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Nous nous proposons, en rédigeant ce paragraphe, non pas de faire une étude anatomo-pathologique de la rage, mais simplement d'exposer ce que, à première vue, l'on constate le plus communément à l'autopsie des chiens enragés, laissant à notre collaborateur le soin de faire connaître les lésions anatomiques que l'examen microscopique a pu faire constater.

Le premier fait qu'il faut signaler est la couleur noire du sang, résultant de ce que, à la période extrême de la maladie, l'hématose ne s'opère plus que d'une manière imparfaite, et qu'en définitive la vie s'éteint par l'asphyxie. Cet état du sang se reflète dans tous les tissus, et c'est de lui que procèdent, pour une bonne part, les apparences de congestion et d'inflammation que les auteurs signalent, comme des réalités, dans un grand nombre d'appareils, que nous allons passer successivement en revue, en indiquant toutes les particularités qui se rattachent à l'état rabique.

1o Appareil digestif. La muqueuse buccale reflète toujours, à la période ultime de la rage, une teinte rouge foncé, avec une nuance bleuâtre, qui est l'expression, tout à la fois, de la couleur du sang et de la distension de ses vaisseaux, par suite, probablement, de la paralysie de leurs nerfs moteurs. Cette couleur noire, que l'on peut appeler intrinsèque, de la muqueuse buccale, est encore exagérée par la teinte foncée que lui donne la poussière adhérente à sa surface desséchée.

Quand, dans le cadavre d'un chien poursuivi et tué comme suspect ou comme atteint de la rage, on constate ces premiers caractères, donnés par l'examen de la cavité buccale, les probabilités sont déjà bien fortes que l'accusation portée contre ce chien était fondée.

Mais existe-t-il des lésions spéciales de la muqueuse buccale? Voici sur ce point un certain nombre de documents qui serviront à l'éclairer :

En 1823, le Compte rendu des travaux de l'école vétérinaire de Lyon signale l'existence, sur un chien, de pustules, et sur un autre de légères ulcérations, de chaque côté du frein de la langue, les premières observées sur le vivant, et les secondes après la mort.

En 1824, Antonio Soarès, vétérinaire portugais, qui avait fait ses études à l'école d'Alfort, publia dans le Recueil de médecine vétérinaire, une note sur l'existence des lysses ou vésicules rabiques, qu'il avait observées à l'ouverture d'un chien enragé.

Dans le Compte rendu des travaux de l'école d'Alfort, pour l'année scolaire 1824-25, M. le professeur Vatel a constaté la présence de lésions semblables dans la bouche d'une chèvre et d'un chien, morts tous, deux de la rage.

Dans le compte rendu de l'année précédente, les professeurs Dupuy et Barthélemy avaient annoncé les avoir également rencontrées.

Dans une thèse, soutenue en 1831, devant la faculté de médecine de Paris, par le docteur Vianna de Resende, qui avait suivi les cours de l'école d'Alfort, en 1825, les pustules, dont le professeur Barthélemy fait mention dans le compte rendu de cette année, sont décrites, et il est affirmé que l'inoculation du liquide de ces pustules, faite par Barthélemy, à plusieurs chevaux, les fit tous périr de la rage. En 1826, les lysses rabiques, au dire d'Hurtrel d'Arboval, ont été observées à Alfort sur le cadavre de deux chiens.

En 1855, Maillet, chef de service des hôpitaux à Alfort, publia, dans le Recueil veterinaire, une observation sur un chien enragé, à l'ouverture duquel on a trouvé des lysses sur la muqueuse de la langue.

DICE. ENC. 3 s. II.

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Enfin en 1867, M. Peuch, chef de service des hôpitaux à l'école de Lyon, a publié, dans le Journal vétérinaire de cette école, les observations qu'il avait recueillies sur cette lésion. M. Peuch déclare que, sur 27 chiens enragés dont il a fait l'autopsie, il a rencontré les lésions de la langue dans 14 cas, 12 fois sous forme d'ulcérations et 2 fois à l'état de pustules. Les ulcérations ont été constatées sur les chiens qui avaient eu la rage furieuse, et elles existaient plus souvent de l'un ou de l'autre côté de la langue que des deux à la fois. Quelquefois, on les a rencontrées près du frein, et presque toujours dans une région où les dents ne pouvaient pas les atteindre. Du diamètre de 3 à 5 millimètres, elles étaient tantôt irrégulières et tantôt parfaitement circulaires. Toujours superficielles, elles ne s'étendaient jamais au delà de la muqueuse. Il n'y avait aucune induration sur leur circonférence, et les glandes sublinguales étaient exemptes de toute altération.

