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HISTOIRE

DE FRANCE

AU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.

CHAPITRE PREMIER.

Le roi et l'Europe. - Fouquet. Colbert. 1661.

L'Europe data, non sans raison, l'avénement du roi de la mort du ministre (9 mars 1661), et observa curieusement quel serait le début du règne. Le premier acte put en donner l'augure, et faire prévoir la grande révolution qui devait en marquer la fin.

Entre les corps et les députations qui vinrent complimenter le roi, il fit fermer la porte aux ministres protestants, fit chasser de Paris par un

XIII.

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exempt le président Vignole, envoyé de leur chambre de Castres. Il leur renouvela la défense de chanter les psaumes même chez eux, supprima leurs colloques, enfin autorisa les enfants à se déclarer contre leurs pères. Les filles de douze ans, les garçons de quatorze, purent se dire catholiques, s'affranchir, élire domicile hors de la maison paternelle. Ordre aux parents de n'y pas mettre obstacle et de pensionner l'enfant converti, quelque part qu'il voulût aller (24 mars).

Trois coups en quinze jours, le dernier trèssensible. Tous les trois étaient demandés d'avance par la dernière Assemblée du clergé, qui avait volé ces demandes dès le 6 octobre (1660) et les remit en mars. Accordé sans difficulté. La banqueroute imminente que Mazarin léguait au roi le rendait fort docile pour un corps si puissant, et le seul riche, celui qu'on pouvait dire le grand propriétaire de France, avec qui il aurait si souvent à négocier.

Le roi, donné de Dieu, était fort impatiemment attendu du clergé. D'autre part, le peuple misérable, excédé des dix-huit années de l'interminable ministre, plaçait un grand espoir de soulagement dans son jeune roi. Il semblait que la France dût rajeunir. Dès le temps de la Fronde, la blonde figure de cet enfant sévère, quand on le mettait à cheval pour un lit de justice, char

mait la foule, faisait larmoyer les bonnes femmes, comme celle d'un ange sauveur. Il n'avait pas douze ans que les visionnaires, Morin, Davenne, et autres, lui adressaient leurs rêveries et le nommaient le bras de Dieu.

Plus tard, un demi-fou, un brûlot des Jésuites, l'intime ami du confesseur du roi, Desmarets, le promet aux dames dévotes comme un vengeur suprême qui purgera l'Europe des Turcs, des huguenots, surtout des Jansénistes.

L'objet de cette grande attente, le roi n'en était nullement étonné. Il était né en plein miracle; il était le miracle même, demandé par son père, consacré par sa mère dans la fondation du Val-deGrâce, formé, nourri dans cette religion, hors de l'humanité à une distance prodigieuse. Ses Mémoires, écrits (ou du moins copiés) de sa main, témoignent de sa conviction forte, paisible il croyait Dieu en lui.

Cela ne s'est jamais vu au même degré, ni avant, ni après. Comment réussit-on à opérer ce vrai miracle d'une foi si robuste, d'un tel culte du moi? Nulle flatterie n'y aurait suffi. Il y fallut une chose, en réalité grande et rare, l'assentiment public et l'universelle espérance.

L'adoration peut faire un sot. Et, d'autre part, le plaisir et l'empressement des femmes pouvaient faire un homme énervé. L'effet fut autre. Il resta

judicieux, haut, sec et dur, très-froid. Tout cela lui venant comme chose due, agit peu sur lui. L'orgueil le conserva dans sa forte médiocrité. Même en ses passions et ses plus grands emportements, au fond, il ne se livrait guère.

Il avait encore une bonne chose pour rester ferme dans sa divinité, une grande ignorance. S'il eût su un peu, il aurait douté. Il eût hésité quelquefois. Mazarin y pourvut. Sauf quelques mots de l'Europe au sujet du mariage, quelques conseils in extremis, il ne lui apprit rien. Il dut se former lui-même, et de ce que plus tard Colbert, Louvois, lui dirent, il ne prit que ce qu'il voulait. De là cette sérénité, cette grâce souveraine qu'il n'eût eues jamais, s'il eût su les obstacles et les difficultés réelles, les frottements de la machine. Dans ses instructions à son fils, il lui conseille de se fier à Dieu, qui agira par lui, de savoir peu, et de trancher.

Mais ce qu'il sut très-bien, grâce à la pénurie où Mazarin l'avait laissé dans son enfance, c'est qu'un roi qui voulait de l'argent devait tenir les clefs de la caisse, et se faire son propre intendant. Cela lui donna une grande assiduité au conseil, et pour toute sa vie.

Lorsqu'à la mort de Mazarin les ministres lui demandèrent à qui désormais ils devaient s'adresser, il répondit : « A moi. »

Dans cette déclaration, très-populaire, du roi, tout le monde admira, bénit, la grandeur de courage qu'il témoignait en prenant une telle charge. Le surintendant des finances, Fouquet, en rit sous cape, ne croyant pas à sa persévérance, et ne voyant pas derrière lui son mortel ennemi, son successeur Colbert.

Les Colbert offraient le contraste d'une origine fort roturière et de marchands, avec une grande bravoure, le courage militaire et l'intrépidité d'esprit. Colbert eut trois fils tués sur le champ de bataille, ou blessés. Ce courage, dans un des membres de la famille (leur oncle, le conseiller Pussort), tournait à la férocité. Pour le ministre, ceux qui le virent avouent n'avoir rencontré nulle part un homme de tant de cœur, qui eût un caractère si fort, mais si violent.

Un honnête homme était sorti de la plus sale maison de France. Colbert était intendant de Mazarin. Il avait manié ses vols, en gardant les mains nettes, très-probe à l'égard de son maître. Du reste, il n'eut pas du tout la tradition de Mazarin, mais plutôt quelque chose de l'âme de Richelieu, son patron, son idole, et l'unique saint de son calendrier.

Comment prit-il le roi? par deux choses trèssimples: 1° en lui donnant dans la main plus d'argent qu'il n'en avait vu de sa vie; 2o en lui

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