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conciliable avec toute action légale prétendant conduire ou diriger ces facultés.

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DES THÉORIES ET DU MOUVEMENT POLITIQUE, EN FRANCE,
DEPUIS 1789.

La Révolution française de 1789 permit à l'Assemblée constituante de faire application des doctrines politiques qui prévalaient dans ses opinions; ces doctrines se rattachaient en partie aux théories des publicistes le plus populaires; mais elles s'appuyaient surtout de l'exemple de l'Angleterre et des ÉtatsUnis. La déclaration des droits de l'homme et du citoyen, du 3-14 septembre 1791, avait eu des précédents, d'abord en Angleterre, dans le bill des droits de 1689, puis en Amérique, dans la Déclaration des droits du peuple de Virginie, du 1er juin 1776, dans la Déclaration d'indépendance des États-Unis, du 4 juillet 1776, et dans la Constitution de l'Union fédérale, du 17 septembre 1787.

On entendait évidemment, par ces déclarations, tracer des limites aux pouvoirs politiques quels qu'ils fussent, chose qui n'a point été assez remarquée depuis, et cette intention est manifeste dans les déclarations suivantes de la Constituante française, assez généralement oubliées aujourd'hui parmi nous, bien qu'on ne cesse d'y invoquer les principes de 1789.

« Article 2. Le but de toute association politique est la >> conservation des droits naturels et imprescriptibles de » l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et » la résistance à l'oppression.

» Article 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui >> ne nuit pas à autrui ainsi l'exercice des droits naturels de >> chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux >> autres membres de la société la jouissance des mêmes >> droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la » loi.

» Article 5. La loi n'a le droit de défendre que les actions nui»sibles à la société.

» Article 6. Tous les citoyens ont le droit de concourir per

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» sonnellement ou par leurs représentants à la formation de » la loi. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protége, » soit qu'elle punisse...

» Article 8. La loi ne doit établir que des peines strictement » et évidemment nécessaires; et nul ne peut être puni qu'en » vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au » délit....

>> Article 9. Tout homme étant présumé innocent, jusqu'à » ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable » de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour » s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par Dla loi.

>> Article 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, » même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble » pas l'ordre public établi par la loi.

» Article 11. La libre communication des pensées et des opi>nions est un des droits les plus précieux de l'homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à » répondre des abus de cette liberté dans les cas déterminés D par la loi.

» Article 12. La garantie des droits de l'homme et du ci>>toyen nécessite une force publique. Cette force est donc insti» tuée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière » de ceux auxquels elle est confiée.

» Article 13. Pour l'entretien de la force publique et pour » les dépenses d'administration, une contribution commune > est indispensable: elle doit être également répartie entre tous » les citoyens, en raison de leurs facultés.

» Article 14. Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la » contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer l'assiette, le recouvrement et la › durée.

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» Article 15. La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

» Article 17. La propriété étant un droit inviolable et sacré, » nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité pu

» blique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la >> condition d'une juste et préalable indemnité. »

Ces déclarations établissent nettement la distinction entre le pouvoir politique et la société, si souvent confondus auparavant et depuis, et elles offrent, sur la mission générale de ce pouvoir et les limites rationelles de son action, des aperçus conformes à la nature des choses et à l'intérêt commun; mais les doctrines qu'elles consacrent sont restées à l'état de théories, et les différents régimes politiques auxquels nous nous sommes successivement soumis, n'en ont tenu compte que comme de vérités qu'il est bienséant de proclamer, tout en se gardant de les appliquer.

Seules, les populations de l'Amérique du Nord devaient se montrer capables de mettre en pratique de semblables doctrines, et de les faire respecter par leur gouvernement; chez nous, malheureusement, les lumières qui les avaient inspirées étaient trop peu répandues dans la nation; l'Assemblée constituante elle-même, dans la Constitution de 1791, ne réussit pas à établir les conditions les plus propres à assurer la réalisation ou la poursuite constante du but qu'elle s'était proposé, et elle s'écarta sur plus d'un point des directions tracées par la déclaration des droits; en même temps, elle eut l'imprudence, en décrétant le renouvellement intégral de la représentation nationale, d'exclure tous ses membres de l'Assemblée législative qui devait lui succéder; en sorte que le maintien ou le développement de son œuvre se trouvèrent confiés à des hommes nouveaux, dont aucun n'y avait participé, et qui n'avaient ni ses lumières, ni ses tendances.

D'un autre côté, la constitution de 1791 avait maintenu la monarchie héréditaire, et dès lors elle dut être soumise à l'acceptation du chef du pouvoir exécutif, qui, entouré de conseils et d'obsessions le poussant incessament à la résistance, s'était montré peu favorable aux développements successifs de l'œuvre révolutionnaire, et ne se résigna qu'avec une répugnance visible à sanctionner cette constitution, tout en demeurant investi, du moins constitutionnellement, de l'autorité qui devait en garantir l'exécution.