Les pustules avaient une couleur opaline et occupaient le même siége que les ulcérations. Du volume d'un grain de millet, elles ne faisaient pas une saillie bien apparente au-dessus de la surface de la membrane et étaient toujours en tourées d'une auréole rouge. Elles présentaient, à leur centre, visible à l'œil nu, une petite ouverture, qui, examinée avec la loupe, parut être celle d'une glande linguale.

Cette description, donnée par M. Peuch, des lésions buccales, constatées dans l'état rabique, est parfaitement concordante avec celles qui ont été faites par ses devanciers, et l'on peut en conclure que c'est à tort que l'on a désigné les unes sous le nom de pustules, et les autres sous celui d'ulcérations. Ces prétendues pustules, comme nous avons pu nous en convaincre de visu, dans quelques cas où nous avons été à même de les observer, ne sont que des vésicules, ou autrement dit des aphthes, formées par le soulèvement de l'épithélium, lésions tout éphémères, qui ne laissent à leur place que des érosions toutes superficielles ; et ces érosions sont de celles qui, dans les maladies aphtheuses simples, disparaissent absolument par le renouvellement de l'épithélium, sans laisser aucune trace persistante, comme celles que toujours on rencontre, sur les muqueuses aussi bien qu'à la peau, quand l'éruption dont elles sont le siége est de nature pustuleuse.

Cette réserve faite, il résulte manifestement de la série des documents qui viennent d'être reproduits, que la membrane buccale peut être le siége de lésions spéciales, particulièrement dans la région sous-linguale, lésions constituées, tantôt par des vésicules encore intactes, tantôt par les exulcérations qui leur font suite. Mais ces lésions possibles seraient plutôt rares que fréquentes, si l'on en juge par le petit nombre des observateurs qui en ont parlé. Cependant il se pourrait que leur rareté ne fût pas réelle et qu'elle dépendit exclusivement de ce que l'on ne se serait pas suffisamment appliqué à les rechercher. C'est au moins ce que donnent à penser les résultats obtenus par M. Peuch qui, sur 27 cadavres de chiens enragés, n'a pas rencontré moins de 14 fois les traces de l'éruption rabique dans la bouche.

Quoi qu'il en soit de la signification de cette éruption, il est certain que lorsqu'on la constate sur une membrane, présentant déjà les premiers caractères de coloration foncée, que nous avons signalés, elle renforce les présomptions, déjà établies par ces caractères, de l'existence de la rage.

L'estomac est, de tous les organes, celui qui fournit, sur l'existence de l'état rabique, les renseignements les plus positifs, non pas par des altérations propres qui auraient un caractère univoque, mais bien par la nature des matières qu'il

contient. Delabère-Blaine a fortement, et avec juste raison, insisté sur cette particularité des plus significatives. « En dirigeant l'attention vers l'estomac, dit-il, on est d'abord frappé de sa distension, et, en l'ouvrant, on voit que la cause en est dans une accumulation d'une masse considérable, souvent même énorme, de substances étrangères à l'alimentation, telles que du foin, de la paille, du bois, du charbon, des cendres, des morceaux de nattes, en un mot, de substances assez petites pour que la déglutition ait pu en être faite... Il est certain que la présence dans l'estomac de cette matière indigeste est si ordinaire, qu'elle devient un signe pathognomonique de la première importance, et qu'il faut le chercher toutes les fois qu'il existe des doutes.» « De toutes les marques caractéristiques de la maladie, ajoute Blaine dans une note, je regarde celle-ci comme la plus vraie et comme la moins assujettie à aucune variation. Je ne dirai pas que je n'ai jamais vu, après la mort d'un chien enragé, l'estomac sans cette masse indigeste; mais, après en avoir examiné plus de deux cents, je ne me rappelle pas en avoir trouvé plus de deux ou trois sur lesquels ce symptôme manquait. Ce vrai signe caractéristique ne peut donc s'imprimer trop fortement dans l'esprit, puisqu'il peut être vérifié par tout individu, par le plus ignorant, comme par l'amateur et l'homme de l'art. Il est d'autant plus important qu'on peut le trouver longtemps après la mort, quand bien même les autres signes sont confondus par la décomposition générale du corps. » Et Blaine rapporte, à cette occasion, « qu'ayant été consulté juridiquement pour examiner le cadavre d'un chien sur lequel on avait des soupçons, et qui était enterré déjà depuis trois semaines, il put affirmer que cet animal était enragé, grâce à ce signe infaillible qui était, du reste, bien accusé, et qui seul persistait au milieu de la décomposition cadavérique. »

