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POÉSIES DIVERSES.

REMERCIEMENT AU ROI'.

1663.

Votre paresse enfin me scandalise;
Ma Muse, obéissez-moi :
Il faut ce matin, sans remise,
Aller au lever du roi.

Vous savez bien pourquoi;

Et ce vous est une honte

De n'avoir pas été plus prompte
A le remercier de ses fameux bienfaits;

Mais il vaut mieux tard que jamais.
Faites donc votre compte

D'aller au Louvre accomplir mes souhaits.
Gardez-vous bien d'être en Muse bâtie;
Un air de Muse est choquant en ces lieux.
On y veut des objets à réjouir les yeux;
Vous en devez être avertie :

Et vous ferez votre cour beaucoup mieux,
Lorsqu'en marquis vous serez travestie.
Vous savez ce qu'il faut pour paroître marquis;
N'oubliez rien de l'air ni des habits;
Arborez un chapeau chargé de trente plumes
Sur une perruque de prix;

Que le rabat soit des plus grands volumes,
Et le pourpoint des plus petits.

Mais surtout je vous recommande

Le manteau, d'un ruban sur le dos retroussé,
La galanterie en est grande;

Et parmi les marquis de la plus haute bande
C'est pour être placé.

4. En 1663, le roi avait fait porter Molière pour mille franes sur la licte der pensions qu'il accordait aux hommes de lettres

Avec vos brillantes hardes

Et votre ajustement.

Faites tout le trajet de la salle des gardes;
Et, vous peignant galamment,

Portez de tous côtés vos regards brusquement;
Et, ceux que vous pourrez connoître,
Ne manquez pas, d'un haut ton,
De les saluer par leur nom,

De quelque rang qu'ils puissent être.

Cette familiarité

Donne à quiconque en use, un air de qualité.
Grattez du peigne à la porte

De la chambre du roi;
Ou si, comme je prévoi,
La presse s'y trouve trop forte,
Montrez de loin votre chapeau,

Ou montez sur quelque chose
Pour faire voir votre museau,
Et criez sans aucune pause,
D'un ton rien moins que naturel :

« Monsieur l'huissier, pour le marquis un tel.
Jetez-vous dans la foule, et tranchez du notable;
Coudoyez un chacun, point du tout de quartier,
Pressez, poussez, faites le diable
Pour vous mettre le premier; ·

Et, quand même l'huissier,

À vos désirs inexorable,

Vous trouveroit en face un marquis repoussable,
Ne démordez point pour cela,
Tenez toujours ferme là;
A déboucher la porte il iroit trop du vôtre,
Faites qu'aucun n'y puisse pénétrer,
Et qu'on soit obligé de vous laisser entrer,
Pour faire entrer quelque autre.
Quand vous serez entré, ne vous relâchez pas;
Pour assiéger la chaise, il faut d'autres combats;
Tâchez d'en étre des plus proches,

En y gagnant le terrain pas à pas;
Et, si des assiégeans le prévenant amas
En bouche toutes les approches,
Prenez le parti doucement
D'attendre le prince au passage:
Il connoîtra votre visage,
Malgré votre déguisement;
Et lors, sans tarder davantage,

Faites-lui votre compliment.

Vous pourriez aisément l'étendre,

Et parler des transports qu'en vous font éclater
Les surprenans bienfaits que, sans les mériter,
Sa libérale main sur vous daigne répandre,

Et des nouveaux efforts où s'en va vous porter
L'excès de cet honneur où vous n'osiez prétendre,
Lui dire comme vos désirs

Sont, après sés bontés qui n'ont point de pareilles,
D'employer à sa gloire, ainsi qu'à ses plaisirs,
Tout votre art et toutes vos veilles,

Et là-dessus lui promettre merveilles :
Sur ce chapitre on n'est jamais à sec;
Les Muses sont de grandes prometteuses!
Et, comme vos sœurs les causeuses,
Vous ne manquerez pas, sans doute, par le bec.
Mais les grands princes n'aiment guères
Que les complimens qui sont courts;
Et le nôtre, surtout, a bien d'autres affaires
Que d'écouter tous vos discours.

