a été cause que le clerc dc votre rapporteur ne m'a point averti, et vous avez perdu absolument votre procès que vous deviez gagner.»

Votre procès perdu!

CHRYSALE, à Philaminte,

PHILAMINTE, à Chrysale.

Vous vous troublez beaucoup!
Mon cœur n'est point du tout ébranlé de ce coup.
Faites, faites paroître une âme moins commune
A braver, comme moi, les traits de la fortune.

« Le peu de soin que vous avez vous coûte quarante mille écus; el c'est à payer cette somme, avec les dépens, que vous êtes condamnée par arrêt de la cour. »

Condamnée? Ah! ce mot est choquant, et n'est fait

Que pour les criminels!

ARISTE.

Il a tort, en effet;

Et vous vous êtes là justement récriée.
П devoit avoir mis que vous êtes priée,

Par arrêt de la cour, de payer au plus tôt
Quarante mille écus, et les dépens qu'il faut.

Voyons l'autre.

PHILAMINTE.

CHRYSALE.

« Monsieur, l'amitié qui me lie à monsieur votre frère me fais prendre intérêt à tout ce qui vous touche. Je sais que vous avez mis votre bien entre les mains d'Argante et de Damon, et je vous donne avis qu'en même jour ils ont fait tous deux banqueroute.

O ciel! tout à la fois, perdre ainsi tout son bien!

PHILAMINTE, à Chrysale.

Ah! quel honteux transport! Fi! tout cela n'est rien :
Il n'est pour le vrai sage aucun revers funeste;
Et, perdant toute chose, à soi-même il se reste.
Achevons notre affaire, et quittez votre ennui.
(Montrant Trissotin.)

Son bien nous peut suffire et pour nous et pour lui.

TRISSOTIN.

Non, madame: cessez de presser cette affaire.
Je vois qu'à cet hymen tout le monde est contraire;
Et mon dessein n'est point de contraindre les gens.

PHILAMINTE.

Cette réflexion vous vient en peu de temps;
Elle suit de bien près, monsieur, notre disgrâce.

TRISSOTIN.

De tant de résistance à la fin je me lasse.
J'aime mieux renoncer à tout cet embarras,

Et ne veux point d'un cœur qui ne se donne pas.

PHILAMINTE.

Je vois, je vois de vous, non pas pour votre gloire,
Ce que jusques ici j'ai refusé de croire.

TRISSOTIN.

Vous pouvez voir de moi tout ce que vous voudrez
Et je regarde peu comment vous le prendrez :
Mais je ne suis pas homme à souffrir l'infamie
Des refus offensans qu'il faut qu'ici j'essuie.
Je vaux bien que de moi l'on fasse plus de cas;
Et je baise les mains à qui ne me veut pas.

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SCÈNE V. ARISTE, CHRYSALE, PHILAMINTE, BÉLISË, ARMANDE, HENRIETTE, CLITANDRE, UN NOTAIRE,

MARTINE.

PHILAMINTE.

Qu'il a bien découvert son âme mercenaire!

Et que peu philosophe est ce qu'il vient de faire!

CLITANDRE.

Je ne me vante point de l'être; mais enfin
Je m'attache, madame, à tout votre destin;
Et j'ose vous offrir, avecque ma personne,
Ce qu'on sait que de bien la fortune me donne.

PHILAMINTE.

Vous me charmez, monsieur, par ce trait généreux,
Et je veux couronner vos desirs amoureux.
Oui, j'accorde Henriette à l'ardeur empressée....

HENRIETTE.

Non, ma mère je change à présent de pensée.
Souffrez que je résiste à votre volonté.

CLITANDRE.

Quoi! vous vous opposez à ma félicité?

Et, lorsqu'à mon amour je vois chacun se rendre....

HENRIETTE.

Je sais le peu de bien que vous avez, Clitandre;
Et je vous ai toujours souhaité pour époux,
Lorsqu'en satisfaisant à mes vœux les plus doux,
J'ai vu que mon hymen ajustoit vos affaires;
Mais, lorsque nous avons les destins si contraires,
Je vous chéris assez, dans cette extrémité,
Pour ne vous charger point de notre adversité.

