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avec l'humanité, offre un mélange de biens et de maux; de là devait naître la conception de deux puissances opposées, l'une bienfaisante, l'autre malfaisante, et telle paraît avoir été, avec la croyance à l'âme immortelle ou à la résurrection des corps, la base des systèmes religieux de l'Égypte et de la Perse antiques.

Le système hébraïque, le christianisme et le mahométisme qui en sont en partie dérivés, admettent aussi la puissance du mal personnifiée, mais en la subordonnant à Dieu ou à celle du bien. Les deux derniers consacrent très-expressément l'immortalité de l'âme, très peu indiquée dans le premier.

Dans l'antiquité grecque et romaine, les personnifications du polythéisme, purement allégoriques à l'origine, symbolisaient les diverses manifestations des puissances actives de la nature; mais chez les esprits les plus cultivés, l'idée de Dieu paraît avoir été celle d'une âme universelle, dont l'âme humaine était une émanation, temporairement liée au corps, et impérissable elle-même.

Quant à la nature, à la consistance de la divinité et de l'âme, les efforts faits pour les saisir ont toujours été vains, notre entendement paraissant radicalement impuissant à connaître l'essence d'aucune puissance active. Cependant, depuis que les complications du langage et la mise en usage d'un grand nombre de mots à signification vague, mal déterminée, élastique, ont ouvert la voie aux subtilités métaphysiques et théologiques, on n'a pas manqué de disserter sur l'essence de l'âme humaine et même sur celle de Dieu.

Confondant l'agent intellectuel qui est en nous, avec les idées qui ne sont que ses diverses impressions, et donnant à celles-ci une existence à part, on a affirmé, en prétendant donner à cette affirmation l'autorité d'un dogme religieux ou celle d'un axiome de philosophie, que les essences dont il s'agit étaient de purs esprits, entendant expressément par là ce qui serait absolument privé d'étendue ou hors de l'étendue, condition que la raison humaine est invinciblement portée à confondre avec la négation de l'être; car, s'il est quelque chose de parfaitement avéré dans les lois de notre entendement, c'est l'impossibilité radicale où il est de concevoir l'existence en dehors de

l'espace ou de l'étendue, comme en dehors du temps ou de la durée; en sorte que nous n'avons point de conviction plus universelle et plus impérieuse que celle qui nous persuade que, pour qu'un être existe, il faut qu'il soit quelque part, et que nous ne saurions admettre, par exemple, l'assertion que Dieu est à la fois partout et nulle part, que comme la plus manifeste des contradictions.

N'eût-il pas été moins téméraire et plus sensé de se borner à convenir que les essences intellectuelles sont inaccessibles à notre entendement, ou tout au moins inconnues jusqu'ici ? C'est ce que l'on n'hésite point à faire en ce qui concerne l'essence des forces physiques,-de la gravitation universelle, de l'affinité chimique, du calorique, de l'électricité ou du magnétisme, de la vie végétale et animale, etc., et comment a-t-on pu se croire plus autorisé à donner de telles explications sur l'essence des plus mystérieuses et des plus élevées de toutes les puissances actives, celles qui se sentent, qui comprennent et qui veulent, celles de Dieu et de l'âme humaine?

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Tout révèle aux esprits méditatifs et lucides l'existence d'une intelligence suprême et éternelle, régissant l'univers; tout, dans l'étude attentive de l'homme, concourt à confirmer qu'il est doué d'une parcelle de cette intelligence régulatrice, et bien qu'il ne nous ait pas été donné d'en connaître l'essence, de grandes probabilités nous inclinent à croire qu'elle n'est pas de nature périssable; qu'elle appartient à ce monde d'êtres invisibles, soustraits à l'investigation scientifique, dont les effets nous révèlent l'existence, sans qu'à cet égard le doute soit possible, aux plus élevées de ces forces toujours actives, auxquelles nous avons donné des noms sans les connaître, mais que nous concevons impérissables en elles-mêmes, indépendamment des variations, des transformations que subissent les objets sensibles dans lesquels elles se manifestent.

N'est-il pas vrai que si, à ces notions pleinement en harmonie avec les lois de notre entendement, on prétend rattacher des affirmations détruisant cette harmonie, telles que celle de l'existence d'êtres réels hors de l'étendue et de la durée, et maintenir une philosophie spiritualiste qui, avec une telle base, n'est fondée que sur un non-sens évident, on trouble, on

obscurcit des conceptions intellectuelles que, sans un tel alliage, la méditation confirmerait de plus en plus?

Quoiqu'il en soit, de la prétendue notion de l'esprit pur, les religions positives, celles qui ont été ou sont encore pratiquées, ne s'y sont point arrêtées; toutes ont paru reconnaître que les populations ne pourraient généralement adresser leurs adorations, leurs aspirations, leurs prières, qu'à un être, réel ou supposé, mais bien déterminé; elles n'ont pas même admis que la notion d'une intelligence souveraine, dont quelques attributs pourraient être conçus par la raison, mais dont l'essence, la nature devraient rester constamment voilées, et qui ne se rattacherait dans la pensée à aucune forme ou image sensible, fùt suffisante pour fonder un culte durable et y rallier les masses, et il est assez probable, en effet, qu'un tel culte ne pourrait se généraliser que chez un peuple arrivé à un haut degré de développement intellectuel; toutes en conséquence, ont incorporé la divinité, et le plus généralement sous forme humaine.

