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on avait pris un moyen rude; c'était de les enfermer en France, de défendre l'émigration. Les portes du royaume étaient closes sur eux; quoi qu'on fit désormais, ils devaient rester et mourir. Leur soumission fut étonnante. Dans la destruction de leurs temples (quatre-vingts rasés dans un seul diocèse!), tout ce qu'ils faisaient, c'était de s'assembler sur les ruines et de prier pour le roi. Si l'on corrompait leurs ministres, ils prenaient seulement parmi eux des lecteurs pour lire l'Écriture sainte. Cette guerre de Hollande, qu'on disait hautement religieuse et contre le protestantisme, les protestants ne se crurent pas dispensés d'y servir.

Tout était prêt. Louis XIV, en quatre années, avait acheté la trahison dans toute l'Europe. Pomponne réussit en Suède par un traité d'argent.

Pour l'Empereur, on l'avait déjà gagné contre sa famille, contre l'Espagne. On le gagna contre l'Allemagne, en achetant sa neutralité; on lui maria sa sœur, on gorgea son ministre. Puis, contre l'Empereur, on acheta le Bavarois, qui (Léopold mourant) dut avoir un morceau d'Autriche; le Dauphin épousait sa fille, et lui devait voter pour le roi à la première élection d'un Empereur.

Les princes du Bas-Rhin, jaloux de la Hollande, toujours en procès pour leur fleuve, furent contre elle (comme la Prusse en 1832). Ils armèrent

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sottement pour se donner ce terrible voisin qui les eût dévorés. L'évêque de Munster, brigand de son métier, loua sa bande au roi. L'Électeur de Cologne le mit sur le Rhin même, recevant garnison française dans cette petite Neuss qui jadis arrêta Charles le Téméraire et déconcerta sa fortune.

Le seul Électeur de Mayence fut loyal, agit fidèlement dans l'intérêt de l'Allemagne, voulut détourner le danger. Le sultan avait mal reçu une ambassade hautaine du roi, et celui-ci était fort irrité. L'Électeur crut en profiter, et envoya ici le jeune Leibnitz avec un très-beau plan pour conquérir ce qu'il appelait la Hollande d'Orient, l'Égypte. Tout y était prévu; ce vaste et beau génie avait tout embrassé. Il n'y manquait qu'une chose, la chose essentielle, la connaissance de la vraie situation religieuse, de la conscience du roi, et des motifs intimes, supérieurs, qui dirigeaient tout. Le moindre courtisan d'ici eût pu dire à Leibnitz combien son idée était vaine. Cette guerre de Hollande était le fonds du règne même, le drame naturel où le nouveau Philippe II gravitait fatalement, aussi bien que la guerre intérieure contre le protestantisme.

CHAPITRE XII.

Guerre de Hollande. 1672.

étions

Ce fut plus qu'une guerre étrangère. La Hollande était France. Nos rois l'avaient soutenue. Notre meilleur sang y avait passé. Nous y plus que chez nous. On vivait ici, on pensait là-bas. Les Hollandais parlaient français. Dans les rues, les jardins d'Harlem, le long des canaux de Rotterdam, nous n'entendions que notre langue, et vous vous seriez cru dans votre pays, dans une France, une France libre, celle-ci, une France de sagesse et de raison.

Un Français de La Haye trouva, sous les ombrages de son Bois vénérable, le mot de la pensée moderne qui en a commencé tout le mouvement « Je pense, donc je suis. » Nulle raison

d'être que la libre pensée. Un Français d'Amsterdam dit le premier mot de l'émancipation, ouvrant son livre ainsi : « Les peuples ont fait les rois. »

Qui fécondait cette France de Hollande? L'admirable sécurité de ce pays, la protection généreuse qu'il offrait à toute la terre. Pourquoi Descartes aima-t-il ses brouillards plus que le soleil de Touraine? Demandez à Rembrandt. C'est lui qui fait sentir encore la chaleur du foyer béni, où la libre pensée, jouissant d'ellemême, se mirant aux lueurs de la réflexion concentrée, vit cent choses profondes que ne voit le jour du ciel.

pas

Il semble qu'à ce foyer de Hollande, à sa lumière touchante, la nature, attendrie, se soit livrée plus volontiers. Elle révèle à Swammerdam le secret des petites vies et de leurs métamorphoses. Elle ouvre à Graaf un bien autre infini, le mystère de douleur qui fait la femme, son charme et son soupir. Quelle poésie se dira poétique en face de celle-ci? quelle fiction se soutiendra devant ces enchantements de la vérité?

Rembrandt sait bien qu'il n'a pas besoin d'imaginer de vaines merveilles. Il tourne le dos à la fantaisie. Il n'a que faire des diables de Milton, des Titania de Shakspeare. Une famille, un rayon de lumière et pas même un rayon, une dernière

lucur de l'âtre éteint, avec cela il prend le cœur. Dans un de ces tableaux, la vieille dame écoute ou s'endort, la jeune lit la Bible; entre elles l'enfant dans le berceau. Mais où est donc le père? Absent. Peut-être aux Indes? Et, s'il était noyé, qu'adviendrait-il de ce doux nid, si bien arrangé par deux femmes? Vraiment, je ne suis pas tranquille. Les vents de mer grondent autour, ou peut-être, ce que j'entends, c'est un océan plus sauvage, l'horreur de l'invasion.

Voilà ce qui me trouble à l'approche de cette guerre, c'est que le vrai foyer, la maison, l'intérieur, était ici bien plus qu'ailleurs. Et c'est cela qui va être détruit. La maison nous révèle tout. Les vastes galetas où l'on campe dans les châteaux du moyen âge, les casernes ennuyeuses que le dix-septième siècle fait en France et partout, disent assez la vie communiste, le pêlemêle misérable où l'on vivait. C'est tard, bien tard, vers la fin de Louis XIV, qu'on imagina l'obscur entre-sol et la mansarde sous les toits, mansarde sans cheminée, où grelotte le domestique, la fille (mal gardée) qui gèle et coud dans les nuits de janvier. Il y a loin de là à la bonne maison hollandaise. Quelle maison? Très-pauvre souvent, toujours très-bonne une chaumière avec sa cigogne et ses nids d'hirondelles, la simple barque, la grosse barque ventrue de

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