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les faisait rentrer par la porte de Suisse. Pendant que les crieurs proclamaient leur bannissement, les huissiers de la ville en habit noir faisaient eux la collecte de porte en porte. Fureurs et menaces du roi, qui va, dit-il, agır. Genève, en ce péril, décida que ceux qui viendraient désormais seraient conduits à Berne. Mais rien ne put lui faire abandonner ceux qu'elle avait reçus. Elle en garda trois mille. Berne et Zurich la rassurèrent en lui offrant au besoin une armée de trente mille hommes. (V. l'intéressant mémoire de M. Gaberel, tiré des actes.)

Au reste, de quoi s'étonner? quoi de plus français que Genève, ce lac sacré, ce doux pays de Vaud? La France y recevait la France. Ceux qu'elle doit surtout remercier, ce sont les nations étrangères, d'autres langues, de mœurs opposées, qui nous ouvrirent les bras noblement, généreusement. L'Allemagne du Nord, dans son ingénieuse hospitalité, fit que ces fugitifs se crurent dans la patrie, leur fit exprès des villes pour vivre ensemble où on ne parla que leur langue. Ils eurent leurs tribunaux et se jugèrent eux-mêmes. L'Angleterre, magnifiquement, dépensa sans compter, sans se lasser jamais. Elle donna l'argent; et un de nos réfugiés, Schomberg lui porta la victoire.

Mais, de toute l'Europe, la plus excellente hos

pitalité fut celle de la Hollande. Elle fut l'arche dans ce déluge. Peuple froid de parole, mais chaud en acte, solide en amitié, avare pour être généreux. Au jour de la Révocation tous donnèrent largement, tous, juifs, luthériens, anabaptistes, catholiques même. Mais, ce qui valait mieux, excellents organisateurs dans les choses de la charité, les Hollandais créèrent de nombreux établissements de refuge, et surtout pour les femmes. Chaque ville voulut en avoir. Ici, les dames furent reçues, là les veuves de ministres, ailleurs les jeunes demoiselles. Tout cela, par une noble attention, dirigé par des Françaises. Vivres, pensions, propriétés, rien ne manqua à ces établissements. Amsterdam bâtit mille maisons pour les nôtres. La Frise et toutes les provinces leur donnaient des terres et des exemptions d'impôts. Ce n'est pas tout. Les Hollandais, les Anglais de concert, firent savoir dans la Suisse, qu'ils n'avaient pas assez de pauvres, d'émigrés et de fugitifs, et prièrent qu'on leur en cédât.

Racontons le meilleur. Dans ce grand élan de pitié, quand les complaintes des martyrs se chantaient partout en Hollande, le cœur le plus touché, le plus tendre, qui n'en disait rien, c'était la belle et bonne femme de Hollande. Elle qui ne vit que d'intérieur, de famille et de doux ménage, elle

sentit à fond cette terrible révolution de la famille, tant d'époux séparés, de veufs et d'orphelins, Elle adoptait ceux-ci, elle accueillait ceux-là. Souvent, en donnant tout, elle voulait davantage et se donnait elle-même. Les dames les plus riches ambitionnèrent et recherchèrent la main des plus pauvres de ces exilés. C'était le plus souffrant, celui qui avait tout perdu, santé, famille, enfants, celui qui arrivait le plus frappé de Dieu, à qui leur cœur allait de préférence. Qu'on me permette ici de m'arrêter, de rappeler un fait plus ancien qui précède la Révocation, mais qui s'est renouvelé souvent dans ce siècle.

L'antique église des vallées vaudoises des Alpes, image trop fidèle du christianisme primitif, dans son innocence agricole, n'était que plus haïe des papistes et très-spécialement des Jésuites du Piémont. Tout-puissants à la cour, de vingt ans en vingt ans ils y firent lâcher les soldats. Dans la persécution de 1655, tout le petit pays étant couvert de troupes, écrasé, sauf les hauts sommets neigeux, inhabitables, l'intrépide pasteur Léger s'y maintint, résolu à ne pas quitter son troupeau. Plusieurs hivers durant, sans abri que les antres, vivant du peu que des hommes hardis y portaient à grand risque, toujours il échappa à la poursuite des dragons. Mais il n'échappait pas à la nature terrible de ces lieux. Plus d'une fois, la

tourmente l'enleva, le jeta demi-brisé dans les torrents. Plus d'une fois, sur des pentes rapides, il fut roulé par l'avalanche. Souvent, couvert de givre, la barbe et les cheveux hérissés de glaçons, il perdait figure d'homme. On le priait en vain d'abandonner cette vie impossible. Il s'obstinait. Mais il devenait sourd, aveugle par la neige, et ses membres roidis lui refusaient le mouvement. Il fallut donc descendre. Il arriva en Suisse et sur le Rhin, n'ayant rien que sa Bible, dévasté, ruiné, une ombre d'homme, hélas ! une ombre douloureuse, ne faisant un pas sans gémir. Il était dans son lit quand une lettre lui vient de Hollande, la lettre d'une dame veuve. Cette dame, fort riche, lui écrivait que, s'il n'était malade, elle n'eût pas osé s'offrir à lui, mais que, dans cet état, elle croyait pouvoir le prier d'accepter sa main. Cette charmante bonté eut l'effet d'un miracle. Notre homme, hier dans les affreux glaciers, tombe dans une bonne ville de Hollande. Son antre est maintenant une opulente maison, un nid chaud, partout tapissé. La dame qu'à sa lettre il croyait vieille, voici que c'est une jeune sainte, qui veut le servir à genoux. Il remercie Dieu, ressuscite. Son grand cœur et sa gratitude, son amour, le refont. Le voilà un autre homme, plus vivant qu'il ne fut jamais, plus chaleureux. On le sent à son livre, à cette œuvre admirable, la brûlante histoire des martyrs.

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« Poussons au ciel nos acclamations, dit Bossuet (25 janvier 86), et disons à ce nouveau Constantin, à ce nouveau Théodose, ce que les 630 Pères dirent autrefois dans le concile de Chalcédoine « Vous avez affermi la foi, vous avez ex« terminé les hérétiques. Roi du ciel, conservez le « roi de la terre! » Voilà ce que nos pères ont admiré. Mais ils n'ont pas vu, comme nous, les troupeaux égarés revenir, leurs faux pasteurs les abandonner, sans même en attendre l'ordre, et heureux de pouvoir donner leur bannissement pour

excuse. >>

Mot dur pour les ministres, que l'on chassa si cruellement en gardant leurs enfants! Ceux qui

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