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politiques et civiles; mais à partir du règne de Constantin, il répudia cette doctrine, usant de la force à son tour pour contraindre à l'abandon des autres cultes. Ses ministres, depuis ce temps, ont souvent été associés à l'exercice de l'autorité publique, qu'ils ont partagée plus ou moins inégalement avec les pouvoirs laïques.

C'est au christianisme, enseigné depuis bientôt dix-neuf siècles, que s'est rattachée la partie du genre humain sinon la plus nombreuse, du moins celle qui, de nos jours, est la plus avancée en civilisation, la plus puissante, la plus envahissante,

celle qui paraît destinée à se multiplier le plus dans l'avenir, à maîtriser, à diriger toutes les autres, à les placer dans les voies qui pourront les rapprocher plus ou moins de son niveau industriel, intellectuel et moral.

Les dogmes essentiels du symbole de croyances consacré par ce système religieux, ceux admis par toutes les communions chrétiennes, sont: 1° celui d'un Dieu créateur de l'Univers, qu'il dirige selon des lois établies par sa volonté, mais admettant à l'égard de l'homme une action providentielle; 2o celui de l'immortalité de l'âme humaine, douée de libre arbitre, et soumise en cette vie à une épreuve de laquelle dépendra sa récompense ou sa punition; 3° celui de la chute ou du péché originel, qui aurait abaissé la nature primitive de l'homme; 4° celui de l'incarnation de Dieu en Jésus-Christ, qui, par le sacrifice qu'il s'est imposé, aurait racheté le genre humain des conséquences de la chute, et ouvert à tous les chrétiens, dans la loi nouvelle qu'il a apportée, et au moyen de la foi et des œuvres, la voie du salut; 5o enfin, celui de l'inspiration divine des écritures composant l'Ancien et le Nouveau Testaments, dans lesquels la croyance chrétienne voit la parole de Dieu.

Quant à la doctrine morale du christianisme, telle que l'enseignent les actes et les paroles du Christ, elle semble, en préconisant le renoncement aux intérêts de ce monde, méconnaître la portée salutaire des tendances qui poussent les hommes à l'amélioration de leur sort, et vouloir encourager la vie con

Sauf toutefois l'unitarianisme, quant au dogme de la chute et à celui de l'identification du Christ avec Dieu.

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templative aux dépens de l'activité utile, ce qui, devant la raison appuyée sur l'expérience, serait contraire au perfectionnement humain; mais, d'une part, une telle interprétation de la doctrine évangélique est contestable; d'autre part, cette doctrine est fortement empreinte de la pensée que les hommes sont frères et égaux devant Dieu, et d'une ardente charité pour les faibles, les pauvres et les souffrants, ce qui l'élève bien audessus de toutes les doctrines morales consacrées ou enseignées auparavant; elle se résume au surplus dans le précepte de l'amour de Dieu et du prochain.

La doctrine chrétienne, quant aux croyances et à la morale, n'est point restée telle que l'avaient donnée les enseignements du Christ; ceux-ci présentaient, dans leur portée théologique, des obscurités pouvant donner lieu à des interprétations diverses, et les apôtres eux-mêmes ne furent pas toujours d'accord sur tous les points; il est d'ailleurs difficile de méconnaître que l'enseignement n'est pas exactement le même dans les quatre Évangiles, celui de saint Jean différant notablement des autres. Toutefois, à part des hérésies condamnées par la majorité, les chrétiens se maintinrent, pendant les deux ou trois premiers siècles, dans une unité de croyances différant peu d'une sorte de moyenne des enseignements évangéliques et apostoliques; ils se montrèrent surtout généralement animés de l'esprit de charité du Christ, et d'une foi vive dans la fraternité et l'égalité des hommes devant Dieu, qui leur inspirèrent un ardent prosélytisme, un dévouement enthousiaste ne reculant devant aucun sacrifice, et leur gagnèrent rapidement les multitudes, malgré des obstacles puissants et de longues et cruelles persécutions. C'est seulement au Ive siècle, en 317, que le christianisme obtint, outre la liberté à laquelle il avait auparavant borné ses vœux, la prépondérance sur les autres cultes, dans toute l'étendue de la vaste domination du second empire romain; il devint ja religion du souverain, sous l'autorité duquel eut lieu, en 325, le premier concile général ou œcuménique, celui de Nicée.

A partir de cette époque, les chefs du clergé chrétien ont plus ou moins participé à l'exercice du pouvoir politique et civil dans la plupart des États de l'Europe. Cette immixtion, en somme, ne fut point défavorable aux populations, qui trou

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vèrent dans les évêques une puissance plus éclairée et moins violente que celle des dominateurs laïques, et souvent une protection efficace.

Mais elle devait entraîner l'épiscopat à s'écarter progressivement de l'esprit du christianisme primitif; car, il est dans la nature des hommes d'abuser du pouvoir qu'il leur est donné d'exercer sur leurs semblables, d'en faire un moyen d'asservissement ou de spoliation, dès qu'ils ne rencontrent plus d'obstacles suffisants à ces iniquités, et les exceptions à cet égard confirment la règle. On vit, en effet, la grande majorité des chefs du clergé cesser graduellement, sinon d'admettre en théorie, du moins de pratiquer avant tout, les grands commandements de la loi chrétienne, - l'amour de Dieu et du prochain: l'extension, la consolidation de leur domination, le service de leurs intérêts temporels, devinrent les objets les plus constants de leurs préoccupations et de leurs efforts; le mot Église ne désigna plus, comme avant leur association au pouvoir politique, la communauté des fidèles, mais le clergé seulement, ou plus exactement les évêques, dont l'élection. fut retirée aux communautés pour être attribuée soit aux souverains laïques, soit aux pontifes de Constantinople et de

Rome.

