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Mais tous les sentiments combattirent le mien,
Et leur conclusion fut que vous feriez bien

De prendre moins de soin des actions des autres, 950 Et de vous mettre un peu plus en peine des vôtres ; Qu'on doit se regarder soi-même un fort long temps Avant que de songer à condamner les gens;

Qu'il faut mettre le poids d'une vie exemplaire
Dans les corrections qu'aux autres on veut faire;
955 Et qu'encor vaut-il mieux s'en remettre, au besoin,
A ceux à qui le ciel en a commis le soin.
Madame, je vous crois aussi trop raisonnable.
Pour ne pas prendre bien cet avis profitable,
Et pour l'attribuer qu'aux mouvements secrets
960 D'un zèle qui m'attache à tous vos intérêts.
Arsinoé.

A quoi qu'en reprenant on soit assujettie,
Je ne m'attendais pas à cette repartie,

Madame; et je vois bien, par ce qu'elle a d'aigreur,
Que mon sincère avis vous a blessée au cœur.
Célimène.

965 Au contraire, madame; et, si l'on était sage,
Ces avis mutuels seraient mis en usage.

On détruirait par là, traitant de bonne foi,
Ce grand aveuglement où chacun est pour soi.
Il ne tiendra qu'à vous qu'avec le même zèle

970 Nous ne continuions cet office fidèle,

Et ne prenions grand soin de nous dire entre nous
Ce que nous entendrons, vous de moi, moi de vous
Arsinoé.

Ah! madame, de vous je ne puis rien entendre ;
C'est en moi que l'on peut trouver fort à reprendre.
Célimène.

975 Madame, on peut, je crois, louer et blâmer tout;

Et chacun a raison, suivant l'âge ou le goût.

Il est une saison pour la galanterie,

Il en est une aussi propre à la pruderie.

On peut, par politique, en prendre le parti, 980 Quand de nos jeunes ans l'éclat est amorti. Cela sert à couvrir de fâcheuses disgrâces:

Je ne dis pas qu'un jour je ne suive vos traces;
L'âge amènera tout; et ce n'est pas le temps,
Madame, comme on sait, d'être prude à vingt ans.
Arsinoé.

985 Certes, vous vous targuez d'un bien faible avantage Et vous faites sonner terriblement votre âge.

Ce que de plus que vous on en pourrait avoir, N'est pas un si grand cas pour s'en tant prévaloir; Et je ne sais pourquoi votre âme ainsi s'emporte, 990 Madame, à me pousser de cette étrange sorte. Célimène.

Et moi, je ne sais pas, madame, aussi pourquoi On vous voit en tous lieux vous déchaîner sur moi. Faut-il de vos chagrins sans cesse à moi vous prendre? Et puis-je mais des soins qu'on ne va pas vous rendre? 995 Si ma personne aux gens inspire de l'amour,

Et si l'on continue à m'offrir chaque jour

Des vœux que votre cœur peut souhaiter qu'on m'ôte, Je n'y saurais que faire, et ce n'est pas ma faute; Vous avez le champ libre, et je n'empêche pas 1000 Que, pour les attirer, vous n'ayez des appas. Arsinoé.

Hélas! et croyez-vous que l'on se mette en peine
De ce nombre d'amants dont vous faites la vaine,
Et qu'il ne nous soit pas fort aisé de juger
A quel prix aujourd'hui l'on peut les engager?
1005 Pensez-vous faire croire, à voir comme tout roule,
Que votre seul mérite attire cette foule ?

Qu'ils ne brûlent pour vous que d'un honnête amour,
Et que pour vos vertus ils vous font tous la cour?
On ne s'aveugle point par de vaines défaites ;

1010 Le monde n'est point dupe; et j'en vois qui sont faites A pouvoir inspirer de tendres sentiments,

Qui chez elles pourtant ne fixent point d'amants.
Et de là nous pouvons tirer des conséquences,

Qu'on n'acquiert point leurs cœurs sans de grandes

avances;

1015 Qu'aucun pour nos beaux yeux n'est notre soupirant,

Et qu'il faut acheter tous les soins qu'on nous rend. Ne vous enflez donc pas d'une si grande gloire, Pour les petits brillants d'une faible victoire ; Et corrigez un peu l'orgueil de vos appas, J020 De traiter pour cela les gens de haut en bas. Si nos yeux enviaient les conquêtes des vôtres, Je pense qu'on pourrait faire comme les autres, Ne se point ménager, et vous faire bien voir Que l'on a des amants quand on en veut avoir. Célimène.