On connaît les suites déplorables qu'entraîna une telle situa

tion la force révolutionnaire, c'est-à-dire, l'ensemble des seutiments, des opinions, des intérêts, des tendances qui avaient déterminé la révolution et qu'elle avait développés, — menacée dans la conservation de ses conquêtes légitimes, par le mauvais vouloir manifeste de l'entourage royal, acquit un nouveau degré d'intensité, qui devait la placer sous la direction des volontés les plus énergiques, mais non les plus éclairées; les attaques de l'extérieur, concordant, sinon combinées, avec toutes celles des partis et des intérêts qui, à l'intérieur, lui étaient hostiles, achevèrent de l'exaspérer; la passion, dominant la raison, amena les convulsions anarchiques, les proscriptions en masse, le régime de la terreur, les exécutions sanglantes, qui n'épargnèrent même pas les hommes éminents les plus dévoués à la révolution et au bien public, et lorsque cet accès de fièvre cérébrale fut enfin calmé, la nation, fatiguée de commotions politiques, craignant le retour des excès démagogiques et aspirant au repos, se prêta, avec une facilité à jamais déplorable, aux desseins ambitieux d'un homme de guerre, doué de prodigieuses facultés, mais n'ayant en vue que sa personnalité, et dont les brillants succès militaires l'avaient enivrée, en la disposant à lui confier aveuglément ses destinées.

Pendant la tempête révolutionnaire, les théories politiques durent se mettre à l'unisson de l'exaltation et du délire des esprits; les réminiscences classiques et les idées de Rousseau y prévalurent, et elles enfantèrent une suite de conceptions et de tentatives de régénération nationale, plus ou moins grotesquement imitées de Sparte, d'Athènes et de Rome républicaine. Mais, sous le Consulat et l'Empire, il n'y eut plus pour la France d'autres théories politiques que les volontés du maître qu'elle s'était donnée.

Cet homme avait au suprême degré le génie du commandement et de la domination; il apporta, dans la damnable entreprise de tout asservir à ses volontés, une infatigable énergie et un art consommé; il parvint à se faire de la nation entière un instrument passif, manœuvré sous sa direction par une administration colossale, qu'il étendit comme un réseau sur tous les points du pays, qui lui obéissait avec le même dévouement et la même ponctualité que son armée, et qui a toujours formé

depuis l'obstacle le plus puissant à l'extension des libertés publiques. Il fit d'abord, de l'omnipotence qu'il s'était attribuée, un usage modéré et sensé, ce quí, joint à la lassitude des agitations politiques, acheva de lui concilier l'adhésion générale; mais, dès qu'il eut dompté ou rattaché à sa cause toutes les résistances, sa puissance fut exclusivement appliquée au service de son insatiable ambition et de ses intérêts de famile ou de dynastie. Il voulut assujettir l'Europe à son joug, comme il avait fait de la France, de laquelle il obtint, dans ce but, les plus gigantesques efforts.

Les admirateurs du despote n'ont pu assigner aux guerres agressives dont, pendant douze ans, il ensanglanta l'Europe, d'autres mobiles que ses passions dominatrices, ni d'autres desseins positifs que celui de grandir sans cesse et sans mesure son importance personnelle, et de ne souffrir la compétition d'aucune volonté directrice autre que la sienne; tout, en lui, était entraîné vers la satisfaction de ce monstrueux orgueil; il est impossible d'expliquer autrement sa conduite, et l'on ne saurait plus répéter aujourd'hui qu'à des enfants, que la révolution s'était incarnée dans sa personne et qu'il s'était donné la mission de la faire triompher en Europe. Quant aux résultats qu'il a su obtenir de la plus formidable puissance qui ait jamais été placée dans les mains d'un seul homme, ils se résument dans le plus triste ensemble de calamités :

Il a ravivé partout les passions guerrières, cette exaltation sauvage pour les succès, les triomphes, la gloire obtenus sur les champs de bataille, quels qu'en soient le but et les suites.

Par la surexcitation de ces instincts brutaux et les luttes affreusement sanglantes qu'il a provoquées, il a ranimé et envenimé les animosités internationales, imposé pour longtemps à l'Europe le fardeau des grandes armées permanentes, arrêté ou considérablement retardé la marche ascendante des sociétés, qui ne s'élèvent sûrement vers une civilisation meilleure qu'en raison du progrès de leurs libertés, auxquelles l'esprit guerrier, l'esprit militaire, constant auxiliaire des tendances dominatrices, opposera toujours les obstacles les plus insurmontables.

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