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LA POLITIQUE THÉORIQUE. 503 ou de la science de la législation, mais des lois effectives en cours d'application, qui diffèrent considérablement d'un peuple à l'autre, et varient incessamment avec le temps et toutes les directions éventuelles de la liberté et de la conduite humaine.

celles

ont

Sans doute, toutes ces lois, quelles qu'elles soient, ont, dès qu'elles s'exécutent, leurs raisons d'être, et il est possible à une observation attentive d'en démêler les causes ou les éléments de puissance; il est possible de reconnaître, par exemple, que, chez les peuples qui s'appartiennent, les bonnes lois, qui sont conformes à la justice ou à l'intérêt commun, leurs éléments de puissance non-seulement dans la force gouvernementale, mais dans des lumières avancées et généralisées; tandis que les mauvaises lois n'ont leurs causes que dans l'insuffisance ou le défaut de diffusion des lumières nécessaires pour en reconnaître les vices; que, chez les peuples privés de liberté, asservis à leur gouvernement, les bonnes lois ont leurs éléments de puissance dans l'expérience de leurs bienfaits, qui, en leur donnant l'appui de l'opinion et des mœurs, oblige à les respecter, ou bien dans leur concordance, ou du moins dans la possibilité de leur conciliation avec les intérêts ou les vues des dominateurs; tandis que la puissance des mauvaises lois se trouve non-seulement dans la force de la domination établie, mais encore dans l'ignorance ou les erreurs des populations asservies, dans leurs divisions, leur défaut de concert, dans le concours de classes redoutant moins le despotisme que la liberté, etc.

Mais de ce qu'il est possible de reconnaître les raisons d'être des lois bonnes ou mauvaises, il ne résulte nullement que les unes et les autres découlent des mêmes principes généraux, ni qu'elles soient toutes également respectables, et, par exemple, que toutes les lois politiques ou administratives que nous avons vu fonctionner en France depuis 1789, souvent contradictoires entre elles, dont un grand nombre, d'abord exécutées, ont été ensuite abandonnées ou proscrites, puis remises en vigueur, puis délaissées de nouveau, résultent toutes de causes identiques, de sources assimilables et ayant les mêmes titres à l'assentiment ou au respect des populations.

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Il faut obéir, il est vrai, même aux mauvaises lois; mais seulement tant qu'elles sont en vigueur et qu'on ne peut faire autrement, et le devoir de tout honnête homme, convaincu qu'elles sont nuisibles, n'est pas moins de désirer fortement leur suppression ou leur réforme, et de la poursuivre par tous les moyens en son pouvoir. Le respect volontaire pour la loi quelle qu'elle soit, et même pour les lois les plus détestables, n'est qu'un fétichisme dégradant.

Quant à la science de la législation, à l'ensemble de principes et de doctrines sur le règlement des rapports sociaux, qu'il est possible de déduire d'une observation approfondie de la nature des hommes et des choses, cette science n'est pas encore fort avancée, précisément parce qu'on l'a presque toujours confondue avec la connaissance des lois civiles ou politiques appliquées, et le plus souvent sans se préoccuper bien sérieusement de leurs conséquences respectives. Nous n'entendons nullement aborder ici un aussi vaste sujet d'études; seulement, nous croyons que les notions précédemment exposées autorisent suffisamment à attendre, des progrès de la législation théorique, la confirmation d'une vérité que nous avons déjà affirmée : c'est que les lois civiles et politiques deviendront moins imparfaites, ou plus favorables à l'intérêt commun, à mesure qu'elles réussiront mieux à assurer le fonctionnement normal des lois économiques naturelles décrites dans la première partie de ce travail, c'est-à-dire qu'elles garantiront plus complètement la liberté individuelle et la propriété privée, conditions qu'elles rempliront d'autant plus sûrement qu'elles s'abstiendront davantage de toute intervention dont la nécessité ne serait pas pleinement démontrée.

Quoi qu'il en soit, la rédaction, la discussion et la promulgation ou publication des lois sont l'un des services publics indispensables aux sociétés, et celui de tous dont la bonne organisation et la marche équitable et éclairée importent le plus à tous les intérêts légitimes.

Comme tous les autres, ce service doit être payé, et l'on a remarqué que ce n'est pas alors que les représentants appelés à y concourir remplissent leurs fonctions sans rétribution déterminée qu'il est sûrement le plus onéreux; cependant, l'écono

mie et la simplicité doivent, ici encore, être observées le mieux possible, et sur ce point, comme à peu près sur tout ce qu'il embrasse, le régime français se caractérise par la prodigalité et la complication. L'indemnité allouée aux députés, si leurs attributions étaient de nature à rendre leurs services aussi utiles que possible, ne paraîtrait pas exagérée; mais on n'en saurait dire autant des dotations du sénat, des ministres avec ou sans portefeuille, du conseil d'État, etc., etc. Assurément, il serait possible de faire remplir. toutes les fonctions utiles que peuvent comporter les services de législation par des hommes de mérite, sans leur faire à tous des positions de grands seigneurs.

Cela nous semble plus fâcheux qu'on ne paraît généralement le croire en France, et nos raisons sont, en premier lieu, que la valeur réelle des services obtenus est loin de s'accroître avec l'exagération des rémunérations, d'abord, parce qu'on excite ainsi la cupidité, mobile de nature à pousser vers les hautes fonctions des personnages plus ou moins habiles, mais qui n'est pas en général celui dont sont animés les hommes d'un vrai mérite, puis, parce que de gros traitements tendent à déterminer, chez ceux qui les reçoivent, des préoccupations, des habitudes de dépense, des gaspillages de temps et de ressources, peu favorables aux intérêts du service public qu'ils ont à remplir; en second lieu, que l'exagération des rémunérations attachées aux fonctions élevées tend nécessairement à se propager, de proche en proche, dans tout l'ensemble des services, à les rendre, en somme, de plus en plus onéreux pour les contribuables, et à développer progressivement l'aspiration, déjà si déplorablement généralisée parmi nous, à vivre ou à s'enrichir du produit des contributions publiques.

