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fort étendu

l'économique politique nous enseigne comment, et par quelles conditions, les populations réussissent le mieux à pourvoir à l'ensemble de leurs besoins; mais elle n'apprécie pas ces besoins en eux-mêmes, et les admet généralement tels qu'ils se manifestent; il appartient à la science de la morale de nous éclairer sur le développement de ces besoins, sur les conséquences des diverses directions qu'ils peuvent prendre, de nous faire distinguer celles qui sont favorables de celles qui sont nuisibles à l'intérêt commun, ou au perfectionnement général de nos facultés; et cela seul constitue déjà une grande et importante mission.

Les sciences du droit et de la politique peuvent nous éclairer sur les conditions nécessaires de la vie sociale, sur l'organisation de l'autorité et des forces publiques en vue du maintien de l'indépendance nationale, de la paix et de la sécurité, sur l'intervention légale dans les tendances ou les actes de la conduite, dès que cette intervention est réclamée par la nécessité de maintenir l'inviolabilité et le respect de la personne, de la liberté et des propriétés de chacun et de tous; elles peuvent mettre de plus en plus en lumière les principes rationnels de tout le régime légal, signaler les défectuosités de celui en vigueur, nous montrer comment il doit être réformé, nous donner les règles de la justice ou de l'intérêt commun, dans l'exécution des conventions et dans le jugement des différends qui surviennent entre les particuliers, etc.; mais il reste dans la conduite une multitude de tendances et d'actes de relation qui, par leur nature, doivent être laissés à la liberté de chacun et ne ressortent pas, du moins rationnellement, du régime légal; or, les directions que prennent, en dehors de ce régime et de l'activité économique, les habitudes de relation, les rapports des hommes entre eux, particulièrement ceux entre les diverses fractions ou classes de la société, exercent une trèsgrande action sur l'intérêt commun, et elles rentrent dans le domaine que nous assignons à la morale proprement dite; le soin d'éclairer le plus possible ces directions constitue donc une autre part fort considérable et fort importante de sa mission.

Enfin, l'art de disposer nos facultés affectives, et par suite

nos volontés, à suivre dans la conduite les directions reconnues utiles et à éviter celles reconnues nuisibles à l'intérêt commun, fait aussi partie essentielle de l'enseignement moral, et les principes ou les procédés les plus efficaces de cet art ne sont encore que bien imparfaitement connus.

On voit que les attributions que nous laissons à la morale scientifique lui ouvrent un champ d'investigations des plus vastes, resté jusqu'ici presque entièrement inexploré, et que les moralistes qui voudraient le féconder, et faire enfin concourir leurs études au véritable avancement de nos connaissances sur les meilleures directions à donner à nos tendances et à nos actions, auraient à remplir une tâche aussi indéfiniment étendue que celle d'aucune autre science, et aussi laborieuse que salutaire.

Nous ne prétendons nullement aborder ici un traité complet de la morale telle que nous la concevons; nous voudrions seulement, par quelques applications aux mœurs actuelles de la méthode que nous proposons, montrer comment cette méthode peut être employée, et en prouver l'efficacité. Dans ce but, nous rechercherons quelles sont, relativement à l'utilité générale, les conséquences certaines ou probables de diverses directions prises par les besoins physiques, intellectuels ou moraux de notre population, et quelles sont celles que peuvent produire diverses habitudes de relation qu'elle a établies entre ses diverses classes ou fractions. Nos observations, portant plus particulièrement sur l'état moral actuel de la société française, seront d'ailleurs applicables, en grande partie, à plusieurs autres populations de l'Europe, celles dont la civilisation s'éloigne le moins de la nôtre.

Il est bien entendu que nous ne donnons ces recherches que comme un simple essai, une sorte de spécimen de morale expérimentale; elles feront le sujet des deux chapitres sui

vants.

CHAPITRE IV.

Application de la méthode expérimentale d'appréciation morale, à divers développements des besoins chez les sociétés modernes.

Des directions diverses sont ouvertes à ceux de nos besoins qui sont ou doivent être laissés à leurs libres développements, et rien n'affecte plus le sort des individus et des populations que le choix de ces directions; il importe donc au plus haut degré que nous soyons éclairés le plus possible sur les conséquences auxquelles conduit chacune d'elles, afin que nous puissions discerner sans erreur celles qui sont nuisibles de celles qui sont utiles à l'intérêt commun, et les classer à leur véritable rang d'importance dans le bien ou dans le mal.

