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pensée que leur mère existe et qu'ils doivent désespérer de jamais la connaître, - pensée qui les tourmente longtemps, et souvent les pousse au découragement et à la démoralisation.

moyen d'un secours équivalent à leur dépense dans un hospice, les enfants ayant perdu leur père ou leur mère, pourraient presque toujours être laissés auprès de l'époux survivant, et il n'y aurait point à hésiter à préférer cette assistance dans la famille.

Quant aux orphelins, aux enfants délaissés par des parents en fuite, et à ceux appartenant à des parents indignes, il ne serait possible de les assister à domicile que dans d'autres familles que les leurs; mais avec quelques efforts de l'assistance libre, et moyennant un secours équivalent à la dépense dans les hospices, cette condition désirable pourrait être obtenue pour presque tous les orphelins, soit auprès des parents des lignes collatérales, soit auprès d'amis ou de connaissances des défunts, et que l'on choisirait parmi ceux dont la conduite et la position inspireraient le plus de confiance. Les enfants de la deuxième catégorie, et surtout ceux de la quatrième, ne pourraient être placés ainsi, dans la localité, qu'avec plus de difficultés; cependant, la condition de l'assistance à domicile pourrait encore être procurée à un certain nombre d'entre eux.

On voit qu'il serait possible, sans de très-grandes difficultés, d'assister à domicile le plus grand nombre d'enfants abandonnés, et de leur rendre ainsi, au degré accessible, la vie de famille. Ceux auxquels on n'aurait pu, par aucun moyen, assurer cette condition, seraient recueillis dans les hospices ou les asiles spéciaux; les plus jeunes pourraient être confiés, comme aujourd'hui, à des nourrices des campagnes, et les autres seraient placés, dès qu'ils seraient en âge de rendre quelques services, ou de commencer un apprentissage, et tout en restant sous la tutelle des établissements, chez les cultivateurs ou dans les ateliers d'artisans.

Il nous paraît certain que, dans de semblables conditions, et surtout au moyen du déploiement de plus de sévérité et d'activité dans la recherche de l'origine des enfants exposés, — action de nature à exercer sur les mœurs l'influence préventive la plus considérable et la plus salutaire, les maux

de toute espèce, se produisant sous le régime actuellement en vigueur quant aux enfants délaissés, tendraient rapidement à se réduire en intensité et en étendue.

Nous avons indiqué comme l'une des conditions principales à observer par l'assistance libre, la plus grande multiplication possible des relations directes entre ceux qui la fournissent et ceux qui la reçoivent. Ces rapports directs sont des plus restreints en France, ou presque toutes les distributions, tous les services de l'assistance se font par des intermédiaires, et où les hôpitaux, les hospices, les asiles, les bureaux de bienfaisance, etc., sont desservis à peu près exclusivement par des corporations religieuses, dont le concours est assez chèrement rétribué sur les fonds de l'assistance.

Il est à remarquer que, par l'emploi de cette classe d'intermédiaires, il arrive que certains établissements de bienfaisance, se confondant plus ou moins avec la corporation religieuse qui les dessert, les deux intérêts ne sont plus assez distincts pour que les libéralités que l'on destine à l'assistance des pauvres ne puissent servir, et parfois en majeure partie, aux besoins et à l'extension de la corporation; c'est ce qui se pratiquait trèslargement sous notre ancien régime, où les libéralités immenses accumulées par le clergé, sous le prétexte que les biens de l'Église sont le patrimoine des pauvres, étaient à peu près uniquement appliquées à multiplier et à enrichir ses corporations ou communautés, les pauvres n'en recevant jamais autre chose que des miettes; en sorte que de telles conditions d'assistance tendent pour ainsi dire à sacrifier le but au moyen, et à faire absorber par celui-ci de bien plus fortes parts du fonds général des secours, que si l'on employait uniquement à leur *application les services de laïques non organisés en corporations.

Ce n'est là, cependant, qu'une considération secondaire; ce qui importe davantage, c'est que les intermédiaires, quels qu'ils soient, en supprimant les rapports directs entre ceux qui fournissent les moyens de secours et ceux qui en sont l'objet, tendent à annuler l'un des plus grands bienfaits de l'assistance,

les relations fréquentes et bienveillantes des familles le plus heureusement partagées, avec celles dépourvues, et par suite,

la charité réelle, les liens, la confiance, le concert et l'union qui en résulteraient entre les diverses classes de la population.

Mais ceux qui fournissent les secours ne peuvent les appliquer eux-mêmes que dans des limites restreintes; on ne saurait leur demander, par exemple, d'accomplir directement tous les services des hôpitaux et des hospices. Il est évident que le mode de l'assistance à domicile est le seul favorable à l'extension des rapports directs dont il s'agit, et en tout cas, celui qui peut le mieux s'y prêter, parce qu'ici les relations directes n'entraînent pas la nécessité de soins personnels à donner, les intermédiaires nécessaires à l'application des secours étant les membres mêmes des familles qui les reçoivent. Si l'on ne peut attendre des individus composant une association d'assistance libre, qu'ils fassent eux-mêmes le service de l'hôpital ou de l'hospice, on peut bien leur demander, car c'est là l'unique moyen d'obtenir de la mission qu'ils se sont donnée toute l'efficacité qu'elle peut avoir, les visites à domicile nécessaires pour reconnaître les besoins qui leur sont signalés, distribuer eux-mêmes les secours accordés, et s'assurer autant que possible de leur légitime application.

