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nier, pensant aussi qu'il était plus royal et plus majestueux d'attendre.

Orange reçut des secours, fut sauvé. Et, peu après, un trompette lui étant venu de chez nous, avec son flegme ironique, il prit plaisir à avouer qu'il avait cu belle peur, que, si on l'eût attaqué, il était perdu. Il le chargea de le dire à M. de Lorges. Mais le trompette maladroit l'alla dire au roi lui-même, en présence de toute la cour.

Chose dure à digérer, qu'il fut ainsi constaté qu'en si belle position, avec 50,000 hommes, on ne se fût pas cru assez fort pour en attaquer 35,000. Cela mit le roi de mauvaise humeur, et, Bouchain s'étant rendu, il s'ennuya, eut assez de cette piètre campagne, et revint en plein été (4 juillet 1676).

CHAPITRE XV.

Le Sacré cœur,

Traité de Nimègue. 1676-1679.

La monumentale histoire des digestions de nos rois, commencée à la naissance de Louis XIII par les ordres de Henri IV, continue plus majestueuse sous Louis le Grand, par la plume de ses médecins, Vallot, d'Acquin et Fagon (ms. in-folio de la Bibl.). Elle réfute la fable trop répandue d'une santé immuable. Ces docteurs le suivent partout, le racontent, le purgent et le chantent, mêlant à dose égale victoires, coliques, pituites et fluxions, la gloire et la nature. Mais il y a gloire aussi pour eux. Car si le roi combat l'Europe, ils ont un dur combat contre l'ennemi intérieur, la bile noire, dont ils parlent sans cesse. Ce fléau qui, dans son enfance, se jouait au dehors en diverses efflorescences,

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plus grave en avançant, se trahit par des vapeurs, et des chagrins sans cause, désirs de solitude, etc., etc. Contre ce protée, cette hydre renaissante de la bile noire, on luttait constamment par un déluge de bouillon purgatif, pilules, de médecines. Mais des signes frappants montraient l'âcreté persistante qui devait bientôt éclater en tumeurs, carie, goutte, enfin par la célèbre fistule, dont le roi fut opéré en 1687.

Ce qui étonne davantage, c'est la faiblesse réelle du roi sous sa belle apparence. « Pendant dix ans, dit d'Acquin, de 1667 à 1677, il n'eût pu faire deux lieues au galop. »

Ces dix ans sont justement le règne de la Montespan. Elle fut une maladie du roi, lui faisant la vie agitée, aigre de sa malice, et, vers la fin, nauséabonde. Quand il revint, après la reculade, cette rieuse lui fut insupportable. Le jubilé ouvert le trouva sérieux et dévot.

Dès 1675, on l'avait pu prévoir, le peuple, à la mort de Turenne, avait dit : « C'est elle qui nous vaut cela. >> Les ministres craignaient et détestaient sa langue, étaient excédés surtout de l'obligation que leur faisait le roi de venir travailler chez elle. Elle tenait Colbert par son fils (lui ayant donné sa sœur pour maîtresse). Elle faisait marcher Louvois comme un dogue muselé. Quand on fit sept maréchaux, elle en prit hardiment la liste dans les

poches du roi, et dit : « Mon frère Vivonne n'en est donc pas? » Le roi, Louvois, balbutièrent, seregardèrent, bref, dirent que c'était un oubli. Et Vivonne fut mis le huitième.

En Sicile, ce Vivonne ne fit rien que manger, laisser manger, piller ses domestiques. Les Espagnols reparurent en mer, avec le redouté Ruyter et leurs alliés de Hollande. Vivonne n'avait rien préparé. Il était perdu si Colbert n'eût envoyé à son secours. Il avait réussi à obtenir du roi qu'un homme, jusque-là subalterne, mais notre premier homme de mer, Duquesne, commandât dans cette grande circonstance. C'était un roturier et un vieux calviniste, rude, inconvertissable. Les Turcs parlaient avec terreur de ce vieux loup, « que l'ange de la mort, disaient-ils, avait oublié. » Une furieuse bataille, entre les deux hommes invincibles, se donna par-devant l'Etna (8 janvier 1676). Les chances étaient contre Ruyter, à qui son gouvernement avait donné peu de vaisseaux, et qui, d'après ses instructions, devait encore les diviser pour placer au centre la flotte espagnole. La bataille resta indécise, mais avec une perte terrible pour la Hollande (et pour l'humanité), la mort du bon et grand Ruyter. La jambe droite brisée, l'autre emportée, il avait continué de donner ses ordres, mais mourut peu après. Vivonne, qui était resté à terre, daigna sortir alors de son

repos et eut le succès facile d'accabler les alliés découragés. Du reste, il rendit la victoire inutile la haine croissante que ses gens inspi

par

raient pour nous. Ils traitaient la Sicile en pays que l'on doit quitter, inventaient des conspirations pour confisquer, bien plus, prenaient des femmes. Louvois ne manqua pas d'informer le roi en dessous. Mais ce qui le blessait bien plus, c'est que Vivonne le traitait en beau-frère, sans façon, ne daignant même donner de ses nouvelles. Quand on le fit maréchal, il lui fallut deux mois pour faire l'effort d'écrire son remercîment.

Le roi avait assez du frère et de la sœur, d'une femme insolente, d'une maîtresse de dix ans et qui marchait vers la quarantaine. On guettait ce moment. Le timide père la Chaise n'en eût pas profité peut-être. Mais la conversion du roi avait été de longue date préparée en dessous par des mains plus hardies, celles des dames du parti dévot, telles que madame de Richelieu (Anne Poussart). Déjà en 1663, son intendant Desmarets profita de la maladie du roi et d'un moment dévot pour faire brûler Morin. Cette dame, entre les saintes du sombre hôtel de Richelieu, avait la veuve Scarron, personne prude et jolie, fort pauvre, discrète et calculée, propre aux vues du parti. En 1669, la Montespan, alors enceinte, voulant se faire ассер

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