Il est difficile de concevoir, en considérant combien serait utile une application généralisée à un tel sujet d'études, comment il a pu être à peu près entièrement délaissé, pourquoi il n'a pris aucune place dans l'éducation commune, et comment l'enseignement moral, dont il est appelé à former la partie la plus considérable, n'a pas vu jusqu'ici qu'en le dédaignant, pour se tenir dans les nuages de l'absolu ou de la perfection imaginaire, il méconnaissait la partie de sa mission qui, plus que toute autre, pouvait le faire contribuer à l'amélioration de la conduite humaine.

Les données scientifiques nécessaires pour guider sur ce point l'intelligence et les sentiments, ne pourront s'accumuler que par l'étude attentive et persévérante des besoins vivants, des habitudes qu'ils déterminent et de toutes leurs conséquences, prochaines ou éloignées. Ces investigations, constamment poursuivies à travers les transformations que subissent naturelle

ment, avec le temps, les besoins des populations, pourront seules former une opinion générale suffisamment éclairée à cet égard, et sûrement fixée sur les habitudes et les tendances qu'elle doit préconiser ou encourager de son approbation, comme sur celles qu'elle doit réprouver et flétrir.

A part les maux que les directions nuisibles des besoins font peser sur ceux même qui les suivent, il n'y a plus ici d'autre sanction répressive à attendre que celle de l'opinion, puisqu'il s'agit d'actes qui, par leur nature, ne sont pas du ressort du régime légal, et doivent être abandonnés aux libres déterminations des volontés individuelles; mais la puissance et l'efficacité d'une telle sanction ne sont pas douteuses, et nous verrons plus loin que les erreurs de l'opinion, dans la distribution qu'elle fait de ses affections et de ses antipathies, de son estime ou de son mépris, sont les causes principales de la persistance dans les mauvaises directions que prennent les besoins, et du défaut de généralisation et de persévérance dans les directions bienfaisantes.

Afin d'introduire un peu d'ordre dans cette étude, nous diviserons en trois classes les besoins sur le développement desquels doivent porter nos observations. Nous formerons une première classe de ce que l'on peut appeler les besoins matériels, en y comprenant, 1° l'alimentation et l'usage de certains excitants; 2° le logement, l'ameublement et tout ce qui se rattache à l'habitation; 3° le vêtement et la parure; 4° les besoins de locomotion personnelle, les soins à donner à l'entretien et au développement des forces corporelles, et les moyens en usage pour y pourvoir.

Nous comprendrons dans une deuxième classe les besoins intellectuels, les directions données à notre intelligence, le choix des objets sur lesquels porte généralement sa culture.

La troisième classe, enfin, comprendra les besoins moraux, c'est-à-dire, la culture et les directions données à nos facultés affectives, à nos sentiments.

En restreignant nos observations aux mœurs actuelles des populations de la France et de celles dont les besoins ont reçu des développements analogues, nous nous attacherons surtout à signaler les directions contraires à l'intérêt commun.

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La santé, la vigueur physique, le fonctionnement normal des lois physiologiques, sont le premier des biens de la vie actuelle, car tous les autres en dépendent plus ou moins. Parmi les obstacles qui s'opposent à la réalisation et à la généralisation de ce bien, les uns sont indépendants de notre conduite, et telles sont, par exemple, les maladies qui nous atteignent sans que nous puissions les prévenir, - les défectuosités organiques qu'un grand nombre d'individus apportent en naissant, les blessures, les infirmités accidentelles, survenant dans le cours de la vie, et qu'une prudence généralisée peut rendre moins fréquentes, mais dont les populations ne sauraient entièrement s'affranchir.

D'autres obstacles dépendent, en partie, de causes naturelles sur lesquelles nous n'avons point d'empire, et en partie de la conduite collective des populations ou des hommes qui les dominent; ce sont ceux qui tendent à rendre insuffisants les moyens d'entretenir la vie et la santé; - tels sont, quant aux causes naturelles, les accidents atmosphériques qui détruisent ou réduisent les récoltes, et par suite les produits destinés à l'alimentation, aux fabrications, etc., tels sont, quant à la conduite collective, d'une part, les vices du régime social, des institutions, de l'action gouvernementale, et par suite, l'insécurité, la réduction de l'activité productive, l'extension de l'activité nuisible, la diminution et la mauvaise distribution des ressources générales, toutes conditions concourant à rendre insuffisant l'ensemble des moyens d'existence; d'autre part, la situation économique pouvant résulter d'un excès de densité de la population, lorsque celle-ci dépasse le nombre que les moyens de production à sa disposition permettent d'entretenir convenablement.

D'autres obstacles, enfin, dépendent principalement de la volonté des individus, des directions qu'ils donnent librement à leurs besoins, qu'ils ont la faculté de changer lorsqu'ils les reconnaissent nuisibles, et qui sont plus aisément réformées,

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