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(A Oronte :)

Voici votre paquet.

"Et pour l'homme à la veste, qui s'est jeté dans le bel esprit, et veut être auteur malgré tout le monde, 1720 je ne puis me donner la peine d'écouter ce qu'il dit ; et sa prose me fatigue autant que ses vers. Mettezvous donc en tête que je ne me divertis pas toujours si bien que vous pensez; que je vous trouve à dire, plus que je ne voudrais, dans toutes les parties où l'on 1725 m'entraîne; et que c'est un merveilleux assaisonnement aux plaisirs qu'on goûte, que la présence des gens qu'on aime.

Clitandre.

Me voici maintenant, moi.

"Votre Clitandre, dont vous me parlez, et qui fait 1730 tant le doucereux, est le dernier des hommes pour qui j'aurais de l'amitié. Il est extravagant de se persuader qu'on l'aime; et vous l'êtes de croire qu'on ne vous aime pas. Changez, pour être raisonnable, vos sentiments contre les siens; et voyez-moi le 1735 plus que vous pourrez, pour m'aider à porter le chagrin d'en être obsédée."

D'un fort beau caractère on voit là le modèle, Madame, et vous savez comment cela s'appelle. Il suffit. Nous allons, l'un et l'autre, en tous lieux, 1740 Montrer de votre cœur le portrait glorieux.

Acaste.

J'aurais de quoi vous dire, et belle est la matière ;
Mais je ne vous tiens pas digne de ma colère;
Et je vous ferai voir que les petits marquis

Ont, pour se consoler, des cœurs de plus haut prix.

SCÈNE V.

CÉLIMÈNE, ÉLIANTE, ARSINOE, ALCESTE, ORONTE, PHILINTE.

Oronte.

1745 Quoi! de cette façon je vois qu'on me déchire,
Après tout ce qu'à moi je vous ai vu m'écrire !
Et votre cœur, paré de beaux semblants d'amour,
A tout le genre humain se promet tour à tour!
Allez, j'étais trop dupe, et je vais ne plus l'être ;
1750 Vous me faites un bien, me faisant vous connaître :
J'y profite d'un cœur qu'ainsi vous me rendez,
Et trouve ma vengeance en ce que vous perdez.
(A Alceste :)

Monsieur, je ne fais plus d'obstacle à votre flamme,
Et vous pouvez conclure affaire avec madame.

SCÈNE VI.

CÉLIMÈNE, ÉLIANTE, ARSINOÉ, ALCESTE,

PHILINTE.

Arsinoé (à Célimène).

1755 Certes, voilà le trait du monde le plus noir; Je ne m'en saurais taire, et me sens émouvoir. Voit-on des procédés qui soient pareils aux vôtres ? Je ne prends point de part aux intérêts des autres; (Montrant Alceste.)

Mais monsieur, que chez vous fixait votre bonheur, 1760 Un homme, comme lui, de mérite et d'honneur, Et qui vous chérissait avec idolâtrie,

Devait-il....

Alceste.

Laissez-moi, madame, je vous prie,

Vider mes intérêst moi-même là-dessus;
Et ne vous chargez point de ces soins superflus.

1765 Mon cœur a beau vous voir prendre ici sa querelle,
Il n'est point en état de payer ce grand zèle ;
Et ce n'est pas à vous que je pourrai songer,
Si par un autre choix je cherche à me venger.
Arsinoé.

Hé! croyez-vous, monsieur, qu'on ait cette pensée, 1770 Et que de vous avoir on soit tant empressée ? Je vous trouve un esprit bien plein de vanité, Si de cette créance il peut s'être flatté.

Le rebut de madame est une marchandise Dont on aurait grand tort d'être si fort éprise. 1775 Détrompez-vous, de grâce, et portez-le moins haut. Ce ne sont pas des gens comme moi qu'il vous faut. Vous ferez bien encor de soupirer pour elle, Et je brûle de voir une union si belle.

SCÈNE VII.

