Images de page
PDF
ePub

tes. On lui a donné une interprétation que son texte semble repousser et qui l'a anéantie, pour beaucoup de localités, au lieu d'y aider à son exécution. Il pouvait s'élever, entre le maître et les parents des élèves, des difficultés d'argent de nature à compromettre la dignité de l'un et à indisposer les autres contre lui. Le but du législateur était donc de les prévenir en chargeant les percepteurs de la recette de la retri bution mensuelle. En donnant à la loi l'interprétation dont je me plaius, d'une de ses prescriptions on a fait une faculté. Quand elle commandait à l'instituteur de rester étranger à la levée de ses deniers, on a prétendu qu'elle lui permettait seulement de recourir à la main inflexible du collecteur pour les recevoir; et ce qui était la règle posée par le législateur est devenu l'exception admise et consacrée par l'usage. Les errements antérieurs à la loi de 1833 se sont perpétués, et son article 14 est resté à moitié inexécuté; dans un grand nombre de communes, c'est par scrupule que je ne dis pas dans presque toutes; l'instituteur continue à dresser ses rôles pour son propre service, à tendre la main pour recevoir sa rétribution mensuelle, à donner aux parents terme pour payer; et, quand il arrive à la fin de l'année et qu'il récapitule ses recettes, il est obligé de distraire de celles qu'il a réellement effectuées un certain nombre de mortes payes, d'avares retardataires, de débiteurs rancuneux qu'il se garde de pres ser pour ne pas s'en faire des ennemis.

Il a bien quelquefois la pensée de recourir à l'intervention du percepteur; mais c'est une mesure extrême, un changement dans les habitudes dont il redoute les effets; et la crainte d'indisposer les esprits le fait renoncer au bénéfice de la loi. D'un autre côté, les percepteurs, depuis la réduc tion du nombre de ces sortes d'emplois, sont devenus des fonctionnaires dont l'importance s'est accrue en raison de l'élévation de leur traitement, à qui on ose moins demander peut-être parce qu'ils sont mieux rétribués, et qui n'en sont que moins disposés à accepter un surcroît de travail qui ne trouverait pas sa compensation dans un accroissement de bénéfices. L'instituteur hésite donc à leur demander de percevoir une rétribution qu'il n'ont jamais recouvrée, ou, à la moindre objection, au moindre signe du mécontentement, il rentre son rôle dans sa poche et reprend le fardeau de la collecte qu'il avait voulu remettre aux mains que la loi en avait spécialement chargées,

Des avantages créés par la loi de 1833, voilà donc un des plus précieux qui s'évanouit; celui qu'y a ajouté le budget de 1842 est à peine encore, pour beaucoup de maîtres, une illusion. Aux termes de l'article 3 de ce budget et de l'article 14 de la loi de 1833, le conseil municipal propose le chiffre de la rétribution mensuelle, le comité supérieur donne son avis sur ce chiffre, et le préfet, disons-le pour rendre justice à la généreuse sollicitude de la haute administration et à la parcimonie des communes, le hausse bien plus souvent qu'il ne le diminue ou qu'il ne le sanctionne comme il est présenté. Mais il a beau disposer ainsi, les choses en vont autrement: j'entends parler ici de plus d'une commune d'après lesquelles je suis autorisé à juger la plupart des autres. C'est l'instituteur qui reçoit la rétribution mensuelle; il n'ose pas réclamer l'augmentation que la fixation du préfet lui a dévolue, et, s'interdisant jusqu'au murmure, il se contente de la percevoir suivant le taux fixé par la commune; il parlerait du surplus, qu'on le lui contesterait; on lui reprocherait de l'avoir surpris, par ses sollicitations, à la faiblesse de l'administration, et on répondrait à ses justes exigences par une hostilité ouverte. Si l'instituteur se recommande par sa capacité et par sa bonne conduite, il sera retenu par la crainte de se créer des embarras; et, pour conserver sa tranquillité, il renoncera à des avantages que ses supérieurs, dans l'ignorance des faits, compteront toujours parmi des ressources. Si, au contraire, ce qui peut encore arriver quelquefois, c'est un maître médiocre qui pêche par une conduite équivoque et par le manque d'instruction, il abdique, pour prévenir les plaintes, un droit que l'autorité lui avait créée; il met ainsi l'instruction au rabais, et il intervient entre lui et les parents un contrat tacite par lequel, d'un côté, on s'engage à supporter un mauvais instituteur, et, de l'autre, à ne pas être aussi bien payé qu'un bon.

