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de 1789, l'État a dépossédé le corps du clergé des biens immeubles dont il jouissait; la même mesure a été prise en Espagne, en Piémont, et elle vient d'être étendue aux autres parties de l'Italie. Il ne paraît pas, en effet, qu'il y ait aucun motif valable pour permettre aux congrégations ou corporations religieuses de posséder, en tant que corporations, d'autres immeubles que les édifices affectés au culte ou au logement des communautés.

Mais cette restriction relative aux immeubles est-elle suffisante pour garantir les familles contre les donations abusives? Les ressources autres que les immeubles ne sont-elles pas, comme ceux-ci, des éléments de production, et ne les frappet-on pas de stérilité, d'une sorte de main-morte, en les détournant des emplois reproductifs, au profit de l'extension d'établissements ou de corporations qui, généralement, ne produisent pas, ou dont les services, lorsque leur personnel en rend de réels, sont d'ailleurs rémunérables par ceux qui les demandent? Est-il bien nécessaire, au surplus, que les membres du clergé ou des congrégations religieuses aient, indépendamment des richesses qui leur appartiennent individuellement, ou que peuvent leur procurer les rémunérations librement débattues de leurs services, des richesses de corporation, autres que les édifices et le matériel nécessaires au culte ? La liberté et l'efficacité réelle des cultes ne gagneraient-elles pas à ce que les ministres, les prédicateurs ou professeurs religieux, ne pussent attendre leurs ressources que des libres rémunérations de leurs services individuels, et à ce que leurs richesses de corporation ne pussent jamais les dispenser du soin de perfectionner ces services, afin d'en maintenir ou d'en accroître la valeur? Et n'est-il pas désirable, surtout, que la fortune des corporations ne puisse grandir sans cesse aux dépens de ressources détournées des emplois reproductifs?

Nous savons ce que l'on peut opposer à ces indications. Il est des œuvres religieuses qui ne sont pas de nature à rémunérer individuellement et par elles-mêmes ceux qui les accomplissent; les missions étrangères, la fondation d'hospices ou autres établissements charitables sont dans ce cas; mais ces œuvres spéciales peuvent être alimentées par des dons ou des

souscriptions volontaires qui leur soient exclusivement affectés, et il n'est nullement nécessaire, pour cela, que le corps entier du clergé, ou les congrégations religieuses, aient à leur disposition, et pour en faire ce que bon leur semble, de grandes richesses de corporation.

La condition de soumettre à la sanction du pouvoir administratif les donations au clergé ou aux congrégations religieuses, ne nous semble pas offrir une garantie suffisante contre l'abus de ces donations; car, il peut arriver que ce pouvoir, par déférence pour le clergé ou dans le but d'obtenir son appui, veuille les favoriser. Il y aurait peut-être une garantie plus efficace dans le droit, reconnu aux parents frustrés, de faire prononcer l'annulation des dons ou legs, s'ils établissaient devant un jury de citoyens, ayant mission de reconnaître et de constater les faits, et formé, par exemple, comme ceux institués en France pour fixer les indemnités dues aux possesseurs d'immeubles expropriés pour un besoin public, que ces libéralités sont entachées de captation, ou d'abus d'influence, ou seulement, qu'elles ne sont justifiées par aucun intérêt réel d'utilité publique.

Quant à l'organisation hiérarchique, aux règles disciplinaires du clergé ou des congrégations religieuses, il ne nous paraît pas que l'autorité publique ait à y intervenir, autrement que pour s'assurer qu'elles ne renferment rien de contraire au droit commun ou aux lois du pays; nous ne pensons pas non plus qu'elle ait à sanctionner ces organisations conventionnelles, ni à les appuyer en aucun cas; tandis qu'elle doit veiller, au contraire, à ce que nul individu n'y soit retenu et assujetti, malgré sa volonté, quels que soient les vœux qu'on ait pu lui faire prononcer antérieurement, attendu que de tels vœux ne sauraient anéantir les droits individuels que la société doit garantir à tous ses membres, ou qui ne doivent être limités par aucune autre autorité que la sienne, tels, par exemple, que celui de rentrer dans les conditions ordinaires de la vie sociale, de former une nouvelle famille en contractant mariage, etc.

S'il plaît à des croyants catholiques romains de remettre au pape la nomination de leurs évêques, et de confier à ceux-ci la

nomination de leurs curés et desservants; de rémunérer les services des uns et des autres suivant un tarif qu'ils acceptent ou qu'ils débattent; s'il plaît à d'autres croyants de nommer directement leurs ministres ou professeurs religieux, de régler avec eux le prix de leurs services, de n'établir parmi eux aucune hiérarchie, de spécifier en assemblée générale les règles disciplinaires que chacun d'eux devra observer pour conserver son mandat; si d'autres encore, comme les quakers de la Pensylvanie, ne jugent pas nécessaire d'instituer un clergé pour enseigner et pratiquer leur foi religieuse, les uns et les autres doivent avoir, en tout cela, la faculté de procéder ainsi qu'ils l'entendent, et l'autorité publique ne doit aucune sanction, aucun appui à leurs arrangements; elle n'a aucune contrainte à exercer pour les faire observer par les dissidents ou les récalcitrants, si ce n'est dans les cas rentrant dans le droit commun et où, par exemple, elle serait requise de contraindre à l'exécution d'engagements pécuniaires, formellement et volontairement contractés envers l'association.

