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s'honore. Je n'ai point cru devoir m'occuper de l'examen de ses ouvrages. Analysés, jugés, appréciés depuis long-temps, ils ont subi toutes les épreuves, et l'immortalité leur est acquise. Sortis, pour ainsi dire, du domaine de la critique, ils appartiennent désormais à l'éloquence, chargée de célébrer les chefs-d'œuvre que l'admiration publique a consacrés. Il étoit réservé à une autre plume que la mienne de remplir ce noble soin envers l'auteur de l'Esprit des Lois. Un jeune orateur vient de cueillir une nouvelle palme en louant le génie de Montesquieu, et, ce qui est pour lui-même la plus belle des louanges, son talent a été jugé digne de son sujet.

L. S. AUGER.

DE

L'ESPRIT DES LOIS,

PAR D'ALEMBERT.

La plupart des gens de lettres qui ont parlé do l'Esprit des Lois s'étant plus attachés à le critiquer qu'à en donner une juste idée, nous allons tâcher de suppléer à ce qu'ils auroient dû faire, et d'en développer le plan, le caractère et l'objet. Ceux qui en trouveront l'analyse trop longue jugeront peut-être, après l'avoir lue, qu'il n'y avoit que ce seul moyen de bien faire saisir la méthode de l'auteur. On doit se souvenir d'ailleurs que Thistoire des écrivains célèbres n'est que celle de leurs pensées et de leurs travaux, et que cette partie de leur éloge est la plus essentielle et la plus utile.

Les hommes, dans l'état de nature, abstraction faite de toute religion, ne connoissant, dans les différents qu'ils peuvent avoir, d'autre loi que celle des animaux, le droit du plus fort, on doit regarder l'établissement des sociétés comme une espèce de traité contre ce droit injuste ; traité destiné à établir entre les différentes parties du geure humain une sorte de balance. Mais il en est ue l'équilibre moral comme du physique : il est race

qu'il soit parfait et durable; et les traités du genre humain sont, comme les traités entre nos princes, une semence continuelle de divisions. L'intérêt, le besoin et le plaisir ont rapproché les hommes. Mais ces mêmes motifs les poussent sans cesse à vouloir jouir des avantages de la société sans en porter les charges; et c'est en ce sens qu'on peut dire, avec l'auteur, que les hommes, dès qu'ils sont en société, sont en état de guerre. Carla guerre suppose, dans ceux qui se la font, sinon l'égalité de force, au moins l'opinion de cette égalité, d'où naît le désir et l'espoir mutuel de se vaincre : or, dans l'état de société, si la balance n'est jamais parfaite entre les hommes, elle n'est pas non plus trop inégale; au contraire, ou ils n'auroient rien à se disputer dans l'état de nature; ou, si la nécessité les y obligeoit, on ne verroit que la foiblesse fuyant devant la force, des oppresseurs sans combat, et des opprimés sans résistance.

Voilà donc les hommes réunis et armés tout à la fois, s'embrassant d'un côté, si on peut parles ainsi, et cherchant de l'autre à se blesser mutuellement. Les lois sont le lien, plus ou moins efficace, destiné à suspendre ou à retenir leurs coups. Mais l'étendue prodigieuse du globe que nous habitons, la nature différente des régions de la terre et des peuples qui la couvrent, ne permettant pas que tous les hommes vivent sous un seul et même gouvernement, le genre humain a dû se partager en un certain nombre d'états, distingués ▾ar la différence des lois auxquelles ils obéissent.

Un seul gouvernement n'auroit fait du genre humain qu'un corps exténué et languissant, étendu sans vigueur sur la surface de la terre: les différerts états sont autant de corps agiles et robustes, qui, en se donnant la main les uns aux autres, n'en forment qu'un, et dont l'action réciproque entretient partout le mouvement et la vie.. On peut distinguer trois sortes de gouvernements, le républicain, le monarchique, le despots que. Dans le républicain, le peuple en corps a la souveraine puissance. Dans le monarchique, un seul gouverne par des lois fondamentales. Dans le despotique, on ne connoît d'autre loi que la volonté du maître, ou plutôt du tyran. Ce n'est pas à dire qu'il n'y ait dans l'univers que ces trois espèces d'états, ce n'est pas à dire même qu'il y ait des états qui appartiennent uniquement et rigoureusement à quelqu'une de ces formes: la plupart sont, pour ainsi dire, mi-partis ou nuancés les uns des autres. Ici, la monarchie incline au despotisme; là, le gouvernement monarchique est combiné avec le républicain; ailleurs, ce n'est pas le peuple entier, c'est seulement une partie du peuple qui fait les lois. Mais la division précédente n'en est pas moins exacte et moins juste. Les trois espèces de gouvernements qu'elle renferme sont tellement distinguées, qu'elles n'ont proprement rien de commun; et d'ailleurs tous les états que nous connoissons participent de l'une ou de l'autre. Il étoit donc nécessaire de former de ces trois espèces des classes particulières, et de s'ap

pliquer à déterminer les lois qui leur sont propres. Il sera facile ensuite de modifier ces lois dans l'application à quelque gouvernement que ce soit, selon qu'il appartiendra plus ou moins à ces différentes formes.

Dans les divers états, les lois doivent être res latives à leur nature, c'est-à-dire, à ce qui les constitue; et à leur principe, c'est-à-dire, à ce qui les soutient et les fait agir: distinction importante, la clef d'une infinité de lois, et dont l auteur tire bien des conséquences.

Les principales lois relatives à la nature de la démocratie sont que le peuple y soit, à certains égards, le monarque; à d'autres, le sujet; qu'il élise et juge ses magistrats; et que les magistrats, en certaines occasions, décident. La nature de la monarchie demande qu'il y ait entre le monarque et le peuple beaucoup de pouvoirs et de rangs intermédiaires, et un corps dépositaire des lois, diateur entre les sujets et le prince. La nature du despotisme exige que le tyran exerce son autorité, ou par lui seul, ou par un seul qui le représente.

Quant au principe des trois gouvernements. celui de la démocratie est l'amour de la république, c'est-à-dire, de l'égalité : dans les monarchies, où un seul est le dispensateur des distinctions et des récompenses, où l'on s'accoutume à confondre l'état avec ce seul homme, le principe est l'honneur, c'est-à-dire, l'ambition et l'amour de l'estime sous le despotisme enfin, c'est la crainte. Plus ces principes sont en vigueur, plus le gou

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