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et l'ivresse de la charité, que, quand ils obtenaient ce périlleux bonheur, ils remerciaient Dieu à genoux.

Oh! noble société que celle des galères. Il semblait que toute vertu s'y fût réfugiée. Obscur ailleurs, là Dieu était visible. C'est là qu'il eût fallu amener toute la terre. Un homme l'a senti, le Puget. Ses atlas de Toulon, pris évidemment sur le vif, vont tellement au cœur, qu'on croit sans peine qu'ils ont été des saints.

Ce monument sacré, que vous voyez au Louvre, semble une halte de rameurs. Les deux hommes, de la ceinture en bas, ne sont plus hommes, mais élément ils sont devenus mer, ce n'est qu'algues et coquilles. Mais le reste est au ciel. Leurs yeux y sont tournés, dans une adorable douceur.

L'un, jeune encore, naïf, oppressé de souffrances, touchant ses reins endoloris, n'en a pas moins son âme en haut. Il espère dans la mort et l'immortalité, il a aux lèvres un souffle faible, mais il voit quelque chose, une lumière... Il va monter, ce me semble, dans un rayon de la foi.

L'autre, d'âge plus mûr, si aimable (qui ne l'eût aimé? qui n'eût voulu un tel ami?), est une nature crédule tout imaginative. Il a oublié la douleur, est absent du présent. La main

enfoncée dans sa joue, il jette l'ancre dans son passé. Il a débarqué heureusement au paradis de sa jeunesse. Il voit là des choses charmantes. J'en suis sûr, c'est sa mère, sa bonne femme, ses petits enfants... Doux foyer !... Que je crains qu'il ne s'éveille tout à l'heure et plus amèrement ne pleure son bonheur écoulé!

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Des dames catholiques, pour faire leur cour, ou par excès de zèle, plusieurs par vraie bonté, avaient sollicité d'être geôlières. Quand on songe qu'en France, jusqu'à nous (1840), les femmes étaient gardées par des hommes, on ne peut qu'applaudir au dévouement de ces dames. Les hôtels de madame de Saint-Simon, de Lamoignon et autres, devaient être, ce semble, d'assez douces prisons. En pratique, la chose se trouva inexécutable. Les curés, qui régnaient absolument chez ces dévotes et n'en bougeaient, rendaient la vie terrible aux prisonnières. Dans ces maisons à eux, sans surveillance, ils se livraient à d'étranges fureurs. Dès le lendemain de la Révocation (7 déc.

1685, Corr. adm., iv, 385), les magistrats s'affligent, s'inquiètent. Harlay et la Reynie se confient leurs tristesses. Ils écrivent «< que plusieurs craignent de se faire catholiques pour n'être pas livrés aux dévots, aux zélés. » La Reynie mande et admoneste << un bon curé, qui, par bonne intention, jeteroit tout par les fenestres. >>

Le zèle de ces pasteurs allait fort loin. L'évêque de Lodève (prélat austère, mais furieux) avait chez lui, dans sa prison épiscopale, une jeune demoiselle. Chaque jour, infatigablement, il allait la trouver et la catéchisait. Et, chaque jour, voyant qu'il réussissait peu, des arguments il passait aux injures et même aux voies de fait, aux coups de poing; il la rouait de coups (E. Benoît).

Les couvents étaient, sans doute, des prisons plus convenables. On remit aux religieuses nombre de femmes mariées qu'on séparait de leurs maris. L'inconvénient, c'est que d'abord, dans leur excessive ignorance, elles avaient horreur de leurs prisonnières, ne les distinguant pas des juives, ou bien croyant qu'elles n'avaient de Dieu que Luther et Calvin. Les supérieures, faites à la tyrannie, s'exaspéraient aux plus humbles résistances. Les nonnes, vraies enfants, traitées comme des petites filles et soumises à toute humiliation, trouvaient naturel de traiter de même une dame, qui généralement, par son austérité, sa supério

rité d'esprit et de culture, eût dû inspirer le respect. Dans ces maisons de femmes, avec leurs grilles et leurs clôtures, l'homme était maître cependant; l'aumônier obsédait la prisonnière dans sa cellule, réglait les pénitences, ordonnait les sévérités. C'est de lui, de lui seul, qu'elle dépendait entièrement.

Celles qui furent plongées aux noirs cachots des citadelles avaient du moins plus de tranquillité. Le geôlier militaire (par pitié ou argent) les ménageait et parfois même leur permettait de se réunir et de chanter ensemble leurs psaumes. Les vieux donjons d'Angers et de Saumur, de Ham, du Pont-de-l'Arche, si humides et si sombres, seraient devenus ainsi de petites églises.

De temps en temps on vidait les prisons. On ramassait de grands troupeaux de femmes et de vieillards, qu'on entassait dans un vaisseau et qu'on jetait sur une plage d'Amérique. Un Français des Cévennes, se trouvant dans un port d'Espagne, y vit un de ces vaisseaux. Sur le pont, quelques dames prenaient l'air; elles avaient la mort sur le visage. Il causa avec elles, et apprit qu'il y avait dans l'entre-pont des demoiselles de son pays, une de quinze, l'autre de seize ans qui était malade à la mort. Elles étaient justement ses cousines. Il descendit et trouva là, d'une part, quatre-vingts femmes ou filles, sur

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