Nous venons de nous occuper de l'assistance nécessaire aux malades, aux infirmes, aux vieillards et aux enfants abandonnés. Quant aux pauvres valides, diverses circonstances peuvent déterminer la nécessité de les assister. Et d'abord, les accidents qui, tels que les inondations, les incendies, etc., infligent aux familles pauvres la perte totale du peu qu'elles possédaient, et les réduisent subitement à un dénuement absolu. Même dans l'état actuel, les secours, les dons ou les souscriptions volontaires, ne manquent pas dans ces occasions, et il est à croire que les développements de l'assistance libre les rendraient plus abondants et plus efficaces. Ensuite, les longs chômages venant frapper certaines branches de l'industrie manufacturière et réduisant bientôt à la misère les masses d'ouvriers qu'elles occupaient. Ici encore, les développements de l'assistance libre pourraient obtenir, du concours général, des secours assez abondants pour atténuer le mal, et l'empêcher d'atteindre un degré extrême d'intensité; mais il serait déplo

rable de maintenir pendant des mois, parfois durant l'année entière, des masses d'hommes valides absolument inoccupés. Il serait donc à désirer que, dans les centres de population exposés à de semblables chances, les administrations locales, et l'État au besoin, eussent la prévoyance de tenir en réserve certains travaux d'utilité communale, départementale ou nationale, de nature à comporter de grandes quantités d'opérations simples et à la portée de tous, telles, par exemple, que les terrassements, et à pouvoir être ajournés sans inconvénient, travaux qui seraient complétement étudiés d'avance et prêts pour l'exécution, mais dont l'entreprise resterait expressément subordonnée au besoin d'occuper les ouvriers en chômage. Une partie de la dépense pourrait être payée au moyen d'un prélèvement sur les ressources recueillies par l'assistance libre; mais toute la partie de sa valeur devant se retrouver dans l'amélioration de la propriété communale, départementale ou nationale, devrait être couverte par des allocations sur le produit des contributions locales ou générales.

Il est des applications de l'assistance, qui sembleraient de nature à rendre de grands services, et auxquelles on a peu songé encore, soit à cause des obstacles que le régime légal oppose aux innovations, soit à défaut de relations fréquentes entre les classes dépourvues et celles qui pourraient les assister, tout au moins de leurs conseils. Dans les conditions actuelles de l'industrie manufacturière et commerciale, un grand nombre de professions, plus ou moins spécialisées, n'offrent que des conditions fort précaires de stabilité dans la durée ou l'étendue de leur exercice, aux ouvriers qu'elles occupent; la plupart de ceux-ci s'y engagent néanmoins sans aucune prévision ni appréciation des chances de suppression, de réduction d'emploi ou de salaire qu'elles peuvent comporter, et lorsque ces chances se réalisent, ils souffrent longtemps, avant de pouvoir se mettre en mesure d'exercer d'autres professions. Des conseils éclairés, répandus dans les familles pauvres, pourraient suppléer en partie à l'imprévoyance qui préside généralement au choix de ces professions, et lorsque le mal est fait, lorsque les suppressions, les réductions d'emploi ou de salaire se produisent, une assistance spécialement affec

tée à ceux qui en souffrent, pour les aider à l'apprentissage de professions plus sûrement rémunératoires, serait indubitablement des mieux appliquées.

Jusqu'ici, et en France du moins, l'assistance ne s'est guère préoccupée des moyens de faciliter les émigrations, et c'est là, cependant, l'une des applications les plus fécondes en heureux résultats qu'elle puisse recevoir. Dans un territoire circonscrit, et déjà entièrement exploité, la densité de la population ne peut s'accroître au delà de certaines limites,-nous l'avons assez prouvé dans notre première partie, sans rendre la vie plus difficile, plus exposée à des privations relatives aux besoins impérieux, pour la généralité des classes pauvres. Lorsque ce mal se manifeste au sein d'une nation, le moment est venu pour elle de former des essaims qui, en allant fonder au loin de nouveaux établissements, tendent à la fois à remédier à l'excès de densité de sa population, à lui préparer pour l'avenir d'avantageuses relations, et à étendre la vie humaine et la civilisation sur le globe.

Mais les émigrations assez considérables pour réunir tous les éléments nécessaires au succès d'une colonisation nouvelle, ne sauraient se préparer chez les classes qui en ont le plus besoin, sans une puissante assistance. Le concours de l'État serait ici indispensable, d'abord, pour assurer la possession incontestée de nouveaux territoires, soit dans les diverses parties facilement cultivables du continent américain, soit en Australie, soit en d'autres contrées; ensuite, pour l'étude successive, aussi complète et aussi exacte que possible, de chacun de ces territoires, études accomplies par des commissions d'ingénieurs et d'agriculteurs, choisis parmi les plus habiles et les plus dignes de confiance, largement rémunérés ou récompensés pour un tel service, et qui, après une exploration détaillée et approfondie des lieux, feraient connaître toutes les conditions nécessaires au succès de la colonisation; les difficultés à vaincre, les travaux préparatoires à exécuter à frais communs; les qualités du sol et du sous-sol; les diverses cultures ou exploitations à entreprendre; les marchés d'écoulement et d'approvisionnement; les conditions climatériques et hygiéniques; le régime naturel des cours d'eau, des vents, des

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