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qui ont écrit plus tard, sous l'influence de la maison d'Orange, ne manquent pas d'affirmer : 1° Que le parti des de Witt, des Ruyter, le parti républicain de vieille Hollande, qui fut la patrie même, avait été imprévoyant; 2o qu'au moment de l'invasion, il se montra faible. Avec ces deux allégations, ils arrivent à faire croire que la Hollande fut sauvée par ce qui était le moins hollandais, bourgeoisie nouvelle, issue d'émigrants, militaires français-allemands, et enfin la racaille de toutes nations. Tout cela pour eux, c'est le peuple. Le peuple, à les entendre, sauva tout en se donnant un maître. Et, comme l'obstacle à cela, était surtout dans les de Witt, il ne faut pas trop regretter qu'on les ait tués. Belle cir constance atténuante pour la part directe ou indirecte que la maison d'Orange eut à l'horrible événement.

Or, pour faire croire cela, on ne manque pas de raconter que ces magistrats héroïques qui s'étaient montrés des hommes d'action, que ces frères qui, aux jours du danger, entrèrent dans la Tamise avec Ruyter et Tromp, se trouvèrent tout à coup abattus au moment de l'invasion. Tout périssait. Mais Orange était là.

Le contraire est exact. Ce sont précisément les mêmes historiens qui donnent de quoi les réfuter. Il faut bien dater seulement. Cela éclaircit tout.

Orange n'eut point l'initiative de la résistance désespérée. Loin de là, il pria les États généraux de le laisser négocier avec Louis XIV dans son intérêt particulier et de solliciter une sauvegarde pour ses terres (27 juin). C'est en août seulement qu'il afficha et promulgua les résolutions d'extrême défense.

Mais, dès la fin de juin, les anciens magistrats, M. Hop, d'Amsterdam, parlant aussi pour ceux de la Zélande, dit qu'il fallait rompre les négociations et se défendre, que l'Europe viendrait au secours, que le torrent français était déjà tari par cette quantité de garnisons où il s'était disséminé. L'assemblée, c'est-à-dire ces magistrats qu'on dit si faibles, l'assemblée se leva, jura de résister jusqu'à la mort.

L'exemple fut donné par la grande Amsterdam. Elle lâcha les écluses d'eau douce, perça les digues, livra à l'Océan l'admirable campagne qui l'entoure. Énorme sacrifice. Ce n'était pas là, comme ailleurs, des prairies qu'on mettait sous l'eau. C'étaient les villas, les palais, les plus riches maisons de la terre, les serres, les jardins exotiques, ces trésors qui déjà faisaient de ce pays l'universel musée du monde. Cela fut grand. Car, la ville est sans terre; c'est un comptoir, un magasin; chacun a sa chère petite terre, et son foyer aimé (meine lust, meine rust, etc.) dans

la campagne voisine. On entasse là tout ce qu'on a. Ce peuple qui vit d'intérieur, quand il a couru au Japon, à Surinam, partout, y rapporte tout ce qu'il peut et enterre là son âme. Voilà ce qu'on donna à la mer.

Au prix de cette amère douleur, la Hollande affranchie se connut, et sentit que cette âme libre n'était pas enterrée, mais sur l'Océan même et sur cette invincible flotte qui vint majestueusement entourer Amsterdam. Celle-ci se tint prête à combattre, à partir, à laisser tout, s'il le fallait, se sentant en état de tout refaire, de tout créer encore; elle eût fait une autre Hollande, et plus grande, à Batavia.

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La Hollande resta deux ans sous l'eau, attaquable l'hiver seulement dans les gelées, aux points que couvraient les eaux douces, mais tout à fait inaccessible partout où pénétra la mer qui ne gèle jamais. Donc, on avait du temps. La grande et pesante Allemagne se décidait enfin, s'ébranlait, et d'un tel mouvement que l'Empereur en fut emporté. L'électeur de Brandebourg fut la voix de l'Empire contre Louis XIV. Il négocia d'abord une simple alliance défensive qui sortit Léopold du coupable équilibre où il croyait rester.

Guillaume d'Orange qui, le 27 juin, voulait négocier pour son compte avec le roi de France, apprit (probablement le même jour), que l'élec

teur, l'Empereur, bientôt l'Empire, armaient pour la Hollande. Première lueur d'espoir qui exalta le peuple en proportion de sa peur. Une petite ville, dont Guillaume était seigneur, commença le mouvement. Et tout suivit. Était-ce confiance dans les talents d'un homme de vingt ans qui n'avait rien fait? C'était, avant toul et surtout le parent de l'électeur de Brandebourg et du roi d'Angleterre, qu'on portait au pouvoir pour les flatter tous deux. C'était une satisfaction qu'on donnait aux rois de France et d'Angleterre, qui hautement soutenaient Guillaume. La nuit du 2 au 3 juillet, les États le proclamèrent stadthouder héréditaire. Et le 16 juillet encore, les rois d'Angleterre et de France, renouvelant leur traité, s'engagent à exiger ce que la Hollande a déjà fait d'elle-même, lui imposent Guillaume d'Orange.

Ayant pour lui la peur publique et le vœu forcé des États, acclamé par la populace et demandé par l'ennemi, Guillaume put choisir à son aise s'il serait l'homme national ou le vice-roi de Louis XIV. Celui-ci lui offrait la Hollande mutilée, réduite, mais l'Empire lui disait de la garder entière, son parent, l'électeur, lui répondait qu'il serait défendu. Donc, il fut un Caton, repoussa fermement la proposition du roi (22 juillet), qui, désœuvré, retourna à Versailles (23). Le 24,

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