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moyen de les avoir, et dès lors, Madame est à la discrétion de Vardes et d'Olympe. Ils peuvent la perdre ou s'en servir. Ils la font d'abord leur complice. Sous ses yeux ils écrivent une lettre anonyme à la reine où on lui conte les amours du roi. Le hasard voulut que la lettre parvînt au roi même. Il la montra à Vardes, qui accusa d'autres personnes, que le roi chassa de la cour. Le roi avait confiance en lui. Vardes lui disait chaque jour que le cœur de Madame était tout à son frère, qu'elle le conseillait contre nous. Mais il ne disait pas que lui, Vardes, avait persuadé à Madame que le roi ne l'aimait pas, et qu'elle devait d'autant plus s'appuyer de Charles II.

Chacun voyait la disgrâce où Madame tombait, le froid mortel du roi. Vardes, par d'ingénieuses calomnies, trouva moyen de l'isoler, de faire partir tous ses amis. Alors, on put oser davantage contre elle. On la tenait par ses lettres qu'elle eût voulu ravoir. Vardes les promet, mais si Madame les veut, c'est chez Olympe, dans cette maison suspecte et ennemie, qu'il pourra les lui rendre. L'historien de Madame n'en dit pas plus, ne donne pas les conditions du traité. Ce qui prouve qu'elles furent dures et étranges, c'est l'insolence que Vardes montra dès ce jour-là.

La vanité de Vardes fut impitoyable et féroce,

autant qu'Olympe pouvait le désirer. Pour lui, le succès en amour était d'humilier et de désespérer. Toute sa vie se passait à cela. Naguère il avait désolé, perdu, mis pour jamais en deuil la belle madame de Roquelaure, qui n'en put relever. Plus tard, à cinquante ans, il séduisit une demoiselle de vingt. Ce fut pour la briser de même. Elle mourut de désespoir. On en fit une pièce qui eût dû le rendre exécrable. Ce fut tout le contraire. Madame de Sévigné y pleura, mais en rit. Elle cache mal son admiration pour un si charmant scélérat.

Ici, vraiment, la chose était honteuse et douloureuse. C'était la perfidie, la méchanceté calculée qui insultait, je ne dis pas la princesse, mais la première femme de France par la grâce et l'esprit, une personne si bonne et si douce. D'autant plus glorieux, Vardes illustra la chose, fit voir qu'il disposait de Madame, la faisait aller comme il voulait. Il lui donna rendez-vous au lieu le plus public, au parloir de Chaillot, l'y fit attendre et ne daigna y venir.

Le roi, pendant ce temps, de plus en plus brouillé avec Madame, las par instants de la Vallière, était revenu à une demoiselle de la Mothe qu'Olympe voulait lui donner. C'était sa préoccupation pendant le procès de Morin et la querelle de Rome. Mais il en eut encore

une autre. Au printemps de 1663, il prit la rougeole et fut un moment très-malade. Grand avertissement du ciel, blessé sans doute de cette guerre impie et des amours du roi. Lui-même se crut près de mourir, prit peur, fut brusquement dévot, à ce point qu'au lieu de créer un conseil de régence dans la ferme main de Colbert, il lâchait tout, et donnait le Dauphin au dévot prince de Conti, radoteur avant l'âge, qui (dit l'évêque Cosnac) avait les os gâtés et mourut de la syphilis.

Le Parlement avait beau jeu, dans cette détente, pour faire un grand coup de sa tête et se montrer terrible. On avait ri un peu de lui depuis la Fronde. Mais il n'y eut plus de quoi rire. Les familles parlementaires avaient été durement humiliées par Colbert. Sa chambre de justice avait frappé la dynastie des Guénégaud (apparentés très-haut dans la noblesse). L'un d'eux avait eu le désagrément d'être condamné comme voleur, gracié, mais en faisant amende honorable et recevant sa grâce à genoux. Grande douleur pour toute la robe, plus encore au parti des saints, aux Guénégaud, Albret, Richelieu, Lamoignon, tous parents et amis. La magistrature avait vraiment besoin de se relever par la terreur.

L'arrêt avait été prononcé dès le 20 décembre 1662. Il ne fut confirmé que le 13 mars 1663,

pendant la maladie du roi. Il était tel; Morin brûlé vif, deux prêtres ses disciples aux galères, la dame Malherbe flétrie, fouettée sur l'échafaud, et fouettée nue. Choquante addition inusitée, qui témoignait honteusement de le fureur des juges. Morin n'en appela pas. Il avait toujours dit : « Je ne demanderai pas à Dieu qu'il détourne de moi ce calice. » La pauvre Malherbe appela en vain.

Un demi-siècle s'était écoulé depuis le bûcher de Vanini, et il y avait eu un grand changement dans les mœurs. Une si haute culture, une cour si élégante, un monde si poli, l'excès même et le ridicule de la politesse amoureuse dans les livres à la mode (des Scudéry et autres), tout cela rejetait bien loin l'idée de ces horreurs du moyen âge. C'était précisément l'année où un illustre voyageur commençait à réunir chez lui les savants, les observateurs, les curieux de la nature. Glorieux berceau de l'Académie des sciences. Cette année, le grand Swammerdam, le Galilée de l'infini vivant, fit à Paris l'honneur insigne d'y apporter sa découverte, qui montrait la vie dans la vie, l'atome organisé contenant d'autres organismes, et cela sans fin, sans repos, sans autres bornes que la faiblesse de nos sens et l'imperfection de l'optique. Abîme ouvert aux profondeurs de Dieu!

XIII.

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Morin était un pauvre fanatique. Mais, dans la mort, il ne se montra pas indigne des penseurs qui, avant lui, honorèrent le bûcher. Jordano Bruno avait dit : « Vous tremblez plus à dire la sentence que moi à l'entendre. » Et Vanini: « Jésus sua du sang, et je meurs intrépide. » Morin se contenta de répondre à l'insulte avec une ferme douceur. L'Italien Mariani, qui était alors à Paris, se trouvait là. (Curiosités de la France, Venise, 1676.) La joie sauvage des juges était telle, telle leur ivresse du sang, que le président Lamoignon ne put s'empêcher de dire à cet homme qui allait mourir: « Il n'était pas écrit que le nouveau Messie dût passer par le feu. « A quoi Morin répliqua, avec présence d'esprit par ce vers et du Psaume 16: « Seigneur, tu m'as éprouvé par le feu. Mais on n'a pas trouvé l'iniquité en moi. »> (14 mars 1663.)

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