Il avait été décidé par les évêques qu'ils étaient les représentants des apôtres, et que l'esprit divin inspirait infailliblement leurs délibérations lorsqu'ils étaient réunis en concile. A la suite de longues discussions, qu'alimentaient les interprétations diverses données aux Écritures et les subtilités métaphysiques ou théologiques, ils étendirent et compliquèrent considérablement le dogme et les conditions du culte; ils fixèrent la constitution hiérarchique et la discipline du corps ecclésiastique, de manière à lui assurer le plus d'unité et de puissance possibles, et ils soumirent au code religieux autant d'actes de la vie politique et civile que pouvaient le permettre l'état général des mœurs et la compétition des pouvoirs laïques.

La conquête de l'empire romain par des populations incultes, venues du nord, de l'est de l'Europe, et d'une partie de l'Asie, parut d'abord menaçante pour la puissance déjà acquise par le clergé chrétien; mais le péril commun, les violences et les

malheurs qui accompagnèrent les invasions, firent surgir du sein de ce clergé des hommes animés de l'esprit des premiers temps du christianisme, dont le dévouement, le courage, et les lumières, relativement fort supérieures, exercèrent sur les vainqueurs une influence qui grandit rapidement; ces derniers, formés seulement pour la guerre et la dévastation, étaient incapables de concevoir et d'organiser un gouvernement régulier de leurs conquêtes; ils trouvèrent auprès d'un clergé possédant toutes les traditions de la savante administration romaine, formant à peu près la seule classe pourvue de culture intellectuelle, et exerçant une grande influence sur les populations conquises, les conseils expérimentés et les auxiliaires qui leur étaient nécessaires; ils l'associèrent bientôt à leur puissance, puis aux bénéfices de la conquête, et lorsqu'ils eurent généralement adopté la foi chrétienne, la domination sacerdotale se montra en Europe, plus étendue et plus solidement assise que jamais.

Une concentration de la puissance cléricale s'était graduellement accomplie. Les évêques-patriarches de Constantinople et de Rome avaient acquis, sur les autres évêques, une suprématie qui grandit avec le temps, et leur rivalité fit éclater, au IXe siècle, le schisme qui, depuis, a séparé de l'Église de Rome, les Grecs, les Russes, etc.

Dans le reste de l'Europe, le pouvoir ecclésiastique se concentra de plus en plus dans le pontife de Rome ou le pape, qui devint chef suprême du clergé, puis prince ou souverain temporel. Le mariage des prêtres, longtemps autorisé, et qui l'est encore dans l'Église grecque et les communions protestantes, fut interdit dans l'Église de Rome, et cette mesure accrut de beaucoup la force d'unité et de discipline de tout le corps ecclésiastique, au bénéfice de la puissance papale; l'inspiration divine, l'infaillibilité en matière de dogmes, de culte, de morale, et sur tous les points que l'Église romaine prétend régir, - auparavant réservées aux assemblées générales des évêques, furent attribuées au pape, qui devint ainsi le vicaire de JésusChrist, le représentant de Dieu sur la terre, et, par conséquent, le régisseur suprême des peuples et des gouvernements, l'autorité absolue.

C'est du xre au XIVe siècle, avec les papes Grégoire VII, Innocent III, Boniface VIII, etc., que cette puissance des souverains pontifes paraît avoir atteint son apogée. En théorie, l'église de Rome professait que le pape avait reçu de JésusChrist, en la personne de saint Pierre, un plein pouvoir de gouverner le monde aussi bien au temporel qu'au spirituel, avec ces conditions, qu'il devait exercer par lui-même le pouvoir spirituel, tandis que le pouvoir temporel restait confié aux princes séculiers, chargés de l'exercer sous son autorité, suivant ses ordres, au nom et selon les vues de l'Église. En fait, le pape disposait des royaumes ou des gouvernements; il les instituait, les réunissait, les donnait en fief, suspendait ou déposait les souverains, décidait les questions de succession au trône, etc.

Le moine Hildebrand, élu pape en 1073, sous le nom de Grégoire VII, formula ses doctrines sur l'omnipotence du saintsiége, dans une lettre qu'il écrivait à Hériman, evêque de Metz, au sujet de l'empereur germanique Henri IV, et dont nous croyons devoir reproduire l'extrait suivant :

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« Vous désirez, disait Grégoire VII, être prémuni contre le » système insensé de ceux qui prétendent que le roi Henri, » rebelle à la loi chrétienne, destructeur des églises et de l'empire, complice des hérétiques, n'a pu être excommunié » par le saint-siége, et qu'on n'a pas dû délier ses sujets du >> serment de fidélité. Mais quand Jésus-Christ dit à saint » Pierre Ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, et ce » que tu auras délié ici-bas, le sera dans les cieux aussi, les >> rois sont-ils exceptés, et ne sont-ils pas au nombre des brebis » que le Fils de Dieu confie au prince des apôtres? Qui peut se >> croire affranchi de cette souveraineté universelle, de ce pou>> voir de tout lier, de tout délier sur la surface de la terre? >> Instituée pour déterminer ce qu'il faut croire et ce qu'il faut » pratiquer, ne l'est-elle pas aussi pour juger les doctrines et >> les actions? N'est-ce pas à elle, comme à une mère et comme » à une reine, qu'on doit appeler de toutes les causes, et peut» il être permis à qui que ce soit de méconnaître l'irréfragable » autorité de ses décisions?...

» Comment ne pas subordonner un pouvoir inventé par des

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