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rendu générale la tendance à vivre du produit des impôts, se considère comme étant au service non du public, mais des gouvernements, ce qui, en fait, est vrai le plus souvent, le service de ces derniers n'étant nullement identique au premier, et qu'elle agit en conséquence, apportant dans ses relations avec le public, le ton et les procédés de la domination; que, par suite des conditions qui lui sont imposées, le corps judiciaire, celui de tous les corps de fonctionnaires dont il serait le plus désirable que la considération et l'autorité morale s'affermissent et s'étendissent le plus possible, manque, vis-àvis du pouvoir politique, de l'indépendancé nécessaire au convenable accomplissement de sa mission; que les mœurs de relation des officiers militaires, ou du moins de la grande majorité d'entre eux, sont fortement empreintes de l'ignorance ou du dédain des intérêts communs, et de cet esprit de domination qui passionne les agents comme les chefs de nos pouvoirs politiques; - qu'il en est de même de la majorité des dignitaires et des ministres des cultes; trouvant dans le concours et l'appui de l'autorité civile, les moyens de se dispenser du seul mode d'action efficacement légitime qu'il leur appartienne d'employer, la persuasion.

On a pu reconnaître, enfin, que le remède radical à tous ces tristes développements des mœurs de relation, et aux maux de toute espèce qui en résultent, n'est pas ailleurs que dans le progrès et la diffusion des lumières propres à éclairer les populations sur leurs intérêts communs, et qui seules pourront les préparer à revendiquer efficacement l'extension des libertés publiques, par de larges restrictions dans les attributions de l'État. Jusqu'à ce que ces attributions aient pu être renfermées dans les limites au delà desquelles elles cessent d'être utiles pour devenir nuisibles, les sociétés dont, sous un régime politique normal, tous les intérêts tendraient naturellement et de plus en plus, à s'harmoniser par l'action des lois économiques, continueront à renfermer, au grand préjudice et au grand dauger de la vraie civilisation, une multitude d'intérêts très-énergiquement antagoniques.

Il est possible que les impartiales observations que nous avons exposées dans les deux précédents chapitres, et que nous

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venons de résumer, paraissent, à un grand nombre d'esprits, étrangères à la morale, attendu que la morale qu'on leur a enseignée jusqu'ici est, en effet, tout autre chose; et ce n'est pas l'un des moins singuliers résultats d'un tel enseignement que d'avoir fait admettre, assez généralement, que les doctrines morales n'ont nullement à se préoccuper de l'étude des mœurs! que l'état moral pourrait être pire que celui que nous venons de décrire, sans que ces doctrines eussent à s'en inquiéter, à descendre dans les faits de la vie réelle, à quitter ces régions sereines de la haute métaphysique, où elles se complaisent à renfermer leurs discussions et leurs querelles, vrai tapage de chiens et de chats, aurait dit Courier, qui se battent dans la rue pour des bribes pendant que la maison brûle!

D'autres pourront trouver nos observations entachées d'un rigorisme et d'un pessimisme outrés; d'autres réprouveront surtout la franchise simple, sans restrictions ni ménagements, que nous avons observée dans l'expression de nos opinions. Nous placerons sous les yeux de ceux qui jugeraient ainsi de cette partie de notre travail, quelques mots sortis d'une plume éloquente, et qui peignent avec une égale vérité, mais avec infiniment plus d'énergique sévérité que nous n'avons su le faire, la situation morale dont nous avons esquissé quelques traits:

« Comprenez-vous ce qu'il faudrait aujourd'hui de force » pour délivrer l'humanité de l'effroyable multiplication des » hommes de joie et des hommes de proie, et du règne à peu » près général des contempteurs de la justice et de la raison! » Est-ce qu'aucune force spoliatrice entend qu'on discute la » justice? Est-ce que ceux qui subjuguent les nations ne sont » pas disposés à tout exterminer pour conserver la dépouille » des morts? Est-ce qu'il n'y a pas toujours, de tous côtés, des » voix pour justifier les plus épouvantables crimes? Est-ce » qu'il n'y a pas une nouvelle décadence du genre humain dans » l'animalité? Est-ce que cette chute nouvelle peut être rele»vée par aucune force humaine? Est-ce que, quand on semble » espérer une renaissance morale, le retour aux vertus régéné» ratrices et au règne de la justice, est-ce que les hommes. » d'expérience pratique peuvent s'empêcher de sourire douce

» ment? Et n'ont-ils pas cent fois raison, si Jésus-Christ, par »sa force surnaturelle, capable de soulever le monde entier, » n'intervient pas, et ne recommence pas ce qu'il a déjà » fait 1? »

Ces paroles du P. Gratry ne permettraient d'attendre notre régénération que d'une nouvelle intervention surnaturelle, assurément fort incertaine. Espérons que la liberté et la raison humaines ne sont pas arrivées à ce degré d'impuissance, et que la connaissance plus approfondie et surtout plus répandue des intérêts communs de l'humanité, offre encore des chances de la soustraire à l'empire des passions dominatrices, spoliatrices et dégradantes, qui font leur proie de ces intérêts.

Les Sophistes et la Critique, in-8°, p. 356, 357.

TROISIÈME PARTIE

LA POLITIQUE THÉORIQUE

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