Youatt attache aussi la plus grande importance à la présence dans l'estomac de matières étrangères à l'alimentation: « Si, dit-il, on y rencontre un mélange étrange de poils, de foin, de paille, de fiente de cheval, de terre, ou encore des débris du lit sur lequel l'animal était couché, on peut affirmer sans crainte de beaucoup d'erreur qu'il est mort enragé, car ce n'est que sous l'influence de la dépravation d'appétit, qui est le propre de la rage, que cet amas de substances a pu être dévoré. Mais la présence isolée de l'un ou de l'autre, du charbon, du bois et même de la fiente, ne suffit pas pour autoriser à affirmer la rage. Ce qui est particulièrement caractéristique, c'est le mélange de paille, de poils et d'ordures de différentes espèces. »

D'après une statistique que M. Fleming a empruntée à Bruckmuller, professeur d'anatomie pathologique à l'Institut vétérinaire de Vienne, la présence des corps étrangers dans l'estomac des chiens enragés ne serait pas aussi fréquente que les affirmations de Delabère-Blaine et celles de Youatt le donnent à penser. Sur 375 chiens enragés, dont Bruckmuller a fait l'examen autopsique, dans une période de vingt années, il n'a rencontré des corps étrangers dans l'estomac que 199 fois, soit dans la proportion de 54 pour 100 environ.

Quoi qu'il en soit de cette divergence d'opinions, au point de vue de la fréquence de ce fait, il n'en conserve pas moins, quand il existe, une grande signification diagnostique, et, lorsqu'on le constate à l'autopsie d'un chien soupçonné de rage, on peut, sans crainte d'erreur, comme le disent Blaine et Youatt, affirmer que ce chien était enragé, pourvu qu'on trouve dans l'estomac le mélange étrange sur lequel Youatt insiste avec raison; car les chiens mangent assez souvent de l'herbe, surtout les jeunes pousses fraîches et sucrées; les jeunes rongent des morceaux de bois pendant la dentition, et en avalent des parcelles; il est commun

aussi de voir des chiens en santé manger la corne du sabot du cheval, et particulièrement celle de la fourchette; ou encore déglutir des étoupes ou des rubans qui ont servi à des pansements et qui sont imprégnés de pus ou de sang putréfié. D'autre part, il existe chez certains chiens des perversions singulières d'appétit. M. Weber a fait voir à la Société centrale de médecine vétérinaire, en 1873, un animal de cette espèce, appartenant à une couturière qui se complaisait à avaler des aiguilles, des épingles et des agrafes après les avoir brisées sous ses dents. Lorsque ces corps étrangers avaient été accumulés en trop grande quantité dans l'estomac, ils étaient rejetés sous la forme d'une sorte de pelote dont les différentes parties composantes étaient comme feutrées et maintenues réunies par du mucus. Ces jours derniers (février 1874), j'ai vu à l'école vétérinaire de Lyon une sorte d'égagropile formée exclusivement par des cheveux, que l'on avait rencontrés dans l'estomac d'un chien. Cette masse pileuse, feutrée et très-dense, comblait exactement la cavité de l'organe, dont elle répétait la forme intérieure comme le plâtre celle du moule. L'animal à l'autopsie duquel on a trouvé cette pièce curieuse appartenait à un perruquier de Lyon, et il avait pris l'habitude d'avaler les cheveux qui tombaient de la tête des clients de son maître sous la coupe de ses ciseaux.

La présence de corps étrangers à l'alimentation dans l'estomac des chiens ne saurait donc être considérée comme ayant une signification diagnostique univoque. Mais dans les cas où leur ingestion ne résulte pas de l'incitation rabique, ces corps sont homogènes, ou pour mieux dire d'une seule sorte, et souvent on trouve, en même temps qu'eux, dans l'estomac, des matières alimentaires, tandis que, en cas de rage, ils sont des plus divers et des plus disparates. Paille, foin, laine, crins, fragments d'étoffes, morceaux de cuir, de bois, de fer, de verres, herbes, terre, pierres, crottins, litière, matières excrémentielles, etc., tout ce que l'animal a trouvé à la portée de ses dents, il s'y est attaqué et il en a dégluti plus ou moins. Assez souvent l'estomac en renferme une masse considérable qui se trouve associée au liquide noir extravasé dans sa cavité, mais il est très-rare qu'on y rencontre, en même temps, des matières alimentaires véritables, car généralement, dans la rage, le sentiment réel de la faim n'existe plus et les animaux éprouvent de la répugnance pour leur nourriture. Si quelquefois ils la déglutissent, c'est au même titre que les autres corps étrangers et sous l'impulsion des mêmes incitations, mais non pas par la détermination de la faim.

Si la présence dans l'estomac de matières étrangères à l'alimentation a cette grande signification diagnostique dont nous venons de parler, il faut en attribuer une tout opposée à la plénitude de l'estomac par des matières alimentaires en voie de digestion, car le chien enragé refuse d'ordinaire les aliments, ou, s'il mange, ce n'est que du bout des dents, et jamais au point de se gorger. La présomption est donc bien forte qu'un chien qui a commis une morsure n'était pas enragé, lorsque, à son autopsie, on trouve son estomac rempli de matières alimentaires.

