Du crédit et des banques.
Turgot, Smith, J.-B. Say et d'autres, tout en reconnaissant les avan-
tages réels du crédit, s'étaient attachés à prémunir l'opinion contre les
illusions qui portent à y voir, non pas seulement ce qu'il est, - un moyen
de transférer des uns aux autres la faculté de disposer des moyens de
production existants; mais ce qu'il n'est assurément pas, c'est-à-dire
une création, une multiplication des capitaux. Aujourd'hui ces illusions
sont partagées et préconisées par de nombreux publicistes, dont plusieurs
se sont fait un nom dans la science économique, et il est devenu urgent
de mettre dans tout son jour l'erreur de ces nouvelles opinions, afin
d'empêcher que la science recule au lieu d'avancer. Ce chapitre est des-
tiné à montrer ce qu'est en réalité le crédit, et dans quelles conditions il
est avantageux ou nuisible à l'intérêt commun. Les doctrines qui, en
faisant du crédit ce qu'il n'est pas, tendent à propager des notions fausses
et dangereuses, sont examinées au chapitre suivant. Définition du cré-
dit.- - Aperçus généraux sur ses opérations, ses diverses formes et qua-
lifications. Page.
Avantages et inconvénients généraux du crédit. Avantages. Le crédit procure une économie considérable de métaux précieux; il facilite la réunion de tous les éléments nécessaires à chaque œuvre productive; il donne aux individus possédant les aptitudes indus- trielles nécessaires, mais plus ou moins dépourvus de capitaux, la faculté de fonder des entreprises, et à ceux qui possèdent des capitaux sans pouvoir les utiliser, le moyen d'en tirer un revenu sans lequel ils ne seraient plus intéressés à épargner ou conserver; il peut seul permettre
la concentration des masses de capitaux nécessaires aux grands travaux
d'utilité générale, chemins de fer, canaux, etc. Inconvénients ou dan-
gers le crédit peut favoriser le développement des consommations im-
productives, et le crédit public, en particulier, n'a guère d'autres résul-
tats. Toute extension considérable du crédit commercial ou industriel
tend à élever les prix, à provoquer les spéculations et les entreprises
hasardeuses, à placer à leur disposition une grande partie des moyens de
production, en les détournant ainsi d'emplois mieux entendus, à prépa-
rer de la sorte des dilapidations de ressources, des réactions, des crises
plus ou moins désastreuses. Observations de M. Condy-Raguet, sur
les causes et les conséquences de la crise de 1837 aux États-Unis; elles
donnent la preuve expérimentale de tous les mauvais résultats que l'on
peut assigner, par voie d'induction, aux exagérations du crédit. Page 330
III. Observations diverses sur le crédit.
L'intervention du crédit dans la distribution des forces productives est favorable ou nuisible à l'intérêt commun, selon qu'il place ces forces dans les mains qui peuvent le mieux les féconder, ou dans celles qui les gaspillent ou les compromettent dans des opérations mal conçues ou mal dirigées, o bien encore dans celles qui s'en servent, non pour créer des
richesses nouvelles, mais pour déplacer celles qui existent; l'extension de
ses applications bienfaisantes, la restriction de ses applications nuisibles,
sont étroitement subordonnées au progrès des lumières et de la moralité
des populations. -- Démonstration que le numéraire, ou le pouvoir d'ac-
quisition dispensés par le crédit, ne constituent nullement les moyens de
production qu'il s'agit de distribuer. Page.
Ce chapitre a un double but: celui de concourir à dissiper des erreurs économiques fort répandues et très-nuisibles, et celui de confirmer
vérité et l'utilité des notions précédemment exposées sur la monnaie, le capital et le crédit, surtout quant aux points où elles diffèrent des théo- ries admises ou tendant à s'établir.
I. Rappel des notions sur les monnaies, le capital et le crédit.
L'or et l'argent affectés à de tous autres produits que la monnaie, font partie des capitaux de la société au même titre que les autres métaux; mais dès qu'ils sont convertis en monnaie, et aussi longtemps qu'ils con- servent cette affectation spéciale, leur nature économique n'est plus la même, et ils doivent être distingués du capital social; ils ne sont plus que des instruments d'échange, des moyens d'acquisition, des assignations sur les véritables capitaux et les services personnels, et ces dénomina- tions sont également applicables aux signes représentatifs de la monnaie. L'oubli de ces vérités a été la source d'un grand nombre d'erreurs, notamment de celles sur la balance du commerce, et de celles qui portent encore, même des économistes, à voir une chose fâcheuse dans toute exportation de numéraire. Page.
Dans le langage ordinaire les expressions dépenser de l'argent, épar- gner de l'argent, équivalent à celles de consommer ou d'accumuler des richesses; mais, en réalité, ce n'est jamais l'argent ou la monnaie qui font la matière des consommations ou des épargnes, et c'est parce que l'on méconnaît un fait si simple et si visible, que l'opinion commune admet des aphorismes tels que ceux-ci : Un pays ne court aucun risque de s'appauvrir tant que l'argent n'en sort pas; l'État restitue par ses dé- penses les impôts et les emprunts qu'il a prélevés; le faste et le luxe des gouvernements et des gens riches, font la prospérité de l'industrie et le bien-être des masses; le grand moyen de développer l'industrie et le com- merce est de multiplier les dépenses, d'accélérer la circulation de l'argent; les emprunts publics sont un moyen de rendre cette circulation plus ac- tive, et en tous cas, de reporter sur l'avenir les charges du présent. — Absurdité de ces maximes et conséquences funestes de leurs applications.
