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natives d'activité et de stagnation auxquelles une multitude d'entreprises industrielles sont soumises, les profits des en trepreneurs et les salaires des ouvriers s'élever ou s'abaisser ensemble? Les crises industrielles ou commerciales 'ne pèsentelles pas en même temps sur les uns et sur les autres? Le succès ou l'insuccès des récoltes n'affectent-ils pas, dans le même sens, les intérêts des petits propriétaires cultivateurs, des fermiers, des métayers, et ceux des ouvriers qu'ils emploient? N'en est-il pas de même dans les entreprises de pêche et de transports maritimes, et dans tous les travaux libres de l'industrie manufacturière? Peut-on méconnaître que lorsque la généralité des entreprises productives sont en voie de prospérité, de développements progressifs, elles tendent à accroître, en même temps que les bénéfices des entrepreneurs, la demande des services salariés qu'elles comportent, par conséquent à améliorer les salaires, et qu'une situation contraire des entreprises de la production tend nécessairement à réduire simultanément les unes et les autres de ces rémunérations?

Il n'est donc pas permis de mettre en doute que, sous un régime de libre concurrence, les intérêts des entrepreneurs d'industrie et des ouvriers sont harmoniques, et que l'opinion qui, supposant ces intérêts fatalement opposés, y voit la source de l'antagonisme trop souvent observable entre les deux classes, n'est qu'une déplorable erreur.

Les causes réelles et principales d'aussi fâcheuses dispositions dans les mœurs de relation sont, chez les ouvriers, dans l'ignorance ou l'inattention, relativement aux vérités que nous venons de rappeler, dans les erreurs qu'elles dénoncent et dont on s'est évertué à les endoctriner, le plus souvent en vue d'intérêts fort différents des leurs, et enfin, dans les irritations produites et entretenues par les rapports malveillants, empreints d'injustice, de dureté ou de mépris, qu'ont avec eux certains entrepreneurs.

Et chez ceux d'entre les patrons qui se laissent plus ou moins entraîner au même antagonisme, les causes de celui-ci sont dans l'oubli de leurs devoirs de relation envers des travailleurs, vis-à-vis desquels leur position leur fait, plus manifestement qu'à l'égard de toutes les autres classes, une rigoureuse obli

gation morale d'agir non-seulement avec équité, mais avec bienveillance; - dans l'orgueil, la vanité, les préjugés d'éducation qui les poussent à tenir leurs ouvriers autant que possible à distance; - dans l'erreur qui leur fait croire qu'ils en obtiendront ainsi un concours plus efficace; enfin, et surtout dans l'ignorance ou le défaut de réflexion qui les empêchent de reconnaître toute la puissance que pourrait leur donner une franche et étroite union avec les ouvriers, non-seulement pour obtenir des travaux de ces derniers tout le fruit possible, mais encore, et principalement, pour lutter efficacement contre toutes les activités dominatrices, cupides ou parasites, qui menacent et compromettent sans cesse les plus grands intérêts de l'industrie générale, et trouvent leurs principales conditions de succès dans l'absence de liens bienveillants et de concert entre les patrons et les ouvriers.

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Ces deux catégories de travailleurs, en y comprenant, bien entendu, les cultivateurs, entrepreneurs et ouvriers, forment la classe productive par excellence; elles ont le même intérêt à l'activité constante, au développement progressif des travaux utile de toute espèce, et, par conséquent, à tout ce qui peut assurer ces conditions, à la liberté, à la justice, à la paix, à l'ordre, à la modération et au bon emploi des dépenses publiques, à la restriction de l'action gouvernementale à ce qu'exigent la sécurité et le respect des droits de tous, à la ruine de la mauvaise politique, caractérisée par toute direction du pouvoir gouvernemental où des intérêts de domination, de dynasties, de castes, de corporations, de classes ou de partis, sont substitués à l'intérêt commun.

Or, leur union étroite dans la défense et la poursuite de ce dernier intérêt, qu'elles représentent presque entièrement, leur donnerait une force irrésistible. Aucune des tendances dominatrices, spoliatrices ou parasites, qui, jusqu'ici, se sont disputé la puissance politique, et dont la prépondérance constitue le principal obstacle aux progrès des civilisations modernes, ne saurait longtemps lutter contre ce grand parti des producteurs, unis enfin pour assurer le triomphe de leurs intérêts communs bien compris, qui ne sont autres que ceux de la société.

La constitution d'un tel parti politique est donc éminemment désirable, et les difficultés qui s'y opposent ne sont nullement insurmontables; car, la propagation des lumières les plus propres à convaincre les patrons et les ouvriers de la concordance de leurs intérêts respectifs, et à dissiper les préjugés iniques ou insensés qui, jusqu'ici, ont entretenu leurs divisions, amènerait bientôt le concert entre les plus intelligents et les plus honnêtes d'entre eux; l'exemple, l'influence, la propagande de ces premiers groupes, avanceraient ensuite progressivement l'union générale, et sous une action concertée entre de véritables hommes de bien, n'eût-elle qu'une étendue et uue énergie fort inférieures à celles que devraient déterminer l'importance et la grandeur du but poursuivi, les discordances deviendraient de plus en plus exceptionnelles.

