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Effroyable gâchis. A la banqueroute de 1648, Mazarin avait payé en papiers dont on ne donnait pas dix pour cent, Fouquet et ses amis les rachetaient à ce prix, et, les mettant aux caisses publiques comme bons et valables, gagnaient ainsi 90. Le Parlement montra une lenteur, une mollesse coupables à juger un procès si clair, et il le finit honteusement par un arrêt de bannissement qui eût laissé Fouquet libre d'aller s'amuser à Venise et partout en Europe. La haine personnelle de Colbert ne le permit pas. Sans cette haine, on n'eût pas fait justice. En frappant les petits voleurs on aurait épargné le grand. Le roi garda Fouquet et l'enferma à Pignerol jusqu'à sa mort.

Les financiers étaient un parti odieux, mais serré et compacte, qui avait ses racines et à la cour et dans la haute bourgeoisie. Ils avaient avec eux une classe plus intéressante, les petits rentiers, qui était tout un peuple dans Paris. L'émeute cependant n'était pas à redouter. Le danger était qu'on n'agît sur le roi, qu'on ne lui fit craindre les suites des mesures hardies que l'on allait prendre; mais la violence de Colbert trouva un ferme point d'appui dans la sèche dureté de son maître, dans ses besoins d'argent. La succession de Mazarin avait fourni l'été, que ferait-on l'hiver? Colbert se chargea d'y faire face par une grande razzia sur la finance et les comptables. La chambre

de justice, que l'on créa, devait s'enquérir de leurs biens et des sources de leur fortune, en remontant à Richelieu et jusqu'à l'année 1635.Ordre de prouver en huit jours, sinon, tout saisi dans un mois. Appel du roi au peuple dans toutes les chaires des églises, pour qu'il dénonce les abus. La chambre de justice envoie ses agents en province pour encourager, rassurer les dénonciateurs. On frappe en haut, en bas. Un Guénégaud (puissante famille de Paris) est mis à la Bastille, un financier pendu, des receveurs, des sergents même. Les traités que Fouquet avait faits pour l'État, annulés et cassés. Les rentes, rognées par Mazarin, sont réduites encore par Colbert. Et, ce qui fut très-vexatoire, c'est qu'on chercha en remontant ceux qui avaient gagné à certaines époques où l'État remboursait, et qu'on les obligea de restituer le gain fait par leurs pères ou par les premiers possesseurs. Le roi crut faire grâce à plusieurs en les réduisant des deux tiers.

Paris fut très-ému, mais généralement la province, surtout le petit peuple, salua la Terreur de Colbert de ses applaudissements. La vérification des dettes des villes, redoutée des notables qui en maniaient les fonds, causa une grande joie à ceux qui n'étaient rien. En Bourgogne particulièrement, les États et le Parlement, les honorables bourgeois voulaient résister à Colbert; il y eut

émeute, mais contre eux. La populace, se choisissant pour chefs des vignerons, des tonneliers, des savetiers, faillit tomber sur les défenseurs des libertés provinciales; elle prit les armes pour le roi, qui protégea les notables à grand'peine.

CHAPITRE III.

Le complot contre Madame. - Morin brûlé vif. 1662-1663.

Ou fait communément deux parts dans le règne de Louis XIV: les belles années où, sous l'influence de Colbert, il se serait maintenu indépendant des influences du clergé, et la mauvaise époque où il céda sans réserve. Division arbitraire. Dès les premières années, sauf un moment très-court, le roi fut l'instrument des rigueurs ecclésiastiques. Ce que chaque Assemblée du clergé avait voté et demandé au roi (en retour du don gratuit) fut, dans les intervalles d'une Assemblée à l'autre, exigé de lui par représentants qu'elles avaient en permanence, lesquels suivaient la cour et ne la quittaient pas. Les ministres du roi, Colbert et le Tellier, qu'il

les

employait sans façon aux services les plus bas, dans ses affaires d'amour, n'avaient nulle action dans la haute sphère morale et religieuse. Le roi, jeune alors, dépendait peu sans doute de son confesseur ridicule, le P. Canard (Annat), connu par ses plates brochures (le Rabat-joie, l'Étrille du Pégase des Jansénistes, etc.). Mais l'assesseur d'Annat, son futur successeur, le dangereux P. Ferrier, savait bien faire peser sur le roi le poids de tous ses entourages, d'une mère dévote et malade, de la cour, de la ville, d'une cabale immense qui dominait Paris.

L'archevêché en était le centre nominal. Mais le centre réel était dans les hôtels des saintes, dans les salons dévots de mesdames d'Aiguillon, d'Albret et Richelieu (Anne Poussart), chez mesdames de Guénégaud et de Lamoignon, etc. Noblesse, robe et finances, tout s'associait dans ces bonnes œuvres. Ces dames charitables, aveuglément zélées, faisaient par charité des actes étranges, par exemple, des enlèvements d'enfants, et cela dans l'hôtel du premier président Lamoignon, qui avait la police du Parlement. Les dames d'Aiguillon et Richelieu, qui n'avaient pas de famille ou la perdirent bientôt, étaient tout entières, corps et biens, lancées de toutes leurs passions, de leur fortune immense, dans l'intrigue dévote, et ne reculaient devant rien.

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