CLITANDRE.

Tout destin avec vous me peut être agréable;
Tout destin me seroit sans vous insupportable.

HENRIETTE.

L'amour, dans son transport, parle toujours ainsi.
Des retours importuns évitons le souci.
Rien n'use tant l'ardeur de ce noeud qui nous lie,
Que les fâcheux besoins des choses de la vie;
Et l'on en vient souvent à s'accuser tous deux
De tous les noirs chagrins qui suivent de tels feux.
ARISTE, à Henriette.
N'est-ce que le motif que nous venons d'entendre
Qui vous fait résister à l'hymen de Clitandre?

HENRIETTE.

Sans cela, vous verriez tout mon cœur y courir;

Et je ne fuis sa main, que pour le trop chérir.

ARISTE.

Laissez-vous donc lier par des chaînes si belles.
Je ne vous ai porté que de fausses nouvelles;
Et c'est un stratagème, un surprenant secours
Que j'ai voulu tenter pour servir vos amours,
Pour détromper ma sœur, et lui faire connoître
Ce que son philosophe à l'essai pouvoit être.

Le ciel en soit loué!

CHRYSALE.

PHILAMINTE

J'en ai la joie au cœur,
Par le chagrin qu'aura ce lâche déserteur.
Voilà le châtiment de sa basse avarice,
De voir qu'avec éclat cet hymen s'accomplisse.
CHRYSALE, à Clitandre.

Je le savois bien, moi, que vous l'épouseriez.
ARMANDE, à Philaminte.
Ainsi donc à leurs vœux vous me sacrifiez?

PHILAMINTE.

Ce ne sera point vous que je leur sacrifie,

Et vous avez l'appui de la philosophie,

Pour voir d'un ceil content couronner leur ardeur.

BÉLISE.

Qu'il prenne garde au moins que je suis dans son cœur

Par un prompt désespoir souvent on se marie,
Qu'on s'en repent après tout le temps de sa vie.
CHRYSALE, au notaire.

Allons, monsieur, suivez l'ordre que j'ai prescrit,
Et faites le contrat ainsi que je l'ai dit.

TIN DES FEMMES SAVANTES.

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TIRCIS, amant de Climène, chef d'une troupe de bergers.
DORILAS, amant de Daphné, chef d'une troupe de bergers.

BERGERS ET BERGÈRES de la suite de Tircis, dansans et chantans.
BERGERS ET BERGÈRES de la suite de Dorilas, chantans et dansans.

PAN.

FAUNES, dansans.

PERSONNAGES ET ACTEURS DE LA COMÉDIE. ARGAN, malade imaginaire. Il est vêtu en malade. De gros bas, des mules, un haut-de-chausses étroit, une camisole rouge avec quelque galon ou dentelle; un mouchoir de cou à vieux passemens, négligemment attaché; un bonnet de nuit avec la coiffe à dentelle ".

BÉLINE, seconde femme d'Argan.

MOLIÈRE.

ANGÉLIQUE, fille d'Argan, et amante de Cléante. Mlle MOLIERE. LOUISON, petite fille d'Argan, et sœur d'Angélique. La petite BEAUVAL BERALDE, frère d'Argan. En habit de cavalier mo

deste.

1. Le Malade imaginaire fut représenté pour la première fois le 10 février 1673 sur le théâtre du Palais-Royal, et il ne fut joué devant le roi qu'après la mort de Molière, le 19 juillet 1674, dans la troisième journée d'une fête donnée à Versailles au retour de la conquête de la FrancheComté. Molière a emprunté les scènes où Toinette se travestit en médecin à un canevas italien, Arlechino medico volante, qui lui avait fourni dans sa jeunesse la farce du Médecin volant; il a pu prendre l'idée du rôle de Béline dans une comédie intitulée le Mari malade. Enfin, l'intermède de Polichinelle est emprunté de Boniface ou le Pédant, pièce italienne qu'il avait déjà mise à profit dans le Mariage forcé

2. Ces indications de costume ont été données par l'édition de Georges Backer, Bruxelles, 1694.

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