Une telle union des producteurs est si nécessaire à l'intérêt social, si clairement indiquée comme l'obstacle le plus propre à empêcher le développement des activités nuisibles plus ou moins fortement organisées; - comme le moyen le plus efficace d'obtenir que les effets à attendre des progrès industriels, quant à l'amélioration du sort du grand nombre, ne soient plus entièrement paralysés par un développement parallèle des abus du pouvoir politique et des imperfections de l'état moral; - et enfin, comme la plus puissante et la plus salutaire des forces capables de préserver nos sociétés modernes des naufrages où ont dû sombrer les civilisations antiques, — qu'il nous paraît impossible qu'elle ne se réalise pas un jour, et dans un avenir qui, pour les nations avancées de l'Europe, n'est peutêtre pas aussi éloigné que le ferait supposer l'état actuel de leurs mœurs de relation.

III.

DEVOIRS DE

RELATION ENTRE LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS, OU CEUX DES CULTES RELIGIEUX, ET LES AUTRES CLASSES DE LA POPULATION.

Au risque de scandaliser des préjugés fort répandus encore, nous placerons théoriquement, parmi les agents des services publics, les souverains, qui, dans presque tous les États de l'Europe, sont investis, soit héréditairement, soit par élection

ou par usurpation, du pouvoir politique, ou du moins, d'une grande partie de ce pouvoir. Les notions propagées sur la nature de cette fonction par le système qui prévaut, sont assez peu conciliables avec son assimilation à celles destinées à servir le public; toutefois, elle ne saurait avoir, aux yeux de la raison et de l'équité, d'autre mission légitime que celle-là; elle se dénature et cesse d'être exercée légitimement dès qu'elle s'en écarte, et si les personnages qui la remplissent méconnaissent une telle vérité, c'est que l'orgueil, développé chez eux par une grande puissance, et par les adulations serviles et décevantes dont ils sont sans cesse l'objet, ou bien encore, les déplorables directions données dès l'enfance à leur éducation, concourent à les aveugler sur la nature des devoirs qu'ils ont à accomplir.

Ces devoirs, dans les sociétés modernes, consistent essentiellement et presque uniquement à faire régner la liberté, la justice, l'ordre et la paix aussi complétement qu'il est possible de l'obtenir; c'est au service de ces grands intérêts sociaux que la morale expérimentale restreint le légitime usage que les détenteurs du pouvoir politique ont à faire de l'autorité et des forces qui leur sont départies; ils en font un usage contraire à l'intérêt commun, et par conséquent immoral et inconciliable avec leurs plus impérieux devoirs de relation, toutes les fois qu'ils s'écartent de ces conditions, et principalement dans les cas que nous allons rappeler.

Et d'abord, quand ils mettent leur puissance au service de leurs intérêts de famille ou de dynastie. Évidemment, cette puissance, quelle qu'en soit l'origine, ne saurait, en bonne morale, avoir un tel objet; ce n'est nullement pour leur compte ou au profit des leurs qu'ils ont à l'exercer; mais pour les besoins de la nation, à qui seule d'ailleurs elle appartient, n'étant dans les mains des souverains qu'une délégation expresse ou tacite, dont le loyal exercice est au surplus assez largement rémunéré, pour qu'ils ne puissent la détourner en rien de sa destination légitime, sans se rendre grandement coupables. Et si des vérités aussi simples et aussi claires peuvent sembler paradoxales à beaucoup d'esprits, on ne doit l'attribuer assurément qu'aux aberrations déplorables produites

dans les entendements par les vices de l'éducation générale. Les souverains ne font pas de leur puissance un usage moins déloyal et moins criminel, lorsqu'ils les mettent au service d'intérêts privilégiés de castes, de corporations, ou de tendances parasites, spoliatrices ou dominatrices.

Ensuite, quand ils accroissent les forces dont ils ont la disposition, bien au delà de ce que comporte réellement leur mission de sécurité, et dans le but d'étendre leur domination, ou de la rendre plus absolue, moins contestée, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays; — quand, pour servir cette tendance, ils n'hésitent pas à engager, sans nulle nécessité démontrable, les intérêts et les destinées des nations, dans des guerres aussi ruineuses par l'insécurité qu'elles produisent que par les dilapidations de ressources qu'elles comportent, dont les conséquences morales sont toujours déplorables, même pour les États victorieux, et dont le résultat le plus certain est d'exciter ou d'entretenir les animosités, les jalousies, les défiances, les prétentions à la suprématie ou à la prépondérance, entre les nations ou leurs gouvernements, et de motiver par là l'entretien de formidables armées permanentes qui sont à la fois une cause de ruine et une menace constante d'asservissement.

Enfin, quand au lieu de se borner à protéger les libres développements des facultés et des activités utiles, ils prétendent les diriger, substituer leur initiative à celle des individus,—— réglementer préventivement les travaux, les associations, les échanges, constituer à l'état de monopole ou de concurrence restreinte une plus ou moins grande partie des professions de la production générale, - organiser et régir les cultes religieux, en nommer et salarier les ministres, présider à l'enseignement public à tous ses degrés, en déterminer les matières, les méthodes et les tendances, et nommer ou soumettre à des autorisations préalables tous ceux qui veulent l'exercer.

Proscrire ou réprimer dans les publications de la presse, non pas autant les écrits coupables aux yeux de tout esprit éclairé et honnête, que les opinions ou les doctrines déplaisant aux hommes du pouvoir, et ne donner cours qu'à celles qui leur agréent, tenir en tutelle la gestion de tous les intérêts collectifs de localité, etc., etc., toutes immixtions qui, en

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