La louange et l'encens n'est pas ce qui le touche;
Dès que vous ouvrirez la bouche

Pour lui parler de grâce et de bienfait,

Il comprendra d'abord ce que vous voulez dire,
Et, se mettant doucement à sourire

D'un air qui, sur les cœurs, fait un charmant effet,
Il passera comme un trait,

Et cela vous doit suffire :
Voilà votre compliment fait.

STANCES.

Souffrez qu'Amour cette nuit vous réveille
Par mes soupirs laissez-vous enflammer;
Vous dormez trop, adorable merveille,
Car c'est dormir que de ne point aimer:

Ne craignez rien; dans l'amoureux empire
Le mal n'est pas si grand que l'on le fait :
Et lorsqu'on aime, et que le cœur soupire,
Son propre mal souvent le satisfait.

Le mal d'aimer, c'est de vouloir le taire :
Pour l'éviter, parlez en ma faveur.

Amour le veut, n'en faites point mystère.
Mais vous tremblez, et ce dieu vous fait peus

Peut-on souffrir une plus douce peine?
Peut-on subir une plus douce loi?
Qu'étant des cœurs la douce souveraine,
Dessus le vôtre, Amour agisse en roi.

Rendez-vous donc, ô divine Amarante,
Soumettez-vous aux volontés d'Amour;
Aimez pendant que vous êtes charmante,
Car le temps passe et n'a point de retour

VERS

Placés au bas d'une estampe représentant la Confrérie de l'esclavago de Notre-Dame de la Charité.

Brisez les tristes fers du honteux esclavage

Où vous tient du péché le commerce honteux,
Et venez recevoir le glorieux servage

Que vous tendent les mains de la reine des cieux :
L'un, sur vous, à vos sens donne pleine victoire;
L'autre sur vos désirs vous fait régner en rois;
L'un vous tire aux enfers, et l'autre dans la gloire :
Hélas! peut-on, mortels balancer sur le choix?

BOUTS-RIMÉS

COMMANDÉS SUR LE BEL AIR.

Que vous m'embarrassez avec votre.... grenouille,
Qui traîne à ses talons le doux mot d'.... hypocras!
Je hais des bouts-rimés le puéril.... fatras,

Et tiens qu'il vaudroit mieux fler une.... quenouille.

La gloire du bel air n'a rien qui me.... chatouille.
Vous m'assommez l'esprit avec un gros.... plâtras;
Et je tiens heureux ceux qui sont morts à.... Coutras
Voyant tout le papier qu'en sonnets on.... barbouille.

M'accable derechef la haine du.... cagot,

Plus méchant mille fois que n'est un vieux.... magot, Plutôt qu'un bout-rimé me fasse entrer en.... danse.

Je vous le chante clair comme un.... chardonneret,
Au bout de l'univers je fuis dans une.... manse.
Adieu, grand prince, adieu; tenez-vous.... guilleret.

AU ROI

SUR LA CONQUÊTE DE LA FRANCHE-COMTÉ.

Ce sont faits inouïs, grand roi, que tes victoires!
L'avenir aura peine à les bien concevoir;

Et de nos vieux héros les pompeuses histoires
Ne nous ont point chanté ce que tu nous fais voir.

Quoi! presque au même instant qu'on te l'a vu résoudre,
Voir toute une province unie à tes États!

Les rapides torrens, et les vents, et la foudre,
Vont-ils, dans leurs effets, plus vite que ton bras?

N'attends pas, au retour d'un si fameux ouvrage,
Des soins de notre muse un éclatant hommage.
Cet exploit en demande, il le faut avouer :

Mais nos chansons, grand roi, ne sont pas sitôt prêtes
Et tu mets moins de temps à faire tes conquêtes
Qu'il n'en faut pour les bien louer.

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