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dairė est, encore aujourd'hui, à peu près ce qu'il était au moyen âge; tous les discours, toutes les amplifications de collége que l'on reproduit chez nous, chaque année, pour justifier cette persistance obstinée et générale dans des études qui ont cessé depuis longtemps d'être en rapport avec les besoins sociaux, ne sauraient l'appuyer d'aucune raison valable, et sont complétement vains; tout esprit lucide et impartial reconnaîtra qu'une pareille obstination n'a pas, en réalité, d'autre justification que l'impuissance des professeurs à changer de voie.

Au surplus, les partisans du maintien de cette espèce de culture intellectuelle, dans nos colléges et nos lycées, pénétrés pour la plupart de la singulière croyance que le vrai, le bien et le beau ne sont pas utiles, ou du moins, que ce n'est pas parce qu'ils sont utiles qu'il convient de les rechercher, ne se croient plus guère obligés d'insister sur l'utilité de l'enseignement dont il s'agit, et si parfois ils prétendent l'établir, c'est toujours en termes généraux et assez vagues pour ne pas se prêter facilement à une réfutation. Voici, par exemple, comment l'un de nos écrivains les plus distingués, justifie sa prédilection en faveur de la prédominance des lettres (dù latin et du grec) dans l'enseignement classique :

<< La langue, la vraie langue, qu'ont lentement formée nos » ancêtres et que des chefs-d'œuvre ont consacrée, tient à » l'antiquité par ses racines; elle en a la saveur et le parfum » que nous sentons, que nous goûtons sans bien les définir et » comme une jouissance familière. Ces figures, ces images, » ces allégories qui circulent dans le langage pour lui donner » de l'éclat, de la transparence et du mouvement, sont des em» prunts faits au génie antique : hors de l'éducation classique, » le sens en échappe. L'éducation classique unit pour un temps » ce qui doit être plus tard divisé, fournit un diapason com» mun contre les discordances de la vie. Elle a un autre titre » supérieur encore si elle est la clef de la langue, elle est >> aussi celle des idées et des sentiments où vient se résumer » l'expérience des siècles, et qui sont le patrimoine respecté » des peuples mûrs pour la civilisation'. »

L'enseignement professionnel en France, par M. Louis Raybaud, Revue des Deux-Mondes, liv. du 1 mars 1864, p. 168, 169.

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N'est-on pas un peu autorisé à voir là un brillant échantillon de cette littérature pure dont parle Ch. Dunoyer? Une telle tirade eût été assez bien placée, ce nous semble, parmi les élucubrations éloquentes de Jérôme Paturot; elle permet, en tout cas, de juger de ce que valent en général les justifications tentées en faveur des directions imprimées, par notre enseignement officiel, aux besoins intellectuels, et l'on verra plus loin quelle est la portée de ces mêmes directions, en ce qui concerne les facultés affectives ou les besoins moraux.

Si le choix des cultures intellectuelles qu'il convient de faire prévaloir dans l'enseignement classique, est un jour mieux entendu, plus en rapport avec les besoins réels des sociétés modernes, l'étude qu'il nous paraîtrait le plus utile de substituer, en France, à celle du grec et du latin, est celle de la langue anglaise par sa diffusion sur les diverses parties du globe, par le grand nombre et l'importance des ouvrages scientifiques et littéraires qu'elle compte déjà, par l'accroissement progressif de nos relations commerciales et autres avec les populations de l'Angleterre ou celles d'origine anglaise, cette langue est incontestablement celle dont la connaissance rendrait le plus de services à toutes les classes de notre population en mesure de recevoir l'enseignement secondaire.

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En admettant à cet enseignement des élèves de neuf à dix ans, déjà pourvus de l'instruction élémentaire, une durée de trois à quatre ans suffirait, en moyenne, avec l'emploi des meilleures méthodes, pour les former à parler et écrire tolérablement le français et l'anglais. De treize à dix-huit ou dixneuf ans, terme ordinaire des études classiques, le temps serait affecté à d'autres cultures intellectuelles, sans toutefois que les exercices sur les deux langues fussent délaissés ; — l'arithmétique, la géométrie élémentaire, la géographie, des notions générales sur la cosmographie, l'astronomie, la physique, la chimie, l'histoire naturelle,-emploieraient utilement une partie de ces années, - un cours de morale expérimentale, joint aux notions les plus utiles de l'hygiène, - un enseignement suffisamment développé de celles des vérités économiques dont la propagation importe le plus, les notions les plus générales du droit, et enfin, un court enseignement historique princi

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palement appliqué aux temps modernes, compléteraient la série des études classiques. Nous pensons qu'un tel ensemble d'études constituerait des humanités beaucoup plus efficaces pour l'avancement intellectuel et moral des élèves, et incomparablement plus en rapport avec la destination et les besoins de la plupart d'entre eux, que ne le sont les études imposées par nos programmes officiels.

