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la défense. Envoyé à Berlin par nos réfugiés de Suisse, il n'agit près de l'électeur que pour un pacte défensif qui modérât le roi, le ramenât à un esprit de paix. Jurieu, bien plus ardent, est cependant bien loin de toute idée agressive. S'il commence, en 88, à soutenir le droit de résistance, c'est qu'il y est conduit, provoqué par Bossuet. Les effrontés apologistes de la Révocation, Maimbourg, Bruéys, Varillas, osaient écrire et imprimer qu'on n'avait point persécuté. Mais Bossuet ajoutait qu'on avait le droit de persécuter.

L'Église ne le fait pas, dit-il, car elle est faible. Mais les princes ont reçu de Dieu l'épée pour seconder l'Église et lui soumettre les rebelles. » Les exemples ne lui manquent pas. Il prouve parfaitement que, dès les premiers siècles, le christianisme, arrivé à l'Empire, s'aida du glaive des empereurs, que les ariens, nestoriens, pélagiens, furent persécutés. C'est sur ce droit de forcer la conscience que s'engage la querelle, le duel des deux athlètes par-devant l'Europe, duel si grand, que la révolution d'Angleterre semble n'en être qu'un incident. Jurieu commence en septembre 88 à publier par quinzaines, souvent par semaines, ses Lettres pastorales, redoutable journal où le monde trouvait à la fois et les principes et la légende, la théorie du droit de résistance et les actes des nouveaux martys. Bossuet n'échappe

aux prises de Jurieu qu'en s'enfonçant dans sa barbare doctrine, en soutenant, — contre la nature, la pitié, la justice, le faux droit de la tyrannie. Mais, pendant la dispute, le pied lui glisse dans le sang. Le succès de Guillaume, la révolution d'Angleterre et le grand changement de l'Europe, coupent la voix au prélat altier. Avocat de la force, la force vous échappe. Dieu la transfère ailleurs. Rendez hommage au jugement de Dieu.

Ces lettres de Jurieu eurent un effet incalculable. Chaque semaine, arrivaient ensemble la voix du droit et la voix des souffrances, les arguments et les récits. On y lisait avidement les nouvelles de France, les fuites et les tortures, l'histoire des cachots, des galères, les saints confesseurs de la foi traînés au bagne, mourant sous le bâton. Une doctrine qui venait ainsi sanctifiée, devait être invincible. Ajoutez l'émotion des grandes choses populaires, les psaumes qu'on entendit chantés au ciel, les touchantes assemblées du désert, les révélations des enfants, tout cela, transmis par Jurieu, allait au cœur des exilés, les exaltait au sacrifice.

Ils donnèrent leur sang, leur argent, à l'entreprise d'Angleterre. Le peu qu'ils avaient emporté, leur dernier sou, le pain de leur famille. ils le jetèrent dans cette loterie.

De l'argent qu'emporta Guillaume, nos réfugiés, si pauvres, donnent le tiers. Dans sa petite armée ils donnent le général et presque tous les officiers, les chefs du génie, de l'artillerie, trois régiments invincibles. Mais tout ceci n'est rien. Ce qu'ils donnèrent surtout, c'est le souffle brûlant qui enleva la Hollande, lui fit risquer sa flotte, enfla les voiles de Guillaume. Le froid calculateur, en passant le détroit, sentait de son côté bien autre chose que l'appel de cinq ou six seigneurs anglais. Il avait l'âme d'un grand peuple immolé des Cévennes aux vallées vaudoises, et des Alpes au Palatinat.

CHAPITRE XXVII.

Révolution d'Angleterre. 1688.

Ni la Hollande, ni l'Angleterre, n'étaient prêtes pour l'événement. C'est ce qui ressort invinciblement du très-beau récit de Macaulay. On y sent à merveille le changement qui s'était fait en Angleterre de 78 à 88. La violente horreur du papisme qu'elle montra en 78 était fort attiédie. C'était déjà un grand peuple éclairé, calme, occupé d'affaires, surtout de la grande affaire qui était de profiter de la décadence de la Hollande. Jacques, papiste obstiné, et, comme tel, exclu du trône, n'en avait pas moins été bien. reçu par l'Église anglicane. Celle-ci enseignait l'obéissance à tout prince, « fût-il Néron même. »> On était bien loin du temps de Milton. Sidney,

si récent, était oublié. L'affaire de Monmouth et sa cruelle répression nuisit à Jacques bien moins qu'on n'aurait cru. L'odieux fut pour Jefferies, pour le roi la victoire.

Les nations ont des entr'actes dans leur longue vie. On avait tant jasé dans les cafés de Charles II, qu'on n'avait plus envie d'agir. Tous les partis étaient blasés. Ce peuple très-avancé et qui avait passé par tant d'événements et de discussions, qui avait un trésor d'expériences tel que nul en Europe n'en avait un semblable, était très-fatigué quant aux forces de la volonté. Il savait et voyait, mais voulait peu, agissait peu.

Loin de se défier du roi papiste, le parlement de 85 lui avait voté un gros revenu permanent, et lui avait arrangé à souhait les corporations électorales. A chaque pas qu'il fit contre les libertés publiques, il lui vint des adresses flatteuses. Son drapeau hypocrite, où se ralliaient tous les tièdes, les douteurs qui se croyaient des esprits forts, c'était le beau mot: Tolérance, suppression des lois restrictives, l'indulgence et la liberté.

Indulgence pour remplir l'armée, la flotte, de catholiques dévoués au pouvoir absolu. — Indulgence pour mettre aux tribunaux les hommes imbus du droit divin, pour qui le roi est la loi même. - Indulgence pour appeler les Irlandais

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