La muqueuse de l'estomac, dans le chien mort de la rage, reflète presque toujours une couleur rouge intense, plus foncée au sommet des plis, avec des marbrures irrégulières, constituées par des taches qui ressemblent à de véritables ecchymoses; et, avec cette couleur de la muqueuse, coïncide la présence, dans la cavité de l'organe, d'un liquide de couleur très-foncée, mélange de salive, de bile et de sang épanché, analogue par son aspect, dit Blaine, à du marc de café. Souvent enfin il existe des érosions de la muqueuse, particulièrement sur les points qui sont le plus fortement ecchymosés, soit qu'elles résultent d'un travail ulcérateur, ou qu'elles aient été produites par le contact des corps étrangers, souvent anguleux et

acérés, que l'incitation rabique détermine les animaux à déglutir. Youatt attache une grande importance à la présence et aux caractères du liquide de l'estomac, au point de vue diagnostique de la rage, si, en même temps qu'on le trouve dans l'estomac, on rencontre dans le duodénum et le jéjunum, même en très-petite quantité, des corps étrangers à l'alimentation, qui ont franchi le pylore. Ces corps sont pour lui l'indice de la dépravation de l'appétit qui caractérise la rage, et si l'estomac n'en contient plus, c'est qu'ils ont été rejetés par le vomissement,

Blaine avait vu dans la coloration rouge de l'estomac et ses taches ecchymotiques les signes certains de son état inflammatoire. Il est bien plus probable que cette coloration et l'état de distension, qu'elle exprime, de l'appareil vasculaire, se rattache, comme celle de la muqueuse de la bouche et celle de l'arrière-bouche, à la paralysie des vaso-moteurs. Le sang stagne et s'épanche parce que les tuniques des capillaires, frappées d'inertie, n'ont plus l'activité nécessaire pour le faire circuler.

L'ensemble de ces faits: la coloration foncée de la muqueuse stomacale, ses taches ecchymotiques, la présence dans l'estomac d'un liquide noirâtre analogue par ses apparences à du marc de café, et enfin l'existence dans sa cavité des corps les plus disparates, étrangers à l'alimentation, voilà ce que l'on rencontre de plus constant et de plus caractéristique dans le cadavre du chien enragé.

L'intestin grêle présente aussi, comme l'estomac, une coloration générale plus foncée et des taches ecchymotiques disséminées, notamment dans la région duodénale, et le liquide qu'il contient est souvent coloré en rouge brun, comme celui de l'estomac, mais ces lésions y sont toujours moins accusées que dans ce dernier organe, et elles y sont aussi bien moins constantes.

Quant au restant de l'appareil digestif et de ses annexes, on n'y a jamais constaté aucune lésion d'un caractère déterminé. Bruckmuller, dans les recherches qu'il a poursuivies, sur les 375 chiens dont il a fait l'autopsie, n'a jamais pu constater la congestion des glandes salivaires et des nerfs qui s'y rendent.

Dans le foie et dans la rate, les difficultés ou les empêchements de la circulation capillaire se traduisent par des hypérémies lobulaires et des foyers hémorrhagiques d'après Prinz, Veith, Bruckmuller et Schrader, cités par Virchow; mais on ne sait pas ce que peut être un exanthème varioloïde de la rate, décrit par Locher. Hertwig déclare, de son côté, l'avoir cherché en vain sans jamais le rencontrer. 2o Appareil respiratoire. Les lésions de l'appareil respiratoire, que l'on a signalées dans la rage, n'ont aucune signification, au point de vue de cette maladie. Elles consistent dans une coloration plus rouge de la muqueuse depuis les cavités nasales jusqu'à l'extrémité des bronches, et dans l'état de congestion apparente des poumons, où le sang est resté en stagnation, comme il arrive dans l'asphyxie. Lorsque les animaux ont succombé à la rage mue, la muqueuse de l'arrière-bouche est recouverte, au dire d'Hertwig, d'une mucosité sale, un peu grisâtre, qui se continue par l'ouverture supérieure du nez jusque dans les

narines.

3° Appareil urinaire. L'état de la vessie peut-il fournir quelques indications diagnostiques au point de vue de la rage? En 1851, Chardon, vétérinaire à Provins, ayant été appelé à faire l'autopsie d'un loup qui s'était jeté sur un vigneron et l'avait mordu cruellement, ne constata, comme particularité qui lui parût digne de fixer l'attention, que l'état de la vessie, qui était tellement rétractée, qu'il fut obligé, pour la trouver, de se guider sur les uretères: Il aperçut alors au bout de ces conduits une espèce de petit corps glandiforme, ovoïde, gros tout au

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