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Quant aux enseignements supérieurs ou spéciaux, qui sont destinés, non plus comme ceux de premier et de second degrés, à toutes les carrières indistinctement, mais à des professions ou fonctions particulières, à former des ecclésiastiques, des médecins, des avocats, des ingénieurs, des artistes, des littérateurs, des savants ou des professeurs dans les diverses branches de nos connaissances, il y aurait à signaler dans l'ensemble de ces cultures intellectuelles, telles qu'elles sont pratiquées aujourd'hui, et surtout dans le choix des matières de l'enseignement, bien des déviations à ce qu'indiqueraient une saine appréciation de l'intérêt commun, ou même le simple bon sens : on y trouverait de singulières disproportions entre l'étendue de chacune des diverses espèces de culture, et leur importance respective au point de vue des besoins réels; il paraîtrait difficile, par exemple, de justifier la grande extension donnée aux cultures de l'imagination, et la restriction des enseignements les plus propres à perfectionner le jugement ou la raison ; — le développement considérable d'un enseignement philosophique stérile quand il n'est pas nuisible, et le délaissement à peu près complet de la science économique; - la multiplicité des services d'enseignement affectés à l'histoire, à l'archéologie, aux littératures, aux arts d'agrément, et l'exiguité de ceux appliqués aux institutions et aux législations actuelles, aux théories propres à perfectionner l'agriculture, les industries manufacturières ou commerciales, etc. Il serait plus difficile encore de concevoir pourquoi les enseignements sur le droit et sur la morale restent étrangers à toute connaissance, à toute étude des intérêts communs, à moins que ce ne soit pour leur interdire tout véritable progrès.

Mais la recherche de toutes les directions défectueuses données aux développements des besoins intellectuels, et la justi

fication des changements qu'il serait utile d'y apporter, comporteraient à elles seules un ouvrage fort étendu, et nous devons nous borner aux brèves indications qui précèdent.

Nous ajouterons seulement, en ce qui concerne l'enseignement primaire et secondaire, aussi bien que les enseignements spéciaux ou professionnels, que si, au lieu d'être plus ou moins exclusivement dirigés par l'autorité publique, ou par des corporations ecclésiastiques, ils étaient placés sous un régime de vraie liberté, ils se mettraient probablement beaucoup mieux en rapport avec les besoins réels de l'intelligence, qu'ils ne le sont aujourd'hui; c'est ce que nous établirons, avec les développements nécessaires, en traitant, dans notre troisième partie, de la liberté de l'enseignement.

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Nous entendons par besoins moraux, ceux consistant dans les habitudes contractées par nos facultés affectives ou nos sentiments, et par suite desquelles nous éprouvons, - à l'égard des choses, des hommes, des idées, des opinions et des actions, de la sympathie ou de l'antipathie, de l'attraction ou de la répulsion, de l'admiration ou du mépris.

Les directions prises par ces besoins ne résultent pas seulement des tendances naturelles ou instinctives qui, à divers degrés, sont en chacun de nous; elles dépendent le plus souvent des directions données à la culture de nos facultés intellectuelles. C'est aux besoins moraux ainsi déterminés, et uniquement à ceux qui, dans les mœurs actuelles, nous paraissent s'écarter des voies du bon sens et de l'intérêt commun, que s'appliqueront nos observations.

L'enseignement classique, principalement consacré aux langues et aux littératures grecques et latines, n'est pas seulement, quant à ces études fondamentales, sans rapport avec les besoins des sociétés actuelles, et inutile à la plupart de ceux qui le reçoivent; il a, en outre, pour effet, de donner au développement des sentiments, particulièrement chez les élèves qui réussissent le mieux à se l'assimiler, les directions les plus déplorables, les plus contraires aux véritables intérêts sociaux ;

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c'est ce qui a été maintes fois démontré, mais ce qui reste encore très-généralement méconnu.

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Ces anciens peuples de la Grèce et de Rome, que, par la plus singulière persévérance dans un conventionalisme insensé, nous offrons encore à la jeunesse des écoles, comme d'admirables types de grandeur et de noblesse, avaient fondé leur existence sur l'esclavage et la guerre, sur la spoliation et l'asservissement des vaincus, et leurs institutions, leurs tendances, leurs opinions et leurs mœurs, s'étaient naturellement conformées aux conditions nécessaires d'un tel régime; tous les travaux utiles, ceux de l'agriculture comme ceux des arts manufacturiers, considérés comme œuvres serviles, plongeaient dans l'avilissement ceux qui les exerçaient; le commerce était taxé d'infamie; les seules occupations jugées dignes des citoyens étaient celles de la guerre, de la domination ou de l'administration, et à un moindre degré, les occupations littéraires, philosophiques ou scientifiques. Les esclaves, c'est-à-dire, les grandes masses de la population, considérés comme propriétés et non comme personnes, étaient généralement chargés des autres travaux, et traités avec une rigueur et une cruauté révoltantes. Les mœurs engendrées par un semblable état de choses, lorsqu'il eut produit toutes ses conséquences, ne nous sont bien connues qu'à l'égard des Romains, et un seul mot, dans notre langue, permet de les caractériser exactement, elles étaient hideuses. C'est pourtant dans le sein de cette noble et pure antiquité, comme disent encore aujourd'hui nos historiens, nos hommes d'État, les orateurs de nos lycées, que l'on plonge pendant sept ou huit ans l'intelligence des élèves, faisant ainsi, dit Bastiat, « pénétrer dans l'âme de la France, avec la langue des Romains, leurs idées, leurs sentiments, leurs opinions, et la » caricature de leurs mœurs. »

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Ces opinions et ces sentiments, à l'égard de tout travail producteur, c'est-à-dire de ce qui fonde la prospérité, la dignité et la véritable élévation des peuples, sont, nous le répétons, le dédain et le mépris, et cette funeste direction de nos facultés

'On peut en voir un tableau sommaire, et nullement chargé, présenté par Charles Comte, dans son Traité de législation, livre V, chap. 1 à vII.

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