CÉLIMÈNE, ÉLIANTE, ALCESTE, PHILINTE.

Alceste (à Célimène).

Eh bien, je me suis tû, malgré ce que je voi, 1780 Et j'ai laissé parler tout le monde avant moi. Ai-je pris sur moi-même un assez long empire? Et puis-je maintenant....

Célimène.

Oui, vous pouvez tout dire ;
Vous en êtes en droit, lorsque vous vous plaindrez,
Et de me reprocher tout ce que vous voudrez.
1785 J'ai tort, je le confesse; et mon âme confuse
Ne cherche à vous payer d'aucune vaine excuse.
J'ai des autres ici méprisé le courroux;

Mais je tombe d'accord de mon crime envers vous.
Votre ressentiment sans doute est raisonnable :

1790 Je sais combien je dois vous paraître coupable;
Que toute chose dit que j'ai pu vous trahir,

Et qu'enfin vous avez sujet de me hair.

Faites-le, j'y consens.

Alceste.

Hé! le puis-je, traîtresse ?

Puis-je ainsi triompher de toute ma tendresse ? 1795 Et, quoique avec ardeur je veuille vous haïr, Trouvé-je un cœur en moi tout prêt à m'obéir? (A Eliante et à Philinte :)

Vous voyez ce que peut une indigne tendresse, Et je vous fais tous deux témoins de ma faiblesse. Mais, à vous dire vrai, ce n'est pas encor tout, 1800 Et vous allez me voir la pousser jusqu'au bout,

Montrer que c'est à tort que sages on nous nomme, Et que dans tous les coeurs il est toujours de l'homme. (A Célimène :)

Oui, je veux bien, perfide, oublier vos forfaits; J'en saurai, dans mon âme, excuser tous les traits, 1805 Et me les couvrirai du nom d'une faiblesse

Où le vice du temps porte votre jeunesse, Pourvu que votre cœur veuille donner les mains Au dessein que j'ai fait de fuir tous les humains, Et que dans mon désert, où j'ai fait vœu de vivre, 1810 Vous soyez, sans tarder, résolue à me suivre. C'est par là seulement que, dans tous les esprits, Vous pouvez réparer le mal de vos écrits, Et qu'après cet éclat qu'un noble cœur abhorre, Il peut m'être permis de vous aimer encore. Célimène.

1815 Moi, renoncer au monde avant que de vieillir, Et dans votre désert aller m'ensevelir!

Alceste.

Et, s'il faut qu'à mes feux votre flamme réponde,
Que vous doit importer tout le reste du monde !
Vos désirs avec moi ne sont-il pas contents?

Célimène.

1820 La solitude effraie une âme de vingt ans.

Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte, Pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte. Si le don de ma main peut contenter vos vœux, Je pourrai me résoudre à serrer de tels nœuds, 1825 Et l'hymen....

Non.

Alceste.

Mon cœur à présent vous déteste,

Et ce refus lui seul fait plus que tout le reste.

Puisque vous n'êtes point, en des liens si doux, Pour trouver tout en moi, comme moi tout en vous, Allez, je vous refuse; et ce sensible outrage 1830 De vos indignes fers pour jamais me dégage.

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Madame, cent vertus ornent votre beauté,
Et je n'ai vu qu'en vous de la sincérité.

De vous, depuis longtemps, je fais un cas extrême; Mais laissez-moi toujours vous estimer de même ; 1835 Et souffrez que mon cœur, dans ses troubles divers, Ne se présente point à l'honneur de vos fers:

Je m'en sens trop indigne, et commence à connaître Que le ciel pour ce nœud ne m'avait point fait naître ; Que ce serait pour vous un hommage trop bas 1840 Que le rebut d'un cœur qui ne vous valait pas ; Et qu'enfin....

Eliante.

Vous pouvez suivre cette pensée :
Ma main de se donner n'est pas embarrassée ;
Et voilà votre ami, sans trop m'inquiéter,
Qui, si je l'en priais, la pourrait accepter.

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