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naïvement le roi d'alors. Il triomphe de sa fausseté, s'en félicite et s'en admire. Il cligne malicieusement de l'œil, semble dire « Ah! que je suis fin ! >>

A quoi bon? je ne le vois pas. Il était le seul fort. L'Espagne se fiait à lui, était comme à ses pieds. Pour un léger secours de recrues allemandes qu'il lui avait permis de faire venir, l'ambassadeur reconnaissant embrassa ses genoux. L'Angleterre, frappée de la peste, de l'incendie de Londres, des intrigues papistes, de la guerre de Hollande, n'en pouvait plus. Et cette dernière, gouvernée par de Witt, par le parti français, écoutait crédulement tout ce qu'il lui plaisait de dire.

Dès avril 1667, il avait acheté un à un les princes du Rhin pour qu'ils ne secourussent pas l'Espagne. Il avait assuré au Portugal un subside annuel, énorme, à condition qu'il ne ferait jamais la paix avec l'orphelin de Madrid.

Mais le plus admirable, un vrai tour de Scapin, c'est la manière dont il attrape et l'Angleterre et la Hollande. Il jure aux Hollandais qu'il ne fera rien aux Pays-Bas sans eux, bien plus, que, s'unissant à eux, il aidera leur amiral Ruyter à forcer la Tamise. Pendant ce temps, la bonne vieille reine d'Angleterre a accommodé les deux rois, réglé la double trahison. Louis trahira la

Hollande, aidera Charles contre son peuple. Charles trahira l'Angleterre et laissera faire aux Pays-Bas.

Le premier résultat probable, c'était que les Hollandais, livrés par le roi leur ami, arrivant seuls au terrible rendez-vous de la Tamise, seraient éreintés, écrasés; que les boulets anglais, travaillant pour Louis XIV, les mettraient hors d'état de se mêler de nos affaires et d'empêcher notre conquête.

Tout était prêt. L'Espagne n'avait aucun moyen d'empêcher rien. Cependant, pour se moquer d'elle, le 1 mai, on la rassure; le 8, on lui déclare la guerre (1667).

7

XIII.

CHAPITRE VII.

La conquête de la Flandre. Montespan. - Amphitryon. 1667.

La guerre de Flandre, pour la cour, c'est le moment joyeux du règne de Louis XIV, une amusante fête; c'est presque un tournoi de parade, comme le fameux carrousel, le bal à cheval, donné devant les Tuileries. Tous étaient jeunes, tous étaient gais; l'argent roulait (la Fare). Avec la reine mère étaient partis les vieux. Un horizon s'ouvrait de conquêtes plutôt que de guerres, seulement de brillants coups de main, de quoi conter aux dames. Sécurité parfaite sous le sage Turenne. Les dames aussi partirent bientôt en guerre, par carrossées, dans les grandes et commodes voitures dorées, salons roulants, où l'on riait, mangeait. C'est ce qui amusait le plus

le roi. Il suivait à cheval, entrait souvent dans ces carrosses, aimait à voir manger, distinguait les belles mangeuses. Les petits accidents de cette vie mobile, les dînées, les couchées, avaient aussi leurs aventures. La conquête de Flandre en entraîna une autre qui changea toute la cour, et fut hardiment célébrée par Molière dans l'Amphitryon, l'imbroglio galant qui mit Jupiter chez Alcmène.

Le digne monument de cette agréable campagne est notre porte Saint-Martin (quoique datée d'une autre époque). Monument héroï-comique, bas, lourd, farci de vermicels, et tout empreint de la grasse matérialité du moment. Cette masse sourit, égayée par la figure unique du grand acteur qui couvre tout. L'art paraît ici songer moins à consacrer la gloire du roi que sa beauté et la perfection de ses formes. Dans sa belle nudité classique, et grandi du cothurne, un Hercule en perruque écrase la Belgique, qui ne combattit point, et la Hollande, qui le fit reculer.

Le danger n'était pas fort grand en cette guerre. Le gouverneur espagnol, homme de cœur, avait un fort bon général français, Marsin, mais point de troupes. Quand il avait voulu se fortifier, on l'avait grondé à Madrid. On lui avait fait honte d'avoir de telles pensées sur le roi très-chrétien.

Tout ce qu'il put, ce fut de raser les petites places pour se concentrer dans les grandes. Mais il n'eut pas le temps; on le surprit le marteau à la main.

Cependant Turenne avança avec une prudence excessive. Sa responsabilité d'avoir là le roi en personne ajoutait encore à sa circonspection naturelle. Le 2 juin, il prit Charleroi abandonné. Il avait trente-cinq mille hommes; de plus, deux corps d'armée le suivaient de côté, vers le Rhin, vers la mer. Il occupait la route, fort libre, de Bruxelles. Nos jeunes gens voulaient y aller. Turenne resta là quinze jours, pour fortifier, disait-il, Charleroi, mais en réalité pour savoir ce qui advenait de Ruyter. Attendait-il les Français pour passer? ou bien s'était-il risqué seul?

La marine formée par Cromwell était fort redoutable; elle avait tenu tête aux Hollandais avec une extrême ténacité. Mais, d'autre part, de Witt branlait; il avait besoin d'être raffermi par un grand coup. S'il renonçait à cette attaque, il reculait, sur quoi? Sur la mauvaise humeur de ce peuple muet, mais dangereux, sur la révolution peut-être. Ruyter pensa que, puisque le vin était tiré, il fallait le boire, et il se passa des Français.

Nous avons son portrait au Louvre, du puissant pinceau de Jordaens. Euvre pantagruélique

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