Brahma est pourvu d'une bouche, de bras, de cuisses et de pieds, puisque les quatre castes indoues sont sorties de ces diverses parties de son corps; le Boudha était un homme, et c'est dans d'autres hommes qu'il se reproduit; les divinités de l'Olympe étaient, pour presque tous leurs adorateurs, des hommes ou des femmes; le Christ est Dieu fait homme, et c'est exclusivement en lui que les chrétiens se croient en communication avec Dieu.

Mahomet est le prophète de Dieu, et c'est surtout à lui et aux saints ou santons que s'applique le culte; toutefois, c'est parmi les mahométans et chez les Arabes de l'Yémen, que l'idée d'un Dieu unique, souverain du monde, impénétrable dans son essence à nos moyens d'investigation, paraît s'être conservée le plus éloignée de toute croyance à son incorporation : « On a vu au commencement de ce siècle, dit M. Renan, dans » la patrie même de Mahomet, un sectaire provoquer le vaste » mouvement politique et religieux des Wahabbites, en pro» clamant que le vrai culte à rendre à Dieu consiste à se pros» ner devant l'idée de son existence; que l'invocation de tout » intercesseur auprès de lui est un acte d'idolâtrie, et que

>> l'œuvre la plus méritoire serait de raser le tombeau des pro»phètes et les mausolées des imans'. »

Des systèmes religieux. consacrant la croyance à une divinité toute-puissante, à l'immortalité de l'âme, aux peines ou aux récompenses qui lui sont réservées dans une autre vie, devaient nécessairement comporter des règlements sur la conduite humaine, présentés comme des lois d'ordre divin, que l'on ne pouvait enfreindre impunément, soit que le châtiment dût sévir dès la vie actuelle, soit qu'il fût réservé à la vie à venir. Chacun de ces systèmes consacre un symbole de croyances ou une série de dogmes qui, souvent, sont incompréhensibles, ou peu en harmonie avec les indications de la raison commune, mais pour lesquels la foi absolue n'est pas moins impérieusement exigée, - l'incrédulité persistante en présence de leur prédication, étant assimilée à une désobéissance, à une rébellion envers Dieu, entraînant une responsabilité terrible; le christianisme et le mahométisme sont surtout inflexibles sur ce point, et la première affirmation du Coran est : Il n'y a point de doute en ce livre.....

On conçoit, au surplus, que les fondateurs de religion, soit qu'ils fussent inspirés, soit qu'ils crussent l'être, soit seulement qu'ils voulussent le faire croire aux autres, — donnant leurs enseignements comme ceux de la divinité même, - ne pouvaient tolérer ni contestation ni doute.

Après la foi, présentée par tous les systèmes religieux comme la condition première du salut, viennent les œuvres, c'est-àdire, l'accomplissement des prescriptions relatives à la conduite, et d'abord, de celles spécifiant les conditions et les formes du culte à rendre à la divinité, les sacrements, les prières, les expiations, les cérémonies, les pratiques pieuses, etc., dont le but est d'entretenir la foi, de soumettre les fidèles de chaque culte aux directions du clergé chargé de l'enseigner et de le gouverner, de les relier entre eux par une règle commune, par un ensemble de pratiques religieuses, différant plus ou moins considérablement d'un système à l'autre, et par lesquelles se manifestent et se distinguent les

1 Dictionnaire général de la politique, article MAHOMÉTISME.

diverses religions, dont ces pratiques ont toujours paru constituer la partie essentielle aux yeux du plus grand nombre des croyants.

Les prescriptions des divers codes religieux s'appliquent ensuite aux directions de la conduite en dehors du culte proprement dit; tous proscrivent l'homicide, le vol, l'adultère, le mensonge, etc., et recommandent l'aumône, la concorde, le respect de l'autorité paternelle, etc. Ces prescriptions se sont étendues non-seulement à la conduite privée, mais encore à l'organisation, aux institutions et à l'action politiques.

On conçoit que lors des premières formations des sociétés laborieuses, dans lesquelles les différences de position ou d'éducation entre les familles étaient peu marquées, et où l'on manquait des moyens de donner une force matérielle suffisante au pouvoir politique, il était difficile qu'une autorité purement humaine fût sûrement et généralement obéie; il était donc naturel que les hommes les plus capables ou les plus influents cherchassent à appuyer de la sanction divine les règles d'utilité commune qui leur paraissaient nécessaires; aussi les plus anciens gouvernements nous sont-ils représentés comme des théocraties, où l'autorité religieuse et politique était exercée par les mêmes hommes. Tel a été le premier régime social des Hébreux ou des Juifs. Le régime des castes dans l'ancienne Égypte était fondé sur le système religieux. Il en a été et il en est encore de même dans l'Inde; les lois de Manou, comprenant le code civil des brahmanistes, ont une consécration religieuse, et même aujourd'hui, sous la domination anglaise, elles sont encore appliquées aux indigènes par les tribunaux. Le Coran est à la fois, le code religieux, politique et civil des Musulmans. Le boudhisme seul paraît n'avoir jamais aspiré à exercer ou à partager l'autorité politique ou civile, si ce n'est dans la partie du Thibet où il prend le nom de lamaïsme; partout ailleurs il se renferme exclusivement dans l'enseignement et la pratique du culte, et il ne s'est propagé et ne se maintient que par la persuasion, obtenue souvent à l'aide de jongleries.

Le christianisme ne demanda d'abord que la liberté, c'est-àdire, l'affranchissement pour les cultes de la régie de l'État, dont il faisait profession de respecter sur tout le reste les lois

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