Je viens, Monsieur le Président, de vous signaler deux abus: je n'oserais dire qu'ils règnent dans toutes les communes; mais je les ai constatés dans un assez grand nombre pour affirmer qu'ils portent en eux-mêmes de graves dangers, et qu'ils sont encore une des plaies secrètes de l'enseignement primaire.

Y mettra-t-on un terme? S'ils subsistent plus longtemps, c'est qu'on le voudra; car le remède en est facile, et les lois qui ont laissé croître le mual renferment, dans leurs disposi

tions, toute l'efficacité nécessaire pour les détruire. Il suffira de les exécuter. Qu'il soit recommandé à tous les instituteurs de remettre tous les mois aux percepteurs l'état certifié de leurs élèves ; qu'il leur soit interdit de percevoir eux-mêmes leur rétribution mensuelle, et qu'il soit, au contraire, par un arrêté du préfet, enjoint à ces percepteurs de la recouvrer. Tout sera dit, tout rentrera dans l'ordre; les plaintes seront prévenues, l'espérance du maître ne sera pas trompée, et il recevra à temps le traitement tout entier que la commune et l'Etat lui ont promis et assuré.

J'ai cru servir l'enseignement primaire en portant à votre connaissance des abus que l'expérience m'a fait reconnaître ; il serait digne d'une société, à qui cet enseignement doit tant d'améliorations, d'appeler l'attention du gouvernement sur un aussi grave sujet il sortirait de cette intervention officieuse un bienfait nouveau dont l'instruction primaire vous rendrait grace; car ces abus auraient leur fin, et c'est vous qui l'auriez amenée.

Agréez l'hommage, etc.

SALMON,

Membre correspondant de la Société élémentaire à Saint-Mihiel.

L'importance du sujet traité dans la lettre de M. Salmon, qui a rendu de si éminents services à l'instruction primaire, nous engage à la publier.

Il appartenait à l'homme qui a su si bien comprendre les devoirs des instituteurs et la haute mission qu'ils ont à remplir, dont les écrits et les conseils leur ont rendu de si grands services, de signaler la position précaire où se trouve la classe de ces hommes si intéressante pour la société, et de réclamer pour eux les garanties que la loi leur a accordées comme moyen d'obtenir une rétribution suffisante pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Nous nous en référons à la voix si éloquente qui vient de signaler si bien les abus dont les instituteurs sont les malheureuses victimes, et nous joignons nos vœux à ceux de M. Salmon, pour que instituteurs voient cesser aussi promptement que possible la position fâcheuse où ils se trouvent toutefois, nous pensons que le remède se rencontre dans une exécution sévère et rigoureuse de la loi, et nous croyons que c'est principale

les

K

ment à l'énergie des sous-préfets que les amis de l'instruction primaire doivent en appeler, et qu'il dépend entièrement de l'autorité supérieure de faire cesser le déplorable état de choses actuel.

L'article 14 de la loi du 28 juin 1833 s'exprime ainsi : En sus du traitement fixe, l'instituteur communal recevra une rétribution mensuelle, dont le taux sera réglé par le conseil municipal et qui sera perçue dans la même forme, et selon les mêmes règles que les contributions publiques « directes. Le rôle en sera recouvrable, mois par mois, surun ⚫état des élèves certifié par l'instituteur, visé par le maire et rendu exécutoire par le sous-prefet. »>

Cet article a reçu quelques modifications par l'article 3 de la loi du 25 juin 1841.