1025 Ayez-en donc, madame, et voyons cette affaire; Par ce rare secret efforcez-vous de plaire;

Et sans....

Arsinoé.

Brisons, madame, un pareil entretien,

Il pousserait trop loin votre esprit et le mien;
Et j'aurais pris déjà le congé qu'il faut prendre,
1030 Si mon carrosse encor ne m'obligeait d'attendre.
Célimène.

Autant qu'il vous plaira vous pouvez arrêter,
Madame, et là-dessus rien ne doit vous hâter.
Mais, sans vous fatiguer de ma cérémonie,
Je m'en vais vous donner meilleure compagnie ;
1035 Et monsieur, qu'à propos le hasard fait venir,
Remplira mieux ma place à vous entretenir.

SCÈNE VI.

ALCESTE, CÉLIMÈNE, ARSINOĖ.

Célimène.

Alceste, il faut que j'aille écrire un mot de lettre, Que, sans me faire tort, je ne saurais remettre. Soyez avec madame; elle aura la bonté 1040 D'excuser aisément mon incivilité.

SCÈNE VII.

ALCESTE, ARSINOÉ.

Arsinoé.

Vous voyez, elle veut que je vous entretienne, Attendant un moment que mon carrosse vienne; Et jamais tous ses soins ne pouvaient m'offrir rien Qui me fût plus charmant qu'un pareil entretien. 1045 En vérité, les gens d'un mérite sublime

Entraînent de chacun et l'amour et l'estime;
Et le vôtre sans doute a des charmes secrets
Qui font entrer mon cœur dans tous vos intérêts.
Je voudrais que la cour, par un regard propice,
1050 A ce que vous valez rendît plus de justice.

Vous avez à vous plaindre; et je suis en courroux,
Quand je vois chaque jour qu'on ne fait rien pour

vous.

Alceste.

Moi, madame? Et sur quoi pourrais-je en rien prétendre?

Quel service à l'État est-ce qu'on m'a vu rendre? 1055 Qu'ai-je fait, s'il vous plaît, de si brillant de soi, Pour me plaindre à la cour qu'on ne fait rien pour

moi?

Arsinoé.

Tous ceux sur qui la cour jette des yeux propices

N'ont pas toujours rendu de ces fameux services.
Il faut l'occasion ainsi que le pouvoir;

1060 Et le mérite enfin que vous nous faites voir
Devrait....

Alceste.

Mon dieu! laissons mon mérite, de grâce; De quoi voulez-vous là que la cour s'embarrasse ? Elle aurait fort à faire, et ses soins seraient grands D'avoir à déterrer le mérite des gens.

Arsinoé.

1065 Un mérite éclatant se déterre lui-même:

- " ན

Du vôtre en bien des lieux on fait un cas extrême;
Et vous saurez de moi qu'en deux fort bons endroits
Vous fûtes hier loué par des gens d'un grand poids.
Alceste.

Hé! madame, l'on loue aujourd'hui tout le monde,
1070 Et le siècle par là n'a rien qu'on ne confonde.
Tout est d'un grand mérite également doué;
✓Ce n'est plus un honneur que de se voir loué;
D'éloges on regorge, à la tête on les jette,

Et mon valet de chambre est mis dans la gazette.
Arsinoe.

1075 Pour moi, je voudrais bien que, pour vous montrer mieux,

Une charge à la cour vous pût frapper les yeux. Pour peu que d'y songer vous nous fassiez les mines, On peut, pour vous servir, remuer des machines; Et j'ai des gens en main que j'emploierai pour vous, 080 Qui vous feront à tout un chemin assez doux. Alceste.

Et que voudriez-vous, madame, que j'y fisse?
L'humeur dont je me sens veut que je m'en bannisse;
Le ciel ne m'a point fait, en me donnant le jour,
Une âme compatible avec l'air de la cour.

1085 Je ne me trouve point les vertus nécessaires

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