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On professe avec beaucoup d'assurance que, dans un État monarchique, il est convenable, ou même nécessaire d'entourer le trône d'un grand éclat, afin de mieux lui assurer le respect des populations, et que, par les mêmes raisons, il faut assurer une position opulente à tous les hauts fonctionnaires qui s'en rapprochent le plus. Ce sont là, à notre avis du moins, de bien misérables sophismes, et si l'on comprend aisément que ceux dont ils servent les convoitises puissent s'en accommoder, il est plus difficile de concevoir comment ils ont pu obtenir l'as

sentiment des populations intelligentes dont ils sacrifient les intérêts.

Que l'État soit monarchique ou républicain, sa mission légitime ne change pas de nature; ce n'est pas pour lui-même, ou pour le personnel dont il est composé qu'il doit fonctionner; mais pour le service de la société ou de la nation qui l'entretient, et l'économie et la simplicité, dans tout ce qu'embrasse sa mission, ne sont pas des conditions moins désirables et moins salutaires sous un régime que sous l'autre. Que tous les services de l'État soient convenablement rémunérés, cela est à la fois indispensable et équitable; mais qu'il y ait nécessité, utilité ou convenance de les rétribuer fort au delà de leur valeur, c'est ce que le bon sens ne saurait admettre. Sans doute il est utile, il est souhaitable que le chef du pouvoir exécutif obtienne le respect de la nation, comme le simple juge de paix celui de ses justiciables; mais est-ce bien, de nos jours, à l'étalage d'un faste plus ou moins brillant que s'attache le respect des populations? Ne serait-il pas temps de renoncer enfin à cette sotte manie d'appareils fastueux, à ce leurre décevant et démoralisant sous tant de rapports, qui, avec le but qu'on lui assigne, réunirait tous les caractères d'un pur charlatanisme, véritablement indigne de l'éminence des fonctions du premier magistrat d'une nation civilisée, et plus indigne encore de la nation elle-même? Est-ce que le président de l'Union américaine, bien que son traitement de vingt-cinq mille dollars soit inférieur au revenu de nombre de ses concitoyens, n'est pas le personnage le plus considérable de tous les États placés sous son gouvernement? Est-ce que le respect des populations lui fait défaut quand il le mérite? Est-ce que la grandeur intellectuelle et morale de l'homme est inconciliable avec la simplicité? Est-ce que, déjà, la renommée, la gloire de Washington' ou de Lincoln,pour ne citer que ceux-là,-ont rien à envier à celles des plus brillants monarques de l'Europe, et peut-on douter que l'opinion de la postérité, plus éclairée et plus équitable qu'elle ne l'est généralement encore chez les générations actuelles, n'élève ces hommes fort au-dessus des Louis XIV, des Napoléon et autres despotes à grand éclat?

Les nations civilisées, et même ceux de leurs dominateurs

d'une portée d'esprit suffisante pour leur faire dédaigner les niaises vanités d'étalage, - doivent donc se garder le plus possible de toute exagération dans la dépense des services dont il s'agit; mais ce qui importe bien plus encore aux premières, c'est de ne recevoir que de bons services, et il est fort remarquable que, dans ceux de cette catégorie, ou même dans tous les services de l'ordre politique, ceux obtenant les plus hauts prix,-contrairement à ce que l'on voit dans les services de l'ordre économique, sont généralement les plus mauvais.

Ce qui nous manque en France, quant aux services de législation, ce n'est assurément pas la quantité, car tout le monde convient que l'abondance de nos lois est excessive; mais la qualité laisse infiniment à désirer, et c'est là encore ce dont nul ne doute, parmi nous, en ce qui concerne les lois politiques ou administratives; car, il n'est personne ayant des opinions politiques un peu arrêtées, qui ne soit disposé à condamner toutes celles de ces lois émanant d'une opinion ou d'une école autres que la sienne, et dans l'ensemble de celles édictées depuis 1789, et conservées jusqu'à ce jour en plus ou moins grande partie, il s'en trouve de toutes les écoles politiques.

Nos lois civiles, ou du moins, toutes celles codifiées et comprises dans ce que l'on nous oblige à nommer le code Napoléon, bien qu'elles soient moins l'œuvre du conseil d'État de ce souverain que celle de la Constituante de 1789 et de la Convention, obtiennent une adhésion beaucoup plus générale. Cette œuvre législative, toutefois, a été trop vantée, et les légistes éclairés et impartiaux commencent à y signaler une multitude de graves imperfections, notamment en ce qui concerne, 1° les pénalités. mal en rapport avec la gravité des délits ou des crimes, punissant, par exemple, les vols qualifiés beaucoup plus sévèrement que certains abus de confiance entraînant des maux incomparablement plus grands, et annonçant une perversité plus pernicieuse chez ceux qui s'en rendent coupables; 2° les procédures, trop compliquées et fort onéreuse quant aux causes civiles, où elles devraient se borner à ce qui est strictement indispensable et se rapprocher, le plus possible, de la simplicité des formes suivies devant les tribunaux de commerce ou les conseils de prud'hommes; tan

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