[ocr errors]

A l'avenir, dit cet article, les délibérations des conseils municipaux relatives au taux de la contribution mensuelle, et au nombre d'élèves à recevoir gratuitement dans les écoles primaires, conformément à l'article 14 de la loi du 28 juin 1833, ne seront définitives qu'après approbation des préfets, qui pourront, sur l'avis des comités d'arron▪dissement, fixer un minimum pour la rétribution mensuelle et un maximum pour les admissions gratuites. >>

Cette dernière disposition pose une règle qui ne doit point être méconnue et qui fixe le sort des instituteurs pour l'avenir.

Il faut, disait M. Vivien à la tribune, que l'instruction primaire soit donnée gratuitement à ceux qui ne peuvent pas en faire les frais, mais il faut que ceux qui possèdent quelques ressources soient obligés à une rétribution dont le taux permette à l'instituteur d'exister et de remplir, sans être poursuivi par le besoin, sa tâche honorable et ingrate. Voici, suivant nous, la marche qui devrait être suivie dans chaque commune, marche qu'il appartient principalement au sous-préfet, comme président du Comité d'arrondissement, d'indiquer à l'autorité municipale.

Les conseils municipaux s'assemblent quatre fois l'an, au commencement des mois de février, mai, août et novembre, (loi du 21 mars 1833, article 23). A la session de novembre, l'instituteur doit présenter au maire la liste des élèves qu'il peut supposer devoir payer.

Cette liste doit être fixée par le conseil municipal; le taux de la rétribution mensuelle sera déterminé pour chaque élève

(loi de 1833, article 14). La délibération relative aux admissions gratuites et au taux de la rétribution mensuelle doit être transmise au sous-préfet, qui la soumet à l'avis du Comité d'arrondissement, et le sous-préfet doit ensuite envoyer la délibération revêtue de l'avis du Comité d'arrondissement au préfet. Celui-ci doit lui donner son approbation et a le droit de fixer un minimum pour la rétribution mensuelle et un maximum pour les admissions gratuites (loi du 25 juin 1841, art. 3). La décision approuvée par le préfet revient au sous-préfet, celui-ci la transmet au maire; ce dernier doit en donner sur-le-champ une ampliation à l'instituteur.

L'instituteur dresse, à la fin de chaque mois, l'état des élè ves soumis à la rétribution mensuelle. Il fera bien de dresser cet état de manière, que sur une première colonne figure le nom des élèves, sur une seconde le nom du père de chacun d'eux et sa demeure, et sur une troisième le montant de la rétribution mensuelle; le maire doit viser cet état et le transmettre au sous-préfet, et ce dernier doit, par un arrêté mis au bas, le rendre exécutoire; cet état arrêté et rendu exécutoire doit rester à la sous-préfecture, et le sous-préfet doit transmettre une ampliation du tout au maire pour être remise au percepteur. Ce dernier est obligé par la loi d'en faire alors le recouvrement dans la même forme et selon les mêmes règles que les contributions directes ; c'est-à-dire, qu'il doit envoyer à chaque père de famille un avertissement; si sur l'avertissement le père de famille ne paye pas, une sommation sans frais, puis une sommation avec frais, et enfin décerner contrainte (loi du 28 juin 1833, article 14). Le montant de la rétribution recouvrée doit être remis au maire, et le maire doit ensuite remettre le tout à l'instituteur sur son reçu. La commune doit rembourser les frais relatifs au recouvrement. Voilà la marche réelle qui doit être prescrite par l'autorité, et dont il appartient princi palement à chaque sous-préfet de maintenir l'exécution.

Nous l'indiquons parce qu'elle ressort de la loi : les souspréfets, animés du feu sacré pour favoriser l'instruction pri maire, peuvent la diriger d'une main ferme; ils rendront dans ce cas service à leur pays, ils acquerront des titres à la reconnaissance des familles; mais malheureusement cette marche est si compliquée, que nous craignons,comme M.Salmon, que la loi reste souvent sans exécution.Toutefois il était bon d'indiquer son mécanisme.

G.S.

« PrécédentContinuer »