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Avant la guerre suscitée par les esclavagistes, les impôts fédéraux de l'Union américaine ne consistaient que dans le produit des douanes, joint à la ressource de la vente des terres nationales; ceux de chaque État en particulier, votés par les représentants des contribuables, et d'ailleurs affectés en majeure partie aux voies de circulation, à l'instruction publique et à d'autres dépenses reproductives, étaient d'abord répartis, par la législature de l'État, entre les communes, dans une proportion en rapport avec leurs ressources approximativement évaluées; la répartition individuelle de ces impôts, comme celle des contributions communales, et en même temps leur perception et le versement de leur produit dans les caisses de l'État, étaient opérés par les agents des communes elles-mêmes, selon des règles qu'elles avaient établies ou concouru à établir. Il en a été ainsi, notamment, dans toutes les communes de la Nouvelle Angleterre jusqu'en 1860 et au delà; nous ne sommes pas renseigné sur les changements qui ont dû être apportés depuis dans la perception, en raison des nouveaux impôts dont les dépenses de la guerre ont nécessité l'établissement.

Avec un tel régime, les impôts étaient aussi bien répartis, et ne donnaient lieu qu'à aussi peu de réclamations, qu'il est possible de l'obtenir; mais c'était, surtout, parce qu'ils étaient modérés et principalement affectés à des dépenses reproductives.

C'est dans l'extension démesurée de dépenses publiques généralement improductives, qu'il faut chercher les causes immédiates de l'aggravation et de la mauvaise répartition des impôts. De larges réductions de ces mêmes dépenses pourront seules permettre l'emploi de moyens efficaces d'apporter de grandes améliorations dans l'établissement et la distribution des charges contributives.

Nous avons vu, qu'en France, il ne serait pas impossible de réaliser une économie de 300 millions de francs dans la dépense des forces militaires (armée et flotte). Si, en outre, l'État cessait d'avoir dans ses attributions les cultes, l'enseignement, la régie des affaires locales, celle des intérêts généraux de l'agriculture, de l'industrie manufacturière et du commerce, et celle de toute la partie des travaux d'utilité collective pouvant être

avantageusement laissée à l'activité privée; si, en même temps, il apportait dans l'accomplissement de sa mission nécessaire, toutes les simplifications et économies réalisables et que nous avons en partie indiquées, nul doute qu'une autre réduction de 300 millions, tout au moins, ne fût rendue facilement praticable par de telles réformes.

A notre avis, si ces réductions pouvaient un jour être obtenues, il ne conviendrait pas de les appliquer immédiatement à celle des impôts; mais bien à l'extinction de la dette; car il importe à un État, tout aussi bien qu'à un particulier, de se libérer de ce qu'il doit le plus rapidement possible, et si les doctrines contraires de certains financiers sont plutôt une erreur qu'une suggestion de la mauvaise foi, il n'est pas moins indubitable qu'elles trompent ou tendent à tromper le public. Une ressource de 600 millions de francs par an, accrue des réductions progressives sur l'intérêt annuel, et appliquée à l'amortissement, permettrait, malgré l'énormité du capital de notre dette actuelle, d'en voir le terme au bout de vingt ans. Nos dépenses publiques pourraient alors se trouver réduites à beaucoup moins d'un milliard de francs, à un chiffre total qui rendrait facilement praticable l'application du système simple et fort économique dont nous venons d'indiquer les principales conditions.

Malheureusement, ce n'est pas dans la voie de la réduction de leurs dépenses que marchent la plupart des gouvernements: nous avons vu dans quelles énormes proportions ces dépenses se sont développées en France depuis trente-cinq ans, — depuis 1852 surtout; une telle progression est véritablement fort alar. mante pour l'avenir, et pour en faire rapidement comprendre les causes et le danger, nous croyons ne pouvoir mieux faire, en terminant ce long chapitre, que de reproduire quelques considérations que nous exposions, il y a peu d'années, dans une autre publication :

« C'est, surtout, dans l'état général de l'esprit et des mœurs » des populations, que se trouvent les premières et principales » causes de l'exagération des impôts : lorsque les classes in» fluentes, et à plus forte raison les masses, généralement pri>> vées des connaissances nécessaires pour distinguer sûrement

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» ce qui est favorable ou nuisible à l'intérêt commun, sont » portées à multiplier progressivement les attributions gouver>>nementales, sans même se douter du préjudice qu'elles >> se causent ainsi, il serait difficile qu'elles parvinssent à » former et à soutenir une représentation nationale plus » capable qu'elles-mêmes de discerner et de défendre leurs >> intérêts.

