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poser à cet égard quelques réserves; et il en est une qu'il importerait fort de voir adopter généralement et qui peut être nettement spécifiée; c'est le rejet, l'exclusion dans la toilette, de tout ce qui n'offre absolument d'autre qualité, d'autre mérite, d'autre motif de se produire, que la richesse.

On ne peut raisonnablement assigner à la parure, à la toilette, qu'un seul but, c'est d'ajouter à l'agrément extérieur de la personne; or, les objets de parure ne concourent nullement à ce but en raison de leur valeur, et il est même généralement admis que l'agrément extérieur donné par la toilette est toujours mieux servi par une simplicité de bon goût, que par l'étalage des pierres précieuses, des dorures, des dentelles, des étoffes les plus coûteuses; l'application à la toilette de la richesse, uniquement pour la richesse, est donc une erreur trèsévidente de la vanité, et si cette erreur était généralement reconnue, puis rectifiée dans la conduite, des ressources fort considérables, qu'elle rend aujourd'hui tout à fait stériles, pourraient accroître dans une large mesure la somme des utilités réelles sur lesquelles l'existence et l'amélioration des sociétés sont fondées.

Mais ce que l'on doit surtout souhaiter, quant aux directions rationnelles des besoins de vêtement et de parure chez les classes pourvues de fortune, c'est qu'elles parviennent un jour à se soustraire à l'empire de la mode, c'est-à-dire, à la plus bizarre, à la plus fantasque, à la plus inintelligente des influences qui agissent sur notre conduite.

Les populations de l'Europe ou d'origine européenne sont les seules à peu près qui se résignent à subir une telle influence; toutes les autres maintiennent presque invariablement des costumes et des parures établis depuis des époques fort reculées. N'est-il pas étrange, qu'au gré de quelques personnes de deux ou trois de nos capitales, et surtout de Paris, toutes les classes prétendant plus ou moins à l'élégance du costume, en modifient incessamment les formes et les dispositions sans aucune vue d'amélioration réelle, souvent même en reconnaissant que les changements auxquels elles se soumettent servilement sont incommodes ou disgracieux ?

Cette obéissance aux caprices de la mode est des plus géné

rales; elle se justifie, dit-on, par la crainte de paraître singulier ou ridicule; mais un peu d'attention suffit pour reconnaître que ce ne peut être là sa véritable cause; car, ceux qui se singularisent, en effet, sont les premiers qui adoptent les modes nouvelles, jusqu'à ce qu'elles aient été généralisées; aux débuts ils paraissent souvent fort grotesques, et évidemment, si la majorité avait le bon sens de ne pas suivre leur exemple, ce sont eux qui resteraient ridicules. La vérité est que les changements de modes sont une occasion, d'abord de renouveler les costumes, ensuite de se faire remarquer, d'autant plus que l'on est des premiers à adopter ces changements, puis de montrer ou de faire croire que l'on n'est nullement gêné à cet égard par le défaut de ressources, toutes conditions auxquelles les femmes, en général, trouvent une satisfaction de vanité, et beaucoup d'hommes, surtout dans la jeunesse, partagent sur ce point leur puérilité et leurs faiblesses.

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C'est pourtant là, encore, une évidente erreur de la vanité ; car, si le but de celle-ci, dans la parure, n'est autre que celui d'agréer ou de plaire, on ne s'y conforme guère en s'empressant d'adopter des changements de costume qui, presque jamais, ne sont une amélioration sous aucun rapport, tandis qu'ils produisent le plus souvent, dès les premiers temps, l'effet plus ou moins choquant de ce qui est inusité. En outre, ces changements qui, depuis un siècle, roulent dans un cercle toujours le même, et consistent à ramener tour à tour des habillements trop amples ou trop étroits, trop longs ou trop courts, des coiffures trop hautes or trop écrasées, des ornements accessoires trop abondants ou trop mesquins, etc., etc., sont adoptés par les classes qui les suivent d'une manière uniforme pour tous les individus, sans égard aux modifications que sembleraient devoir exiger les diversités de taille, de tournure, de physionomies, etc.; en sorte que tel costume ou telle partie du costume dont l'effet sera convenable chez certaines personnes, seront ridicules ou disgracieux chez d'autres. Il paraît assez certain que le bon goût de la parure ne saurait s'accommoder d'une telle uniformité, et c'est une raison de plus pour réagir contre l'empire du sot conventionalisme qui l'impose.

Cet empire a, d'ailleurs, de fort mauvaises conséquences

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économiques et morales d'abord, il double ou triple, en moyenne, les dépenses de toilette pour toutes les classes qui s'y soumettent, et il entraîne ainsi une déperdition considérable de ressources ou de forces productives, qui, si elles n'étaient pas dirigées vers cette application stérile, pourraient accroître, à l'avantage de tous, la somme des utilités réelles; ensuite, il détermine, dans une multitude de branches d'industrie appliquées aux différents objets du vêtement ou de la parure, des perturbations. continuelles, des alternatives fréquentes et impossibles à prévoir d'activité et de stagnation de travaux, d'interversion, de suspension ou de suppresion d'emploi, causes d'anxiétés et de souffrances pour de nombreuses masses de travailleurs; enfin, il développe les aspirations vaniteuses les plus inintelligentes; il prive des milliers de familles, qui s'y abandonnent avec des revenus insuffisants, d'une partie importante de ces revenus, que réclameraient leurs besoins plus rationnels, et souvent il les excite à se satisfaire aux dépens d'autrui, tout au moins par les moyens ne comportant pas de répression légale.

