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re n'y a-t-il que très-peu de fujets où cette nouveauté puiffe être reçue: le Choeur feroit abfolument déplacé dans Bajazet, dans Mithridate, dans Britannicus, &

généralement dans toutes les Piéces dont l'intrigue n'eft fondée que fur les intérêts de quelques particuliers'; il ne peut convenir qu'à des Piéces où il s'agit du salut de tout un peuple.

Les Thébains font les premiers intéreffés dans le fujet de ma Tragédie; c'eft de leur mort ou de leur vie dont il s'agit, & il ne paroît pas hors des bienféances de faire paroître quelquefois fur la Scene ceux qui ont le plus d'interêt de s'y trou

ver.

LETTRE VII

A l'occafion de plufieurs Critiques qu'on faites d'Edipe.

M.

On vient de me montrer une critique de mon Edipe, qui, je crois, fera ime

primée avant que cette feconde édition puiffe paroître. J'ignore quel eft l'Auteur de cet ouvrage. Je fuis fâché qu'il me prive du plaifir de le remercier des éloges qu'il me donne avec bonté, & des critiques qu'il fait de mes fautes avec autant de difcernement que de politesse.

J'avois déja reconnu dans l'examen que j'ai fait de ma Tragédie une bonne partie. des défauts que 1 Obfervateur releve; mais je me fuis apperçu qu'un Auteur s'épargne. toûjours,quand il fe critique lui-même, & que le Cenfeur veille, lorfque l'Auteur s'endort. Celui qui me critique a vû fans doute mesfautes d'un oeil plus éclairé que moi. Cependant je ne fçais, fi comme j'ai été un peu trop indulgent, il n'eft pas quelquefois un peu trop févere. Son ouvrage m'a confirmé dans l'opinion où je fuis que le fujet d'Edipe eft un des plus difficiJes qu'on ait jamais mis au Théatre; mon Cenfeur me propofe un plan fur lequel il voudroit que j'euffe compofé ma Piéce ; c'eft au public à en juger. Mais je fuis perfuadé que fi j'avois travaillé fur le modele qu'il me préfente, on ne m'auroit pas fait même l'honneur de me critiquer. J'avoue qu'en fubftituant, comme il le veut, Créon à Philoctete, j'aurois peut-être donné

plus d'exactitude à mon ouvrage; mais Créon auroit été un perfonnage bien froid, & j'aurois trouvé par-là le fecret d'être à la fois ennuyeux & irrépréhensible.

On m'a parlé de quelques autres critiques. Ceux qui fe donnent la peine de les faire me feront toûjours beaucoup d'honneur, & même de plaifir, quand ils daigneront me les montrer. Si je ne puis à préfent profiter de leurs obfervations, elles m'éclaireront du moins pour les premiers ouvrages que je pourrai compofer, & mẹ feront marcher d'un pas plus fûr dans cette carriere dangereuse.

On m'a fait appercevoir que plufieurs vers de ma Piéce fe trouvoient dans d'autres Piéces de Théatre. Je dis qu'on m'en a fait appercevoir; car foit qu'ayant la tête remplie de vers d'autrui j'aie cru travailler d'imagination, quand je ne travaillois que de mémoire; foit qu'on fe rencontre quelquefois dans les mêmes pensées & dans les mêmes tours; il eft certain que j'ai été plagiaire fans le fçavoir, & que hors ces deux beaux vers de Corneille que j'ai pris hardiment & dont je parle dans mes Lettres, je n'aieu deffein de vo ler perfonne,

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Il y a dans les Horaces :

Eft-ce vous, Curiace, en croirai-je mes yeux ?

Et dans ma Piéce il y avoit :

Eft-ce vous, Philoctete, en croirai-je mes yeux ?

J'efpere qu'on me fera l'honneur de croire que j'aurois bien trouvé tout feul un pareil vers. Je l'ai changé cependant auffi bien que plufieurs autres, & je voudrois que tous les défauts de mon ouvrage fuf→ fent auffi aifés à corriger que celui-là.

On m'apporte en ce moment une nouvelle critique de mon Edipe, celle-ci me paroît moins instructive que l'autre ; mais beaucoup plus maligne. La premiere eft d'un Religieux, à ce qu'on vient de me dire. La feconde eft d'un homme de Lettres, & ce qui eft affez fingulier, c'eft que le Religieux poffede mieux le Théatre, & l'autre la raillerie. Le premier a voulu m'éclairer, & y a réuffi. Le second a voulu m'outrager mais il n'en eft point venu à bout. Je lui pardonne fans peine fes injures en faveur de quelques traits ingénieux & plaifans dont fon ouvrage m'a paru femé. Ses railleries m'ont plus diverti qu'elles ne m'ont offenfé, & même de tous ceux qui ont vu cette fatyre en manuscrit je fuis celui qui en ai jugé le plus avanta±

geufement. Peut-être ne l'ai - je trouvé bonne que par la crainte où j'étois de fuccomber à la tentation de la trouver mauvaise. Ce fera au Public à juger de fon prix.

Će Cenfeur affure dans fon ouvrage,

que ma Tragédie languira triftement dans la Boutique de Ribou, lorfque fa Lettre aura deffillé les yeux du Public; heureufement il empêche lui-même le mal qu'il me veut faire. Si fa fatyre eft bonne, tous ceux qui la liront,auront quelque curiofité de voir la Tragédie qui en eft l'objet. Et au lieu que les Piéces de Théatre font vendre d'ordinaire leurs critiques, cette critique fera vendre mon ouvrage. Je lui aurai la même obligation qu'Efcobar eut à Pafchal. Cette comparaifon me paroît affez jufte; car ma Poëfie pourroit bien être auffi relâchée que la morale d'Efcobar; & il y a quelques traits dans la fatyre de ma Piéce, qui font peut-être dignes des Lettres Provinciales, du moins par la ma lignité.

Je reçois une troifiéme critique; celleci eft fi miférable, que je n'en puis moimême foûtenir la lecture. J'en attends encore deux autres. Voilà bien des ennemis; mais je fouhaite donner bien-tôt une Tra gédie qui m'en attire encore davantage. --v

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