» Si les populations restent dominées par des sentiments, » des tendances favorables à l'extension de l'action gouverne» mentale; si, longtemps habituées à recevoir l'impulsion des >> pouvoirs publics, elles sont peu disposées à recourir à l'ini» tiative individuelle; si elles recherchent avidement, comme » un moyen de mettre à la charge d'autrui le souci de pour› voir à leur existence, les emplois publics, la faveur, le se» cours ou l'appui de l'autorité, nul doute que de pareilles dispositions ne déterminent une multiplication progressive » des services gouvernementaux, et par suite, l'accroissement » des impôts.

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» Si, aux causes déjà puissantes que nous venons d'indiquer, » s'en joignent d'autres plus énergiques encore, et toujours » liées à l'ignorance des intérêts communs; si, par exemple, >> des sentiments hostiles à l'inégalité, naturellement amenée » dans les conditions de fortune par la propriété légitime (celle » qui se forme sans rien ravir à personne), se propagent chez » des classes nombreuses; s'ils en font une force subversive » à la disposition des ambitions qui se disputent le riche do» maine des pouvoirs politiques; si, à la faveur des craintes >> inspirées par une telle situation, s'organise une domination >> assez puissante pour prévenir ou maîtriser toute rébellion, >> mais en même temps pour s'affranchir de tout contrôle >> qu'elle n'entendrait pas tolérer; si, enfin, à toutes ces fà>>cheuses conditions, vient encore s'ajouter un sentiment très» général et très-exalté en faveur du maintien permanent de >> formidables et brillantes armées, non pas seulement dans la >> mesure du besoin de la défense nationale, mais dans celle » nécessaire pour assurer la prépondérance à l'égard des au» tres nations, pour appuyer la prétention de les dominer ou » de les régénter, les développements de l'action gouverne

>> mentale n'ont plus alors de limites, et l'impôt s'élève rapi» dement jusqu'à son maximum d'intensité.

» Une nation chez laquelle toutes ces causes d'exagération » de l'action publique séviraient à la fois, et qui serait en » même temps privée, par la nature de ses institutions, de la » facluté de s'attaquer à la racine de ces causes de ruine, à >> leur source commune, en travaillant énergiquement à ré>> duire l'ignorance générale en matière d'intérêts sociaux, » n'aurait aucune chance d'allégement dans la charge de ses » impôts, et devrait au contraire se résigner à la voir gran> dir sans cesse. Les progrès de ses forces productives, de ses » découvertes scientifiques et industrielles, seraient constam»ment accompagnés de développements parallèles dans l'ac»tivité parasite ou destructive, et resteraient sans efficacité » pour l'amélioration du sort des masses; en sorte qu'il n'en » résulterait qu'un état tout au plus stationnaire, jusqu'à ce » que, l'action des causes d'absorption des ressources géné>> rales continuant à se développer; tous les efforts de l'activité >> productive devinssent impuissants pour maintenir l'équili» bre, ce qui placerait la nation sur la pente d'une décadence >> rapide 1. >>

'Dictionnaire général de la Politique, sous la direction de M. Maurice Block, article: IMPOTS.

CHAPITRE VIII.

De l'organisation de l'autorité publique ou du pouvoir politique.

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Nous avons épuisé, maintenant, toute la série des observations que nous nous étions proposé de présenter sur la première et principale partie de la politique théorique, celle comprenant, 1o la détermination des attributions légitimes de l'État; 2o la démonstration des conséquences funestes qu'entraîne son action, soit quand il lui donne d'autres directions que celles réclamées par l'intérêt commun, soit quand il l'étend, en violant les libertés individuelles, à la régie d'activités qui ne sont point de son domaine; 3° l'indication des conditions générales de simplicité et d'économie, devant présider à l'organisation et à la marche de tous les services nécessaires qu'il peut seul accomplir.

Le résultat principal de nos études sur ces différents points nous paraît être dans cette démonstration, que l'action utile de l'autorité, ou du pouvoir politique, consiste essentiellement à préserver le plus possible de toute perturbation, le fonctionnement normal des lois économiques naturelles, mission qu'elle remplit d'autant mieux, qu'elle parvient à garantir à tous des libertés plus étendues et une sécurité plus entière, deux conditions qui, loin d'être inconciliables, comme on l'a souvent supposé, sont au contraire intimement liées l'une à l'autre.

Il reste à rechercher quelle peut être l'organisation des pouvoirs de l'État la plus efficace pour assurer l'entier accomplis

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