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mait pas. Dès que le nonce et l'ambassade du pape furent à Paris, il eut audience du nonce, et mit à ses pieds humblement l'ébauche d'une pièce qui s'appelait Tartufe.

Molière avait observé que certaines gens, laïques, sans caractère et sans autorité, sous ombre de piété, se mêlaient de direction, chose impie et contraire à tout droit ecclésiastique. Ces intrus, intrigants, hypocrites, usurpaient le spirituel, pour s'emparer du temporel, autrement dit, du bien des dupes. (On a vu que Desmarets était intendant de madame de Richelieu, et disposait de tout chez elle.) Rien ne pouvait servir la religion plus que de démasquer ces directeurs laïques.

Le légat fut édifié, et vit bien qu'on l'avait trompé en disant que les gens du roi étaient ennemis de l'Église. Muni de son approbation, Molière eut sans difficulté celle des prélats ultramontains qui se réglaient sur le légat. La pièce ne pouvait plus avoir pour ennemis que de mauvais sujets suspects d'illuminisme, ou des gallicans endurcis, des cuistres jansénistes. Molière expressément a fait Tartufe illuminé. Il dit à son valet Laurent : « Priez Dieu

que toujours le ciel vous illumine. » C'est dire que, dans les trois degrés de la vie mystique (l'ascétisme, l'illumination et l'union), le valet est encore au second

degré, illuminatif; mais son maître est monté à la vie unitive; il est uni à Dieu, perdu en Dieu, ainsi que Desmarets.

Molière, pour se réconcilier les courtisans et faire passer Tartufe, avait fait (ou fait faire) la princesse d'Élide. La princesse, fille des rois, dans son intention, était évidemment Madame. Mais, par un coup désespéré de la cabale, qui sans doute connaissait d'avance Tartufe et en craignait l'effet, il y eut un revirement. Deux complots furent tramés, l'un pour relever la Vallière, l'autre pour perdre Madame. En haine de Madame, la simple fille, acceptée de la cour, même des gens de la reine mère, est comme intronisée aux fêtes de Versailles. Pour elle, on joue la Princesse d'Élide (8 mai 1664), et les premiers actes du Tartufe (12 mai). Là, on obtient du roi ce qu'on voulait; il ne trouve rien à dire à la pièce, mais la défend pour le public, jusqu'à ce qu'elle soit achevée. Le président Lamoignon, dit-on, travailla fort à cela. Il y avait intérêt, comme juge de Morin, et allié des dénonciateurs (de DesmaretsTartufe).

L'autre complot pour perdre Madame eut pour agent le scélérat de Vardes. Il voyait sur la tête planer la foudre. Il agit en cadence avec la grande cabale. Il trompa Guiche encore, et le fit écrire à

Madame, mais écrire chez lui Vardes, qui remettrait la lettre. Il la porta tout droit au roi, la lui montra, lui dit que Madame le trahissait. Puis, se chargeant du rôle du tentateur Satan, il porta la lettre à Madame. Elle vit heureusement le piége et refusa la lettre. Alors il se mit à pleurer, se roula à ses pieds, fit des serments terribles de sa sincérité, pleurant à chaudes larmes de ce qu'elle refusait de se mettre la corde au cou.

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Sa rage fut telle, qu'il ne put la contenir. Un mignon de Monsieur, le chevalier de Lorraine, faisait la cour à une fille de Madame; Vardes lui dit ce mot cynique: « Pourquoi tant courir la servante? Allez plus haut, à la maîtresse. Cela sera bien plus aisé. >>

Un tel mot, d'un tel homme, avait grande portée. L'affront, enduré de Madame, l'eût avilie, et auprès du roi même. Le maître qui se croyait si maître, dépendait fort pourtant du ridicule, s'éloignait des moqués. Si Madame, cette fois, n'agissait, ils prenaient un ascendant définitif; « ils allaient être sur le trône » (la Fayette).

Mais voudrait-elle agir? Elle avait jusque-là épargné ses ennemis, souffert et abrité la Vallière, leur pauvre instrument. Elle avait si peu de fiel qu'on pouvait croire que, comme son grand-père Henri IV, elle ne sentait ni le bien ni le mal. Elle agit cependant. Elle obtint que le roi vînt chez elle

à Villers-Coterets. Elle y fit venir Molière, qui, la seconde fois, joua Tartufe.

pour

La cabale de la cour, qui était chez Madame avec le roi, forcée de subir son triomphe, avertit l'autre, la cabale dévote, qui fit une chose désespérée. On employa la reine mère, fort malade à Paris. On écrivit au roi qu'elle s'était trouvée très-mal. Il accourut. La malade lui fit la grâce inattendue de vouloir bien recevoir la Vallière. Cela coûta beaucoup à la reine mère, elle en eut honte et remords, en rougit devant ses domestiques. Mais les dames de haute piété et de grande vertu, telles que madame de Montausier, déclarèrent qu'elle avait bien fait. Et, ce qui est plus fort, on vint à bout de le faire approuver de la jeune reine elle-même.

Le roi ne resta pas près de sa mère ni près de la Vallière. L'attrait de Madame était grand dans les fêtes d'automne, la saison harmonique des grâces maladives. Elle était devenue enceinte l'autre année 1663 au milieu d'octobre, et elle avait accouché récemment, en juillet 1664. Cette fois encore, au même moment, presque à l'anniversaire, au milieu du même mois d'octobre, elle eut le malheur d'être enceinte, sans être remise encore, et au grand péril de sa vie.

Grossesse fâcheuse en tout sens. Elle allait de nouveau être souvent alitée, maigrir, pâlir, et

baisser près du roi. Un beau champ pour ses ennemis, pour l'intrigue de Vardes et pour l'entremetteuse Olympe. L'année nouvelle arrivait menaçante, incertaine, et la cour doutait. Molière ne douta pas. Si prudent, il fut intrépide, se

déclara et lança Don Juan (15 février 1665).

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