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se trouvât abandonné du roi et des évêques. Pour que l'Église de France se soutînt dans cette fierté contre Rome, il lui eût fallu accepter une réforme dont elle était incapable. Elle demandait des sévérités contre les protestants, n'en exerçait pas sur elle-même. Bossuet obtint seulement qu'une commission serait nommée pour examiner les principes relâchés des casuistes. Ceci semblait menacer les jésuites. Mais qui pouvait se dire exempt de tout reproche? qui n'avait été relâché dans les choses de direction? Bossuet lui-même s'était montré très-faible dans le jubilé Montespan. Madame de Maintenon parle de sa complaisance avec une violence étrange. Les jésuites allaient plus loin, trop loin, l'attaquaient sur les

mœurs.

Ce grand homme, qui remplit le siècle de son labeur immense, a merveilleusement prouvé qu'il vécut dans une sphère haute. Cette noblesse, cette grandeur soutenue, témoigne assez pour lui. Suivons ici pas à pas M. Floquet, son excellent historien.

Bossuet, lorsqu'il était doyen de Metz, venait parfois à Paris, et descendait chez un abbé. Il y vit un jour une dame attachée à Madame (Henriette), qui était venue en visite avec sa nièce, une enfant de dix ans. Celle-ci était une petite merveille, déjà lettrée et distinguée. Bossuet s'inté

ressa aux progrès de la jeune fille, qui de bonne heure fut une savante; elle aimait, admirait et protégeait les vers latins.

Mademoiselle Gary (c'était son nom) était fille d'un notaire au Châtelet qui lui avait laissé le petit fief de Mauléon (près Montmorency), d'où elle était appelée mademoiselle de Mauléon. Elle habitait la maison patrimoniale de sa famille, près des Piliers des halles. Elle avait aussi hérité de son père un étal à la Halle aux poissons. Place lucrative, mais sujette à un litige fatal qui dura trente années. Elle croyait avoir le droit d'obliger les marchands forains d'apporter et vendre leur poisson à cet étal. Ils niaient ce droit. A vingtdeux ans (1677), elle voulut l'exercer, et leur fit procès. Elle était sur le pied d'une protégée, ou comme d'une fille adoptive de Bossuet (alors précepteur du Dauphin). Le Lieutenant de police lui donna raison, mais l'autorité rivale, l'Hôtel de ville, lui donna tort. Elle ne lâcha pas prise. De tribunal en tribunal, elle plaida toute sa vie, Dès 1682, les frais énormes l'obligèrent d'emprunter quarante-cinq mille livres que Bossuet lui fit prêter sous sa garantie. Il paraît qu'elle avait peu d'ordre. Il fallut plus d'une fois qu'il en payât les intérêts qu'elle ne pouvait solder. Cette misérable affaire durait en 1705. On la poursuivait alors pour remboursement, et Bossuet,

voulant lui sauver quelque chose, intervint et se porta aussi comme créancier pour certaines sommes qu'il lui avait avancées. Rien de plus innocent que tout cela, rien de plus public. De Germigny, ils écrivaient ensemble à leur amie l'abbesse de Farmoutiers, ne craignant nullement de témoigner par ces lettres fréquentes les longs séjours qu'elle faisait dans cette terre auprès de Bossuet.

En 1682, elle avait vingt-sept ans, Bossuet cinquante-cinq. Malgré cette grande différence d'âge (de près de trente ans), on comprend l'avantage que

les jésuites purent tirer de la chose, les risées sournoises qu'ils firent du contraste des deux procès, de la grande lutte gallicane, et de l'affaire de la halle aux poissons. Ils ne dirent pas en face de Bossuet le mot méchant qu'on cite, mais le dirent par derrière «< M. de Meaux n'est ni janséniste, ni moliniste; il est Mauléoniste. »>

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Louis XIV, qui n'aimait nulle grandeur que la sienne, put accueillir ces insinuations. Elles expliquent peut-être pourquoi il se dispensa de reconnaître l'obligation qu'il avait à Bossuet pour l'éducation de son fils, le laissa simple évêque, tandis que le jeune précepteur de son petit-fils, Fénelon, quoique peu agréable au roi, eut l'archevêché de Cambrai qui le fit prince d'Empire.

CHAPITRE XVIII.

Madame de Maintenon.

Exécution militaire sur les protestants.

Mort de Colbert. 1683.

Le roi, en 1683, fut doublement émancipé, veuf, et soulagé de Colbert.

Il lui pesait, le forçait de compter, parlait toujours d'équilibrer les dépenses et les recettes. Dans son long ministère de vingt années, il avait passé par deux phases: la première, où il essaya de subsister du revenu; la seconde, où, traîné, forcé, il emprunta et mangea l'avenir. Nous avons vu ce moment décisif où le roi lui signifia qu'on pouvait se passer de lui (1671).

A la paix de Nimègue, où sa plus chère idée fut sacrifiée, il espérait du moins, s'il n'augmentait la richesse, diminuer la dépense. Il allége un moment l'impôt, et cependant rem

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bourse 90 millions. Mais le roi en dépense 100.

Plus d'espoir désormais, et nul moyen de s'arrêter. Le mot de Richelieu en 1626, en 1638 : On ne peut plus aller, c'est celui que Colbert, après tant d'efforts, d'espoir trompé, dit à son tour: « On ne peut plus aller. »

Entre lui et le roi, la lutte était sur toute chose; en bâtiments, il condamnait Versailles; en religion, il soutenait les industriels protestants. Le roi partant avec Louvois en 1680 pour visiter la Flandre, Colbert n'osa le laisser seul et le suivit. Surchargé de cinq ministères, il emportait la monarchie. A la fatigue le roi ajouta les dégoûts. Colbert revint malade; on put prévoir sa mort.

L'autre année, autre coup. Le répit des dragonnades qu'il obtint le 10 mai est violemment démenti par le roi (4 juillet). La balance, décidément, incline vers Louvois. Quel poids nouveau s'y joint? l'influence de madame de Maintenon (V. sa lettre du 4 août).

Le roi tua la reine, comme Colbert, sans s'en apercevoir. N'ayant plus de femme qu'elle, il l'emmena, par une grande chaleur, dans un long et fatigant voyage. Elle était replète, toute ronde, fort molle. Au retour, elle mourut (30 juillet 1683). Madame de Maintenon la quittait expirée et sortait de la chambre, lorsque

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