Est-il donc impossible que cet empire des variations incessantes de la mode soit aboli, ou du moins considérablement restreint chez les populations européennes? Nous ne pouvons le penser; bien que sa durée compte déjà plusieurs siècles, un aussi singulier travers de l'esprit ne nous semble pas devoir être l'une des acquisitions définitives des civilisations chrétiennes; les peuples le mieux cultivés finiront un jour par s'en affranchir, et les autres suivront. Parmi les moyens de hâter ce progrès, nous en signalerons deux, dont l'efficacité ne serait pas douteuse s'ils étaient employés avec persévérance; ce serait, d'abord, que, dans l'éducation commune, on s'appliquât sérieusement et généralement, à faire ressortir toutes les absurdes et fâcheuses conséquences de l'excessive instabilité de la mode; ensuite, que dans chaque ville, un certain nombre de familles sensées, parmi les classes influentes, se fissent un devoir de s'entendre pour n'apporter dans leur toilette que les rares changements qui leur paraîtraient constituer des améliorations réelles, et qui, d'ailleurs, resteraient subordonnés, chez elles, aux convenances individuelles. Pour peu que ce sage et

utile concert fùt résolument pratiqué, il ne tarderait pas à être imité, et il est probable que ceux qui continueraient docilement à se vêtir en conformité des modèles envoyés par les tailleurs et les modistes de Paris, finiraient par ne constituer qu'une faible minorité.

IV

Indépendamment des habitudes ou des conditions plus ou moins contraires à la santé, et relatives au régime alimentaire ou au logement, il en est d'autres ayant aussi des résultats nuisibles au fonctionnement normal de la vie et des facultés; nous nous bornerons à signaler celles par lesquelles les forces corporelles sont privées de l'exercice qui leur est nécessaire.

Ces habitudes tiennent, en partie, à la spécialisation des professions, et à ce que, parmi celles-ci, il en est un grand nombre ne comportant pas un emploi suffisant des forces musculaires; telles sont les professions dites libérales, celles de comptable, d'employé aux écritures et toutes celles n'exigeant que de faibles mouvements; mais elles dépendent aussi des libres déterminations de la volonté, surtout parmi les classes parvenues à l'aisance ou à la richesse. Le défaut d'exercice habituel rend pénibles les moindres efforts et dispose à s'en dispenser de plus en plus; par là, les membres sont graduellement privés d'agilité, de souplesse, de dextérité, la vigueur physique va s'affaiblissant, et l'énergie intellectuelle et morale s'en ressent plus ou moins.

On a introduit les exercices gymnastiques dans la plupart des établissements d'instruction, où ils sont fort utiles; seulement, ils cessent entièrement à la sortie des écoles, tandis que des exercices analogues ne seraient pas moins salutaires, pour toutes les classes dont nous parlons, pendant la plus grande partie du cours ordinaire de la vie. En Angleterre on pourvoit à ce besoin par des chasses multipliées, par de fréquents exercices d'équitation, et par divers jeux auxquels les populations se livrent en foule et fort souvent; telles sont, par exemple, les parties de cricket, sorte de jeu de balle dont l'usage est trèsrépandu dans le pays. Mais on pourrait, ce nous semble,

atteindre le même but par d'autres moyens, facilement praticables, tout aussi efficaces, et peut être plus rationnels. La plupart de ceux à qui leur profession n'impose pas une action musculaire suffisante, et tous ceux que leur position dispense de travaux rémunérés, pourraient consacrer au moins une heure de chaque jour, soit à la culture d'un petit jardin ou terrain situé dans leur voisinage, soit à divers travaux de forge, de menuiserie, d'ébénisterie, etc., des plus accessibles à ceux qui n'en font pas profession, et dont l'outillage et le matériel peuvent être rassemblés à peu de frais.

Ces exercices seraient des plus favorables à l'entretien, au développement des forces musculaires, et à la dextérité; on ne verrait plus, dans les classes où ils seraient habituellement pratiqués comme une diversion nécessaire à la santé, tant d'hommes absolument incapables de toute opération manuelle, souvent même de se servir d'un marteau et de planter un clou; en outre, ils détermineraient des relations plus ou moins fréquentes entre ceux s'exerçant ainsi en amateurs à l'un des arts mécaniques, ou à des travaux de jardinage, et les ouvriers ou artisans de la profession, et si un tel usage se généralisait autant que ses convenances évidentes semblent le comporter, ces relations ne seraient assurément pas sans influence salutaire, quant à l'entente et à la bienveillance mutuelle entre les diverses classes de la population, conditions qui, dans notre état social actuel, font si généralement et si dangereusement défaut.

Il nous reste à présenter quelques observations sur certaines directions prises par les besoins de locomotion personnelle.

Parmi les emplois que font de leurs ressources les familles arrivant à la fortune, l'un de ceux auxquels elles songent tout d'abord, et le plus généralement, est l'acquisition de chevaux et de voitures pour le service personnel; un tel emploi du revenu, lorsque celui-ci atteint un chiffre pouvant le comporter, est loin cependant, dans la plupart des cas, d'être des mieux entendus; car, il absorbe une forte somme de ressources, et il ajoute peu au bien-être, à l'amélioration réelle de l'existence de la famille, attendu que le luxe dont il s'agit se développe surtout au sein des grandes villes, où l'on trouve en abondance

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