Comment les saines théories économiques se résument à cette donnée du sens commun qu'il n'est pas admissible que les dix ou douze mil- lions de familles, composant la nation française, puissent prospérer toutes ensemble par des moyens qui ruineraient chacune d'elles en particulier. - Les emprunts publics, au point de vue social, pèsent sur le présent et non sur l'avenir. Page. 366
II. Erreurs ayant leur source dans la confusion de la monnaie et du capital.
Citation de divers passages du traité de M. J. St. Mill, où cette confu- sion est manifeste, et démonstration des erreurs qu'ils consacrent. - Les théories économiques distinguant les impôts sur le capital et sur le re-
venu, reposent en partie sur des erreurs analogues, et aussi, sur la con- fusion du capital au point de vue privé, et au point de vue social. n'est nullement sûr que les dépôts faits aux caisses d'épargnes ou de retraites signalent, comme on le suppose communément, un accroisse- ment du capital, et il n'en est pas autrement des dépôts dans les banques. - Passage d'un écrit de M. Wolowski, montrant en quelques lignes à
quelles notions contraires à l'évidence conduit la confusion du numéraire
et du capital. Nécessité d'une rectification, sur ce point, des theories
et de la nomenclature économiques. Page.
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· Erreurs provenant de la substitution, à la notion des capitaux, de celle de leur valeur.
L'erreur consiste ici à considérer le capital comme un élément
simple, alors qu'il est composé de choses qui, sous les rapports écono-
miques, sont fort loin d'être identiques; elle s'appuie malheureusement
de l'autorité, si pleinement justifiée d'ailleurs, d'Adam Smith et de
J.-B. Say. Enseignements de Smith sur ce point: ils. confondent
expressément la monnaie et le capital; ils supposent, entre les capitaux
des diverses espèces, une égalité de concurrence qui n'existe point; ils
affirment que l'intérêt de l'argent va toujours de pair avec le profit des
capitaux, ce qui est entièrement contraire aux faits. - Doctrine for-
mulée par J.-B. Say, — en grande partie déduite de celle de Smith,
même confusion du capital et du numéraire, affirmant qu'il ne faut
considérer le capital que dans sa valeur et non dans sa nature;
dans les emprunts, la chose réellement empruntée n'est pas le numéraire,
et que ce n'est point à celui-ci que s'applique l'intérêt stipulé. — Cette
doctrine n'est nullement conforme aux faits à part les locations d'im-
meubles, tous les emprunts se font en numéraire, même lorsqu'on achète
des marchandises en attermoyant le paiement; si le numéraire n'est point
l'objet que l'emprunteur, en définitive, entend se procurer, il est incon-
testablement la matière de l'emprunt; — les fonds ou services productifs
qu'il sert ensuite à acquérir, par cela même qu'ils sont acquis, ne sont
point empruntés, et ce n'est pas à eux que peut s'appliquer l'intérêt de
l'emprunt; les profits qu'ils pourront donner ne sont nullement cet inté-
rêt; ils en diffèrent constamment et souvent dans de fortes proportions.
Sources apparentes des erreurs combattues dans ce paragraphe. Preuves
convaincantes que les profits des capitaux ne sont point uniformes, et que
l'intérêt de l'argent, ne va point de pair avec ces profits. Page.
384
Fausses notions où conduisent les erreurs dont il s'agit : elles font
supposer que le profit des capitaux va s'abaissant sans cesse, avec les développements de la population et de l'industrie, supposition affirmée comme un fait indubitable par la plupart des économistes, notamment par Bastiat et M. Mill. - Théorie donnée par ce dernier : elle amène à préconiser en quelque sorte les emprunts publics, mais elle est fausse de tous points et confond toujours le numéraire et le capital. — Le dévelop-
Les doctrines tendant à assimiler les développements du crédit à ceux
des capitaux, ne se sont guère propagées en France qu'à partir de 1830.
– Un ouvrage de Ch. Coquelin, publié en 1848, a beaucoup contribué à
les répandre; elles devaient aller jusqu'à faire assimiler les dettes privées
et publiques aux capitaux, et c'est ce qu'a professé très-expressément un
économiste anglais, M. Macleod. Les aberrations sur le crédit s'appuient
assez généralement sur deux suppositions qui n'ont pas le moindre fonde-
ment la première, c'est que le crédit utiliserait principalement, par son
extension, les capitaux inactifs et les facultés industrielles sans emploi;
la seconde, c'est qu'il suffirait, pour s'assurer les avantages du crédit, de
propager partout son action sous ses diverses formes; ce sont là de pures
chimères. La monnaie et le crédit donnent simplement assignation
sur les moyens de production existants, et la multiplication de ces assi-
gnations n'ajoute pas plus aux fonds productifs, que la multiplication des
prises d'eau sur une rivière n'ajoute à la masse liquide qu'elle entraîne.
Page.
V. Conclusions de ce chapitre. Page.
De la libre combinaison des forces productives dans chacune des divisions principales de l'industrie, et des chances diverses ouvertes aux travailleurs.
Classification de la masse des travailleurs en entrepreneurs opérant
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