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d'inquisition. Ainsi ce pauvre peuple, qui ne demandait qu'à partir, fut refoulé sur lui-même, sur les dragons, sur les supplices. L'exaltation doubla. Bientôt les femmes tombèrent dans des extases, les enfants eurent des visions.

Qui aurait gardé sa raison dans ces extrémités terribles? L'un des esprits les plus sévères du siècle, le fort lutteur contre Bossuet, Jurieu, pasteur de Rotterdam, qui, à cette entrée de la Hollande, voyait, sans fin, arriver le naufrage, frappé profondément, parut délirer de douleur, s'aveugler, radoter. Tous en rirent. Le douteur Bayle en rit. Et le triomphateur Bossuet demande, en haussant les épaules, si M. Jurieu ne voit pas qu'il devient la risée des siens. Les amis de Jurieu, ravis de le voir imbécile, firent frapper à sa gloire la médaille ironique, où sa maigre figure, sous un chapeau de quaker, cheveux courts et barbe pointue, dans son air extatique, fait dire: « Il est devenu fou. >>

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Voilà un homme perdu. Voyons pourtant ce livre de dérision : « L'accomplissement des prophéties, ou la délivrance prochaine de l'Église. Il paraît le 16 mars 1686, précisément cinq mois après la Révocation. Un de ses caractères singuliers, c'est qu'il frappe à la fois et les catholiques, et les protestants. Il l'adresse aux

juifs de Hollande. Trois signes ont annoncé que Dieu va se créer un peuple, absolument nouveau: 1o la Renaissance, la subite éruption des sciences; 2° l'imbécillité catholique, qui, tout en croyant que l'hostie est Dieu, la profane outrageusement; le délire du roi de France qui abreuve les protestants d'affronts, mais ne les tue pas, et se crée par toute la terre de furieux ennemis ; 3° le fait étonnant, inouï, le grand signe, c'est de voir un peuple (l'immense majorité des protestants) brusquement converti du blanc au noir. Spectacle très-contraire à celui de l'Église primitive, où les persévérants furent innombrables. Donc, Dieu veut abîmer ce peuple, s'en faire un, renouveler la face du monde.

Voilà la base terrible, âprement révolutionnaire, qu'il pose pour bâtir par-dessus. Le règne de l'Anti-Christ, commencé au cinquième siècle, va expirer. Jurieu calcule sur les nombres de l'Apocalypse. En comptant les jours pour années, il trouve trois ans et demi, 42 mois. Le premier coup sera frappé en avril 1689. En effet, le 11 avril 1689, fut couronné dans Westminster le champion du protestantisme, Guillaume d'Orange, et l'Angleterre ressuscitée devint, contre Louis XIV, le centre de la résistance européenne. Étonnante divination qui saisit tout le monde, et qui, prise au sérieux, ne contribua

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pas peu à réaliser l'événement à la date indiquée. Après ce coup, l'Anti-Christ languira et ne fera plus que traîner. Mais enfin, dans les derniers temps qui précéderont le Jugement, y aura-t-il encore des rois, des monarchies? Jurieu ne le sait pas. Ce qu'il sait, et dont il est sûr, c'est que tout doit entrer dans l'Unité définitive, former un seul État, la République d'Israël.

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Tel le roi, telle la France. Elle subit toutes les variations de sa santé. La proscription s'aigrit avec le mal du roi. L'opération amène une détente subite, une faiblesse, une énervation générale. Résultat pitoyable qui n'est point d'amélioration. La Révocation, en 86, est une fureur; en 87, une affaire. On sursoit aux martyres, on se rue sur les biens.

Le roi, triste et violent, dans sa pénible attente, en lutte avec les chirurgiens qui, dès l'été, voudraient agir, en fait pâtir l'Europe. A la nouvelle de la ligue d'Augsbourg, quoiqu'on lui remontre humblement qu'elle est purement défensive, il fait sur le Rhin un acte agressif, plus qu'un acte,

une fondation. C'est un fort qu'il bâtit sur la rive allemande, en face d'Huningue, et près de Bâle. Défi à la Suisse, défi à l'Empire. Tête de pont pour passer quand on voudra. Voilà pour le haut Rhin. Il y tenait déjà l'Alsace. Mais, plus bas, il réclamait une grande part du Palatinat au nom de la duchesse d'Orléans, sœur du duc de Bavière. Plus bas encore, il aurait eu Cologne, sous le nom de Furstemberg, son agent, son traître gagé, qui déjà lui avait fait ouvrir Strasbourg. Immobile cette année et ne pouvant chasser, il se lançait d'autant plus sur la carte avec Louvois, dans cette grande chasse allemande. L'électeur de Cologne, qui se mourait, était aussi évêque de Liége, et il avait encore les évêchés d'Hildesheim et de Munster, en Westphalie. Louvois, par Furstemberg qu'il allait faire élire de force, donnait tout cela au roi, la Meuse centrale et le bas Rhin. Il plongeait au cœur de l'Empire. L'empereur, occupé des Turcs et des Hongrois, n'y pouvait rien.

Le seul obstacle, c'était cette affaire intérieure de la Révocation que l'on disait finie et qui traînait. Elle était cependant menée avec vigueur. Mais l'on émigrait d'autant plus. L'argent fuyait par toutes les frontières. Les rebelles échappaient, tout au moins par la mort. Soumis de leur vivant, ils avaient la malice d'attendre

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