En résumé, les limites de la liberté des associations religieuses et des cultes, sont les mêmes que celles à imposer à toutes les autres associations, à toutes les autres branches de l'activité sociale, pour garantir le mieux possible le droit et la liberté de tous également. Ces limites ne sont pas raisonnablement contestables dès qu'il est pleinement démontré qu'on ne pourrait les supprimer, ni les élargir ou les reculer, sans donner aux uns le pouvoir effectif d'empiéter sur la liberté et les droits des autres, ou sans sacrifier l'intérêt commun; elles ne pourraient soulever de protestations que chez ceux qui, en recherchant leurs propres libertés ou leurs propres intérêts, perdent plus ou moins entièrement de vue l'obligation de respecter les libertés ou les intérêts légitimes d'autrui.

CHAPITRE IV.

Liberté de l'enseignement et de la presse.

Entre tous les travaux que comporte la vie sociale, il n'en est pas de plus indispensables au maintien, au progrès ou à l'avancement des civilisations, que ceux s'appliquant directement à la culture, au développement et aux directions de nos facultés. C'est par les travaux de cette nature que chaque génération nouvelle parvient à s'assimiler le trésor d'expériences, d'aptitudes et de pratiques industrielles, de connaissances de tout genre, de lumières et de forces intellectuelles et morales, accumulé par les générations antérieures, et tout ce qu'y ajoutent les recherches et les découvertes des individualités contemporaines. L'enseignement, dans l'acception la plus étendue du mot, embrasse tout cela; il comprend à la fois l'instruction professionnelle, scientifique, littéraire, artistique, politique, religieuse, l'éducation physique et morale; il constitue la fonction qui détermine plus que toute autre, selon qu'elle est bien ou mal remplie, la marche ascendante ou rétrograde des sociétés.

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Cette fonction, comme toutes celles se rattachant au développement économique, est liée à des lois naturelles, d'autant plus puissantes pour assurer sa fécondité ou son efficacité, que le régime politique oppose moins d'obstacles à leur action, et qu'il la facilite davantage, en garantissant le mieux possible à cet égard la liberté individuelle.

On ne saurait arriver à une conception vraie des conditions

normales du progrès social, si l'on ne reconnaît qu'à partir de l'accession des populations au régime de la propriété individuelle et de la division des travaux, elles se résument dans le libre accomplissement et le libre échange des services que se rendent mutuellement les différents membres de la société ; nous rappellerons donc encore ici, au risque de nous répéter une fois de plus, en quoi consistent, essentiellement ces libertés.

Pour que la production et l'échange des services soient réellement libres pour tous, il est nécessaire que chacun jouisse de la faculté de choisir, parmi tous les travaux utiles, ceux dans l'exercice desquels il juge que ses dispositions, ses aptitudes naturelles ou acquises, sa situation, et les ressources dont il dispose, lui donneront le plus de chances de succès; il est nécessaire qu'à cet égard, comme dans le choix des services ou des produits qu'il pourra demander en échange des siens, comme dans la fixation de la valeur échangeable des uns et des autres, il soit à l'abri de toute violence, contrainte ou empêchement, de toute immixtion dirigeante de l'autorité, et, autant qu'il peut dépendre de la protection publique, de toute fraude.

Il est évident que de telles conditions ne sauraient être assurées par la seule compétition de volontés individuelles agissant sans aucun frein; car, l'intérêt personnel pourrait souvent pousser les uns à maîtriser, à dominer, à tromper les autres, et il résulterait de l'impunité de telles atteintes la nécessité, pour chacun, de pourvoir à sa défense personnelle, c'est-à-dire, un état continuel de luttes constituant tout le contraire de la liberté; c'est principalement pour éviter ces luttes, pour y opposer le frein indispensable du respect de la liberté et des droits de chacun, et garantir le mieux possible leur inviolabilité, qu'il est besoin d'instituer une force collective, une autorité publique.

Lorsque cette autorité est instituée, que sa mission essentielle est convenablement remplie, et qu'elle n'abuse pas de la force considérable dont il est inévitable qu'elle soit investie, en la détournant de sa destination légitime, ou violant elle-même les libertés qu'elle est chargée de protéger, ces libertés, prises dans leur ensemble, ont toute l'étendue et toute la puissance

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